Kauppaymutho sur les catastrophes naturelles : « Toutes les prévisions des scientifiques s’avèrent vraies”

L’océanographe Vassen Kauppaymuthoo a bien voulu confier à Week-End ses vues sur les catastrophes naturelles qui frappent partout à travers la planète. Il confirme que les scientifiques ont fini par avoir raison sur l’effet de l’augmentation des gaz à effets de serre, causant une instabilité généralisée de tous les systèmes comme la circulation atmosphérique et la circulation océanique. Tout cela a contribué à ‘casser’ le climat et le système de régulation de la terre. Son constat est édifiant et il est grand temps, dit-il, que les Mauriciens et les pouvoirs publics se réveillent.

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l Les catastrophes les unes plus meurtrières que les autres frappent la planète, ces derniers temps, avec une violence inouïe… Quelles réflexions cela suscite chez vous ?

Ces catastrophes naturelles qui sont toutes liées au changement climatique causé par les humains ont été prédites depuis plus d’une décennie par les scientifiques. J’avais moi-même tiré la sonnette d’alarme à plusieurs occasions depuis les premiers évènements de pluies torrentielles dans le passé. Aujourd’hui, c’est un scénario apocalyptique qui se présente pour la planète.

l Feu, inondations, glissement de terrains, torrents de boue, tornades, cyclones, tremblement de terre, éruptions volcaniques… Jamais a-t-on vu autant d’évènements de ce type en si peu de temps. Que se passe-t-il ? 

Le changement climatique causé par les humains à cause de l’utilisation du pétrole et du charbon a provoqué un changement de composition de l’atmosphère avec une augmentation des gaz à effets de serre, dont le dioxyde de carbone. Cette dernière emmagasine désormais tellement de chaleur (comme une serre agricole) que la terre et les océans ne peuvent plus l’absorber. De ce fait, les océans et l’atmosphère surchauffent, causant une instabilité généralisée de tous les systèmes comme la circulation atmosphérique et la circulation océanique : notre planète s’effondre et n’arrive plus à faire face. Aujourd’hui, les scientifiques s’accordent sur le fait que nous avons ‘cassé’ le climat et les systèmes de régulation de la terre et que nous nous acheminons, de ce fait, vers une civilisation en fort déclin, voire en voie d’extinction. Les scientifiques ont même établi clairement un lien entre les effets du changement climatique et les volcans et les tremblements de terre pour donner suite aux fontes des calottes glaciaires et aux bouleversements du cycle hydrique, plus de pluies torrentielles suivies de sécheresses prolongées.

l Quels en sont les impacts ?

Les impacts vont bien au-delà d’étés plus chauds et d’hivers moins froids. Ce sont aujourd’hui les fonctions de base de la planète qui permettent à la vie de foisonner – les fameux Tipping Points – qui sont en train de s’effondrer les uns après les autres : arrêt de la circulation océanique globale, destruction de la cryosphère (glaciers) en Antarctique et en Arctique, fonte du permafrost, destruction de la forêt boréale, avec de forts risques que les forêts amazoniennes et équatoriales d’Afrique s’effondrent à leur tour, disparition des récifs coralliens et effondrement des écosystèmes marins, tremblements de terre, remontées de magma et volcanisme exacerbé. Tout est lié et il nous fait apprendre à avoir une compréhension globale et intégrée du changement climatique.

l Quels sont les dangers immédiats qui guettent Maurice ? 

Maurice est un petit État insulaire classé 51e sur 181 pays comme le plus exposé aux désastres naturels, selon le World Risk Report de 2021. Les évènements que nous avons connus ces dernières années : pluies torrentielles, inondations, cyclones surpuissants en formation dans la région, houles et submersion marines, sécheresses et canicules atmosphériques mortelles – le Wet Bulb Effect –, mais aussi marines, niveau de la mer qui monte à un rythme accéléré, tous ces évènements sont aujourd’hui inéluctables. Face à cette situation, la population doit se préparer. D’autant que le changement climatique aura de plus en plus d’impacts négatifs sur la production agricole en raison de la diminution des réserves hydriques, de la multiplication des épisodes extrêmes tels que les inondations et les cyclones violents, de l’augmentation du stress thermique et de la prévalence grandissante des parasites et des maladies.

l Avec l’arrivée de l’été, que doit-on redouter ? À quel point doit-on s’inquiéter ?

