Le baron Paul Yaw Boateng: “L’avenir de l’Afrique passe par la science et la technologie”

Lord Paul Yaw Boateng, baron du Royaume-Uni, politicien et ancien ministre de Tony Blair, vient d’effectuer un court séjour à Maurice pour le lancement de Planet Earth Institute (PEI). Il a accepté de répondre à nos questions sur le PEI, mais également sur sa riche carrière d’homme politique.
Vous êtes venu à Maurice pour le lancement officiel de PEI, qui a eu lieu en début de semaine au Château du Réduit. Qu’est-ce que le PEI ?
— C’est une organisation non gouvernementale et une association caritative internationale fondées par le Dr Alvaro Sobrino. C’est une association qui a été incorporée en 2010 à Londres et dont un des objectifs est de développer la science et la technologie en Afrique, le continent le moins développé dans ce domaine. L’Afrique produit seulement 2% des scientifiques du monde entier pour une série de raisons qui remontent, dans certains cas, à la colonisation et au fait que les pays africains ont plus souvent préféré mettre l’accent — et les moyens financiers — sur l’éducation primaire que sur l’éducation supérieure et celle des sciences.
Comment expliquez-vous cette situation?
—  J’ai grandi au Ghana et le président Kwame Nkrumah avait pour ambition de libérer l’Afrique dans tous les sens du terme: politique, économique et scientifique, entre autres. A l’époque,  c’est-à-dire les 1960, il existait de grandes universités en Afrique. Malheureusement, au cours des années 1970 et 80,  l’Afrique a connu une période au cours de laquelle le Fonds Monétaire International et la Banque mondiale lui ont  imposé des “structural adjustments” économiques qui ont diminué l’éducation scientifique supérieure pour mettre l’accent sur l’éducation primaire. Par conséquent, les pays africains ont arrêté d’investir dans l’éducation supérieure scientifique et technique précisément au moment où les autres pays, plus particulièrement ceux d’Asie, faisaient le contraire. L’Afrique a été dépassée par le reste du monde dans le domaine scientifique en raison des décisions politiques pensées à Washington.
Les leaders politiques africains n’ont pas résisté à cette politique décidée ailleurs?
—  A cette période, ils n’avaient ni le choix ni les moyens de faire autrement. Par ailleurs, il faut aussi dire que les dirigeants en question n’avaient pas l’envergure des grands leaders africains des années 1960, comme Nkrumah, Jomo Kenyatta et les autres, ceux qui se sont battus pour l’indépendance. C’est pour cette raison que l’Afrique se retrouve aujourd’hui avec un tel retard dans le domaine scientifique et technologique. Il faut aujourd’hui inverser cette tendance et permettre à l’Afrique de rattraper autant que faire se peut, son retard.  C’est une idée qui a fait son chemin en Afrique. Ce qui me permet de dire que le lancement de PEI à Maurice, cette semaine, arrive à point nommé.
Pourquoi avoir choisi Maurice pour le lancement officiel de l’institut?
—  Pour plusieurs raisons. Vous êtes une education hub avec des antennes de plusieurs universités renommées installées ici. La présidente de la République mauricienne, qui est d’ailleurs vice-présidente du PEI, est une scientifique et a été une entrepreneure. L’expérience nous a appris que les Etats africains n’ont pas les moyens financiers nécessaires pour développer l’enseignement scientifique et technologique et qu’il faut faire appel au secteur privé. La présidente de la République mauricienne connaît aussi bien le monde de la science que celui de l’entrepreunariat et peut aider PEI à développer ses projets. D’autant plus que Maurice a une excellente réputation de centre financier offshore. Nous allons recevoir des dons et des fonds des pays africains et d’organisations internationales pour financer nos projets. Nous avons besoin d’être dans un pays qui a de strictes règles en matière de finances. Il fallait également choisir un pays d’Afrique qui ne soit pas sur le continent pour être la plaque tournante de notre action. C’est pour toutes ces raisons que le lancement a eu lieu à Maurice, cette semaine.
J’aimerais revenir sur les “conseils” du FMI et de la Banque mondiale en matière de politique d’enseignement aux pays africains. Ces institutions ont-elles changé d’avis sur l’enseignement des sciences et de la technologique?
— Depuis plusieurs années, il est établi que la science et le développement marchent ensemble. C’est l’idée que défendent de plus en plus les pays et les institutions africains. Nous sommes à un moment où toutes les énergies sont réunies pour faire avancer cette idée. PEI fait partie de ce mouvement.
Est-ce que le siège de l’institut sera basé à Maurice?
— Nous opérons à partir de plusieurs villes d’Afrique et à partir de Londres avec nos différents partenaires qui viennent du secteur privé et qui, dans certains cas, peuvent être des agences internationales ou régionales.
Quels seront les premiers projets de PEI?
