Des « messieurs tout le monde »…

Outre les attaques et féminicides dont l’actualité regorge encore cette semaine, à Maurice comme ailleurs, il y a cette affaire qui interpelle peut-être en ce moment encore plus violemment. Ce qu’on appelle en France l’affaire Pelicot. Ou le procès des viols de Mazan, qui a démarré le 2 septembre 2024 et qui, chaque semaine depuis, amène son lot de révélations effarantes.

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Au cœur de cette affaire, un homme, Dominique Pelicot, accusé d’avoir, de 2011 à 2020, drogué sa femme Gisèle, aujourd’hui âgée de 72 ans, et d’avoir recruté en ligne quelque 80 hommes pour qu’ils viennent, à tour de rôle, la violer pendant qu’elle était inconsciente. En filmant le tout.

Comme tant d’autres, cette affaire aurait pu ne jamais avoir été révélée. Elle débute de façon indirecte le 12 septembre 2020, lorsqu’un vigile dans un supermarché de Carpentras, ville du sud de la France, interpelle un homme surpris en train de filmer sous les jupes des clientes… L’une d’entre elles ayant porté plainte, l’homme est arrêté. En fouillant son téléphone et son ordinateur, saisis à son domicile à Mazan, les enquêteurs vont tomber sur des milliers de photos et de vidéos de son épouse, inconsciente dans sa chambre, en train d’être violée par des dizaines d’hommes.

La suite de l’enquête révèle que Dominique Pelicot utilisait un site en ligne pour inviter des hommes à venir avoir des relations avec son épouse. Au préalable, il l’endort en utilisant de puissants anxiolytiques (des doses qui auraient pu la tuer selon des médecins). Au total, d’après les images recueillies, elle aurait été violée 92 fois par quelque 80 hommes en dix ans, sans « aucun souvenir ». Gisèle Pelicot tombe en effet detrès haut lorsque, en 2020, alors qu’elle a 68 ans, la police lui révèle ce dont elle a été victime pendant toutes ces années.

Aujourd’hui âgé de 71 ans, Dominique Pelicot, ex-salarié d’EDF, ne souffrirait selon les experts psychiatriques qui l’ont examiné, « d’aucune pathologie ou d’anomalie mentale » mais d’une « déviance sexuelle ou paraphilie de type voyeurisme « . Son entourage le décrit comme gentil, affable, totalement « normal ».

Lui a déclaré avoir subi deux agressions sexuelles pendant sa jeunesse : un viol par un infirmier lors d’une hospitalisation à l’âge de neuf ans, puis sur un chantier où il était apprenti à l’âge de 14 ans, où il aurait, selon ses dires, été forcé de participer au viol collectif d’une jeune femme handicapée. « J’avais toujours ces traumatismes derrière moi. On ne naît pas comme ça, on le devient », a-t-il tenté de justifier.
L’homme a reconnu sa culpabilité dans les faits qui lui sont reprochés.

« J’ai tenu 40 ans, j’étais très heureux avec elle (…). Elle ne méritait pas ça, je le reconnais. Je suis coupable de ce que j’ai fait. Je prie ma femme, mes enfants, mes petits-enfants (…) de bien vouloir accepter mes excuses. Je demande pardon, même si ce n’est pas acceptable. Elle était merveilleuse et moi j’étais à côté de la plaque. Je l’ai bien aimée 40 ans et mal aimée 10 ans. Je n’aurais jamais dû faire ça. J’ai tout gâché, j’ai tout perdu. Je dois payer », a-t-ildéclaré cette semaine en Cour.

Ayant d’abord voulu que le procès se déroule à huis clos, puis ayant accepté qu’il soit public pour que « la honte change de camp » la victime, Gisèle Pelicot, a déclaré à la barre : « Pas une seule seconde je ne pouvais douter de cet homme en qui j’avais tout confiance. J’ai aimé cet homme pendant 50 ans, je lui aurais donné mes deux mains à couper ».
Le procès qui se déroule actuellement, c’est aussi celui de 50 autres hommes qui ont pu être retracés grâce aux images recueillis. Celles-ci n’ont pas permis de reconnaître 30 autres hommes qui auraient aussi abusé de Gisèle Pélicot.