Basé sur ce que nous avons vu cette année dans hémisphère nord, il faudra nous attendre à une sècheresse prolongée avec des penuries d’eau graves. Cette sècheresse laissera fort probablement la place à des pluies torrentielles causant des inondations encore plus importantes que celles que nous n’ayons jamais connues, avec des glissements de terrain, surtout sur les flancs de montagnes où il y a eu des constructions récentes ou des constructions en cours. L’énergie phénoménale emmagasinée dans l’atmosphère et les océans verra la formation de cyclones encore plus intenses que Fantala ou Freddy qui battront encore les records en intensité et en dégâts causés aux infrastructures. Je pense que notre économie risque d’en subir de fortes conséquences.

l Que faut-il que nous fassions pour s’y préparer ?

La première étape est de comprendre qu’aujourd’hui, toutes les prévisions des scientifiques s’avèrent vraies. Nous avons trop longtemps minimisé les risques pour l’image. Aujourd’hui, c’est le jour de verité, il faut y faire face. Pour cela, l’approche est double : diminuer l’utilisation des combustibles fossiles comme le pétrole et le charbon pour diminuer la quantité de dioxyde de carbone rejetée dans l’atmosphère – atténuation climatique. Il faudra, en parallèle, comprendre que certaines zones à Maurice deviendront invivables et qu’il faudra organiser une migration interne pour éviter les zones côtières, la capitale, les zones humides, les flancs de montagne, les abords de rivières et les zones inondables : en deux mots, il faudra s’adapter.

l Les pouvoirs publics sont-ils prêts à affronter ces dangers et nous protéger ? 

Une division spécifique du ministère de l’Environnement, de la Gestion des déchets et du Changement Climatique s’occupe, désormais, spécifiquement du Changement Climatique pour donner suite à la mise en place du cadre légal, Climate Change Bill. Plusieurs études ont déjà été menées avec l’assistance de l’Agence Française de Développement dont l’Étude de Vulnérabilité de Maurice par rapport au changement climatique – le Climate Change Vulnerability Assessment – et le Plan de Gestion de l’Écoulement des Eaux (Land Drainage Master Plan). Des recommandations fortes ont découlé de ces rapports, mais leur implémentation reste encore timide à cause des implications économiques. Cependant, le jour viendra où il faudra faire face à la dure réalité : le monde dans lequel nous vivons ne sera jamais plus comme avant, et nos systèmes économiques, sociaux et environnementaux sont en train de montrer des fissures qui présagent un effondrement “civilisationnel” et une réorganisation des systèmes vivants restants sur terre.

l Et pourtant, le pays continue fondamentalement à ne rien changer sur le fond ?

C’est pour cela que je ne comprends pas comment, face à une telle situation, notre pays produit encore 70% de notre électricité à partir de produits pétroliers et que des développements comme ceux sur les flancs de montagnes ou les abords de rivières ou encore les zones humides ont pu être autorisés ou font l’objet de demandes d’autorisations auprès des autorités. Ce sont définitivement des investissements spéculatifs qui seront amenés à s’effondrer avec la situation actuelle et beaucoup d’investisseurs ou d’acheteurs étrangers perdront leurs investissements. De la même façon, nous devons avoir une approche cohérente face aux catastrophes naturelles liées au changement climatique et aller vers les énergies propres, plutôt que de favoriser les recherches pétrolières dans notre Zone Économique Exclusive.

l À vous écouter, tout n’est pas perdu ?

Tous ces signaux contradictoires ne font que prouver que nous ne sommes malheureusement pas encore allés assez loin dans les catastrophes naturelles liées au changement climatique pour, enfin, comprendre qu’il nous faut changer. Pour certains, c’est toujours le business as usual et le taux de croissance des profits, sans se soucier des impacts. Pourtant, des alternatives existent : transformer notre économie en développant l’économie bleue et l’économie verte, construire des pistes cyclables, replanter des forêts, accepter que notre capacité de développement a atteint des limites et qu’il nous faut aujourd’hui comprendre qu’avec l’effondrement de la population, il nous faudra désormais accepter la décroissance économique et la métamorphose de nos systèmes économiques.

 

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