—   Ils sont nombreux et diversifiés. Je vais vous donner un exemple. Nous allons lever des fonds pour financer les études  de 10 000 étudiants pour l’obtention d’un Phd dans toute l’Afrique. La réalité économique du jour fait qu’aucun pays d’Afrique ne peut financer un projet de cette importance. Je ne suis pas sûr que beaucoup d’entre eux peuvent financer   seulement 1000 Phd. C’est pour cette raison que nous allons faire appel au secteur privé, pas seulement pour faire des dons afin de permettre à PEI de réaliser son objectif, mais aussi pour investir dans la science et dans les scientifiques africains de demain, dont ils auront besoin à l’avenir. Nous avons plusieurs projets de développement sur l’Afrique et à plusieurs niveaux. Je vous rappelle qu’une de nos missions est de mettre fin à la dépendance des pays africains en ce qui concerne le développement scientifique. Pour ce faire, nous comptons rehausser le niveau de la science, de la technologie et de l’innovation en Afrique afin que le continent puisse mettre en place ses propres projets de développement.
Quels sont les axes sur lesquels va reposer votre action?
— Notre travail doit se construire sur trois piliers fondamentaux: l’enseignement supérieur, l’innovation technologique et l’élaboration des politiques et des actions de sensibilisation. Nous voulons soutenir et réformer les institutions d’enseignement supérieur et aider à faire émerger les nouvelles technologies. Nous allons travailler avec les partenaires nationaux pour mettre en place des programmes et des projets locaux sur mesure. La science et la technologie sont des piliers du développement.
J’admire votre engagement et votre enthousiasme, mais, toutefois, je ne peux m’empêcher de penser qu’on a vu beaucoup d’associations et d’ONG lancer des projets pour développer l’Afrique qui n’ont pas abouti. Pourquoi est-ce que PEI réussirait là où d’autres ont échoué?
—  Parce que PEI n’est pas un autre programme, un autre projet, mais un mouvement, une plate-forme pour faire se rencontrer les gens, aider les choses à se mettre en place, soutenir les projets afin de permettre à l’Afrique de mieux se développer et de rattraper son retard sur le reste du monde. J’ai aujourd’hui 65 ans et j’ai vu tout au long de ma vie des projets être mis en place, démarrer et s’arrêter au beau milieu. J’ai vu de magnifiques projets d’université, d’écoles de formation ne jamais quitter le stade du dessin ou de la maquette. Forts de cette expérience, nous allons éviter les obstacles, sélectionner les projets et les partenaires pour  concevoir et soutenir des projets qui permettront au développement durable de devenir une réalité en Afrique. Il en est grand temps.
Comment est-ce que les gouvernements africains réagissent aux projets de PEI ?
— Jusqu’à maintenant, de manière très positive. Mais comme je suis à moitié d’origine anglaise, je ne peux m’empêcher de penser comme le dit le proverbe : “The proof of the pudding is in the eating.” Mais je crois que la demande légitime  des Africains, pour le développement sera plus forte que n’importe quelle autre considération. Cette demande aidera à soutenir les projets de PEI.
l Nous allons passer au deuxième volet de cette interview. Vous êtes le fruit de l’union entre un Ghanéen et une Écossaise. Vous êtes né en Grande-Bretagne, avez été élevé au Ghana avant de revenir au Royaume-Uni où vous avez eu une remarquable carrière politique. Elu sous les couleurs du Labour, en 1987, vous avez été membre du Cabinet de Tony Blair et ambassadeur du Royaume-Uni en Afrique du Sud. Vous avez été fait baron du royaume, nommé membre de la Chambre des Lords en 2010. Mais avant, quand Tony Blair vous a confié des fonctions ministérielles, vous avez été  qualifié par la presse britannique de “ first mixed-race Cabinet Minister.” Cet autre titre vous plaît ?
— Je ne me retrouve pas dans ce « titre ».  
Votre père a été un ministre socialiste du président Kwame ?
— Mon père était un socialiste, ce que je suis également. Je suis issu d’une famille de fonctionnaires. Mon père était un avocat et un activiste politique, ce que je suis également. Je suis né à Londres et j’ai été élevé au Ghana, dans une famille engagée dans la lutte pour l’indépendance et la transformation de son pays. Ma mère est écossaise, donc citoyenne britannique et je me sens tout à fait à l’aise avec les deux branches de ma famille, ce qui explique que le fait d’avoir été nommé baron ne me gêne pas. Puisque vous évoquez mon titre, permettez-moi de vous faire savoir que je suis baron Boateng of Akyem de la République du Ghana et du Comté de Brent à Wembley, au Royaume-Uni. Akyem est la région du Ghana d’où vient la branche paternelle de ma famille, et Wembley où j’ai habité et où j’ai commencé ma carrière politique. Je suis très fier que ces deux endroits qui sont très importants dans ma vie figurent dans mon titre.
Est-ce que votre élévation au titre de baron de la couronne britannique a été le «l’achievement » de votre vie publique ?
