CARTE D’IDENTITÉ À PUCE : Gouverner, c’est prévoir (1)

Imaginons le scénario suivant : nous sommes en l’an 2020 chaque Mauricien doit marcher en permanence avec une carte d’identité à son cou. Cette carte high-tech est une carte obligatoire car sans elle le citoyen est incapable de faire la moindre transaction comme acheter ses «commissions» au supermarché, voyager par autobus (ou monorail), aller au cinéma, etc. Cette carte permet d’identifier l’individu qui se présente et lui facilite la vie. C’est du moins l’objectif au départ mais il y a eu des dérives depuis. La perte de cette carte ou son dysfonctionnement rend la vie du porteur un enfer.
C’est vrai qu’en situation normale, pour le « bon citoyen », le citoyen docile, cela lui facilite la vie car elle rend les procédures administratives ultra-rapides. Une simple lecture de cette carte à puce, permet de tout savoir : nom, adresse, signature, empreinte, no. de téléphone, de taxe, de sécurité sociale, de passeport, de permis de conduire, de passeport, de port d’arme, de casier judiciaire, absolument tout. Le simple passage de cette carte dans un terminal permet d’obtenir instantanément toutes sortes d’informations sur le porteur avant même que celui-ci ait le temps de lever le petit doigt. Mais cette carte est aussi un couteau à double tranchant : elle est extrêmement utile pour les dociles, le citoyen tranquille et sans histoire mais une arme redoutable pour mettre au pas les opposants : ceux qui sont attachés à leurs droits et qui n’acceptent pas qu’on leur marche sur les pieds (journalistes, syndicalistes, membres de l’opposition, leur collaborateurs et ceux qui défendent leurs droits).
Carte polyvalente
Elle a la possibilité de contenir des informations aussi diverses que la banque du porteur, sa carte de crédit, sa maladie, les destinations de ses voyages passés, ses compétences, sa profession, religion et mille données différentes enregistrées sans que le porteur en soit conscient. En 2020, le pays est « tellement informatisé » que toutes les données concernant les citoyens sont enregistrées dans un ordinateur central (ou réseau de serveurs) de l’Etat. Cet ordinateur central se met à jour au fur et à mesure que des données lui sont fournies par divers services et tous les terminaux des autorités sont connectés 24/24 à cette machine. Lorsque les cartes sont lues, elles sont en même temps mises à jour à partir des données reçues entre chaque lecture. Le porteur de la carte, lui, ne sait absolument rien de ce qui se passe. On peut donc à son insu y insérer sa religion, sa tendance politique, les clubs privés qu’il fréquente, sa séropositivité, etc. Aucune transparence n’est possible. Vu le degré de miniaturisation, la carte a la possibilité de contenir autant d’informations que l’on veut. Le danger, c’est que ces informations sont sur un support que le porteur, lui, est incapable de déchiffrer car ces données sont cryptées. C’est toujours une tierce personne ayant accès à un terminal qui peut les lire – cette carte le met à nu sans qu’il ait la possibilité de s’opposer. Le porteur n’a plus le droit au silence, ni la possibilité de faire appel à son avocat s’il y a abus. On lui demande tout simplement sa carte d’identité et le tour est joué. Grâce à sa carte, tout est révélé avant même qu’il n’ouvre la bouche. Entre les mains d’un harceleur, d’un psychopathe et a plus forte raison d’un dictateur, cette carte est un moyen de faire de l’intimidation: on n’a qu’à y insérer une donnée compromettante.
Une dépense gigantesque
Réfléchissons maintenant sur les garanties de sécurité, la possibilité de bug, d’erreurs de manipulation. Rappelons que dans le passé le site du gouvernement a déjà été piraté (avec des images pornos). Ce qui veut dire qu’on a aucun moyen de s’assurer que ce ne sera pas le cas à l’avenir. Les informaticiens sont d’accord que n’importe quel logiciel contient des bugs. C’est la raison pour laquelle on fait sans cesse des mises à jour. Les bugs sont bien souvent découvert qu’en cours d’utilisation. De plus, dans le monde informatique on n’est pas à l’abri de virus et de vilains tours provenant de personnes malveillantes.
Considérons les coûts : ce système va coûter à l’Etat un milliard de roupies (loin des l30 millions prévues en 2010). Est-ce que dans ce coût est inclut le training, le transport des équipements, la mise en place, l’accommodation des ingénieurs, les salaires, la maintenance et le préjudice en cas d’erreur ? On n’en sait absolument rien. Le coût final du système, ne serait-ce que sur dix ans, est impossible à évaluer. Une dépense gigantesque qui sort de la poche des contribuables sans la moindre garantie de retour sur l’investissement.
Prenons exemple sur ce qui s’est passé avec le vote électronique. Les pays l’ayant utilisé ont été très déçus. Il y a eu des soupçons de fraude. On a eu des résultats aberrants comme le cas d’un candidat ayant obtenu un nombre de votes négatifs. Il y a eu une grande confusion de la part des votants car c’était impossible pour eux de contre-vérifier leur vote. Il n’y a aucune transparence car aucun recours n’est possible, parce qu’on ne peut pas faire de recount.
La dérive peut provenir d’un dictateur à venir. Un certain PM n’a-t-il pas dit qu’il a l’intention de régner pour encore 15 ans parce qu’il ne peut pas laisser le pays entre les mains des «amateurs». Précédemment n’a-t-il pas dit que tout le monde n’est pas fait pour devenir PM ? (Dans une démocratie, ces choix ne reviennent-ils pas au peuple ?) Est ce qu’on doit prendre ces paroles à la légère ? Est-ce qu’inconsciemment il n’est pas en train de nous laisser des indices ? Peut-on ignorer ces types de déclarations ? Pourquoi avoir donné ce contrat à des Singapouriens alors qu’on dispose de compétences locales ? Cela aurait certainement évité l’exode de devises précieuses en cette période de récession mondiale ? Pourquoi cette opacité sur les possibilités réels de ce nouveau système ? Quelles sont les garanties qu’il n’y aura pas une mauvaise utilisation ou une perversion du système ? Est ce que le système sera contrôlé par les organismes gouvernementaux ? Si on se base sur le traitement de l’information par la radio et la télévision nationale, on a des raisons d’être inquiets.
Les mauvaises données donnent de mauvais résultats
D’autre part, ce qui s’est passé dans le judiciaire tout récemment nous amène à penser que les banques sont pas plus sérieuses concernant la sécurité des données informatiques. Pour résumer, cette carte pourrait devenir un excellent moyen de surveiller, de contrôler, de manipuler et de filtrer les politiquement incorrects et les empêcheurs de tourner en rond.
Doit-on adopter un système qui n’a pas fait ses preuves ailleurs, qui coûte une somme d’argent énorme, surtout en cette période de récession et qui, de plus, ne garantit pas les résultats escomptés ? Tout récemment, le gouvernement s’est empressé d’investir plus de 170 millions dans une poignée de speed caméras qui ne marchent pas comme prévu. Ne doit-on pas plutôt faire preuve de prudence en évitant toute dépense inutile et non urgente et aider les secteurs les plus vulnérables de notre société ?
Comment éviter les fraudes, le piratage informatique, les virus ? Avons-nous l’expertise locale pour la maintenance de ce système «fait sur mesure» ou doit-on demander aux Singapouriens de venir à la rescousse en dressant leurs tentes chez nous ? Personne et je pèse bien mes mots, personne n’est en mesure de m’assurer que ce système est incorruptible. Dans le jargon informatique on dit G-I-G-O (Garbage In – Garbage Out). Les mauvaises données donnent de mauvais résultats. Ne doit-on pas réfléchir plusieurs fois, peser le pour et le contre avant de prendre une telle décision ?
Le système actuel n’est pas parfait certes, mais il permet d’éviter pas mal de dérives. Il permet aussi au citoyen d’exercer son libre arbitre : le porteur a la possibilité de décider ce qui est dans son intérêt de dévoiler et à quel moment il doit plutôt garder le silence et faire appel à son avocat. Cette carte d’identité à puce est un dangereux gadget, elle a une incidence directe sur la liberté individuelle. Les autorités pèchent par manque de communication. Cela permet au citoyen moyen que je suis, d’avoir toutes sortes de frayeur, d’avoir des doutes sur son utilité réelle et de faire opposition. Je peux à ce moment-là, au nom de ma liberté dire : «La carte d’identité à puce, moi je suis contre et je n’en veux pas.»   
Je lance donc une réflexion sur le sujet et j’invite les citoyens de tout bord, de tout âge, les gens de la presse, de la profession légale, les associations, les défenseurs des droits humains et autres à participer en apportant leur contribution.
Merci
Salutations

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