— Je ne dirais pas ça. Mon « life achievement » a été d’essayer tout au long de ma vie de construire des ponts entre personnes d’origines, de races et de cultures différentes. J’ai essayé d’être activiste dans la construction d’un monde plus égalitaire où les gens auraient plus d’opportunités, plus de droits civiques. Je me suis battu pour le  droit des personnes de se construire, de développer leurs potentialités, de s’exprimer en toute liberté à cause de la couleur de leur peau. Je me suis battu pour que les gens ne soient pas jugés sur leur apparence, sur la couleur de leur peau, mais sur des faits avérés. Ce sont des combats que je mène depuis des années et qu’il faut continuer parce que je ne crois pas qu’ils soient terminés. La haine et le rejet de l’autre continuent  malheureusement  à exister.
Sans doute sous des formes différentes aujourd’hui.
— C’est vrai. Ce sont des batailles qu’il faut continuer à mener. Ceci étant, tout en reconnaissant qu’il faut continuer, il faut aussi souligner que des avancées ont été faites ces dernières années. Nous vivons aujourd’hui dans un monde où les gens sont capables de reconnaître les qualités au-delà des différences de peau ou de race. Quand j’étais un adolescent et quand on voyait une personne noire à la télévision  britannique, c’était un évènement rare, alors que cela fait aujourd’hui partie des choses normales. J’ai tant pour moi.
Comment ont été vos débuts en politique au Royaume-Uni, vous qui n’êtes ni totalement blanc ni tout à fait noir ?
— Le fait que je suis, comme vous le dites, ni totalement noir, ni totalement blanc, ne m’a jamais posé de problème. Comme j’ai eu souvent l’occasion de le dire depuis cette période: ma couleur fait partie intrinsèque de ma personne, mais j’ai choisi de ne pas être défini en termes de couleur. Je ne me définis pas par rapport à ce que les gens peuvent dire de moi, de mon apparence, mais de ce que je suis. Je suis autant fier de mes racines africaines que britanniques. Je suis aussi fier de mon grand-père africain fonctionnaire que de mon grand-père britannique, qui a été obligé de quitter l’école à l’âge de 14 ans, mais qui était une des personnes les plus cultivées que j’ai rencontrées dans ma vie.
Question d’actualité politique à l’ancien ministre que vous avez été. Ces jours-ci, après les attentats de Paris, James Cameron, le Premier ministre britannique, est en train d’essayer de convaincre le Parlement de voter une intervention armée en Syrie. Vous êtes pour cette proposition ?
— Le Royaume-Uni doit tirer les leçons de son précédnt que la solution aux problèmes du Moyen-Orient doit être trouvée et négociée au Moyen-Orient, pas imaginée et imposée par Washington, Paris, Moscou ou Londres. Ce sont aux habitants du Moyen-Orient de déterminer les solutions pour l’avenir. Mais je dois dire que  ces solutions doivent être exemptes de la haine et de l’intolérance qui existent aujourd’hui dans cette région du monde, ce qui représente une menace pour la planète.
Selon un sondage publié en début de semaine à Londres, six Britanniques d’origine musulmane sur dix seraient d’accord avec l’action de l’Etat islamique. Votre commentaire ?
— Je ne peux croire ce sondage. Mon expérience de mes compatriotes d’origine musulmane me permet d’affirmer qu’ils  ne pensent pas de cette manière. Mes amis musulmans ne peuvent pas être d’accord avec les massacres perpétrés au début de novembre à Paris au nom de l’islam. Je sais qu’ils ont été très concernés, blessés même, par l’intervention britannique au Moyen-Orient, je sais qu’ils ont dû subir différentes formes d’islamophobie, ces dernières années. Mais je ne crois pas qu’au Royaume-Uni et dans n’importe quel pays d’Europe les musulmans qui y vivent supportent majoritairement Daesh et l’Etat Islamique. Je pense, au contraire, qu’il y a une grande majorité contre ceux qui défendent l’idée d’un  islam de la violence.
Est-ce que le monde d’aujourd’hui est plus facile que celui d’il y a vingt ans ?
— Nous avons quand même fait des progrès depuis ces dernières années. Nous devons reconnaître ces avancées et les protéger. Nous ne devons pas être complaisants, mais nous avons fait des progrès. Les jeunes d’aujourd’hui bénéficient d’opportunités qui n’existaient pas pour ceux de ma génération. Ils ont des possibilités d’interaction avec les autres, ils vivent dans un monde où même s’il existe des problèmes, on peut vivre librement, que l’on soit noir, femme, ou homosexuel et bénéficier de certaines formes de protections légales. Ces protections légales n’existaient pas quand j’étais jeune. Elles existent aujourd’hui et nous devons nous battre pour qu’elles continuer à exister, qu’elles soient améliorées.
Est-ce que vous êtes de ceux qui disent que l’Afrique est le continent de l’avenir du monde ?
—  L’Afrique a toujours été un continent avec un grand avenir. Mais on oublie de dire qu’il a eu un grand passé avec le grand Zimbabwe, les royaumes du Mali, du Ghana, la grande librairie de Tombouctou, les pyramides d’Egypte. Et quand on parle de science, de technologie et d’innovation, nous ne devons pas oublier que la civilisation romaine a appris de la civilisation grecque, qui elle-même avait appris des Egyptiens qui vivaient en Afrique. Il faut arrêter de dire que l’Afrique a un futur en oubliant qu’il a eu un grand passé.
 

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