Ces 50 hommes, ce sont des « monsieur tout le monde ». Âgés entre 21 et 68 ans, ils sont boulanger, pompier, militaire, artisan, électricien, journaliste… Selon les experts psychiatriques, la majorité d’entre eux ne souffrent d’aucune pathologie psychique notable. La plupart ont des casiers judiciaires vierges, ou se signalent pour des infractions ou des délits considérés comme mineurs. Certains ont des problèmes d’alcool, ou révèlent une instabilité professionnelle. Certains disent qu’ils ont cru, en allant sur le site, qu’ils avaient affaire à un couple échangiste, et qu’ils se rendaient au domicile du couple pour un plan à trois. Mais qu’est-ce qui explique qu’en voyant la femme inconsciente, ils aient quand même décidé de rester, et de la pénétrer sans son consentement ?

Dans la foulée, s’est manifestée l’habituelle réaction, qui proclame que « tous les hommes ne sont pas des violeurs ».Certes tous les hommes ne sont pas des violeurs. Certes, il y a des hommes qui sont victimes de dénonciations calomnieuses venant de femmes auxquelles les opposent divers types de litiges. Mais pourquoi en revient-on toujours systématiquement à cette ligne de défense-agression ? Pourquoi n’est-il pas possible, d’abord et avant tout, de prendre acte de cette affaire particulière dans toute sa dimension hors norme, sidérante, choquante. Ces faits se sont réellement passés. Pourquoi nous est-il impossible de nous interroger, réellement, sur le fait que ce sont très trèsmajoritairement les hommes qui attaquent les femmes dans leur intimité ? Pourquoi reculer devant ce qui, dans notre histoire, dans nos lois, dans nos organisations sociales, dans notre psyché, favorise et entretient ce sentiment, si largement répandu, de “toute-puissance” sur le corps féminin ? Pourquoi la difficulté à reconnaître, et interroger le caractère systémique de cette violence, dont l’affaire Pélicot n’est qu’une horrible manifestation ?

Dans le sillage de cette affaire, Morgan N. Lucas, essayiste etspécialiste des questions de genre, a fait publier cette semaine dans le journal Libération une « feuille de route » qui appelleles hommes à sortir du silence et de l’inaction face aux violences sexuelles.
« Beaucoup disent que le procès des 51 violeurs est en réalité le procès de la masculinité. Beaucoup s’en offusquent, trouvant de bon ton de s’indigner parce qu’ils sont mis dans le même panier plutôt que de s’insurger face aux atrocités orchestrées par Dominique Pelicot et adoubées par tant d’autres hommes. Aujourd’hui pourtant, la question se pose : sept ans après le début de #MeToo, où en sommes-nous ? Qu’avons-nous appris ? Comment nous sommes-nous positionnés ? Où sommes-nous lorsque nos potes, nos collègues, nos frères ont des comportements ou des propos sexistes ? Où sommes-nous lorsque les femmes sont agressées  Sans doute occupés à questionner la crédibilité de la victime, tout en affirmant que «pas tous les hommes», encore moins nous.

« Pourtant, l’affaire Pelicot nous l’a prouvé, la violence masculine n’est pas une affaire de monstres, c’est une affaire d’hommes, de monsieur Tout-le-Monde » écrit Morgan N. Lucas. « Dire «tous les hommes», c’est parler de violences systémiques perpétrées par tous les hommes, parce que tous les hommes, sans exception, bénéficient d’un système qui domine les femmes. Et puisque nous sommes tous le problème, nous pouvons tous faire partie de la solution ».

Signée par plus de 200 hommes, dont Gaël Faye, Guillaume Meurice, Eddy de Pretto ou Waly Dia, cette feuille de routepropose aux hommes dix conseils pratiques, allant de l’acceptation de se remettre en question à l’écoute active des femmes, en passant par l’examen des privilèges des hommes, le respect du corps d’autrui et du consentement.
Une initiative applaudie par certains, mais aussi critiquée par d’autres, qui dénoncent notamment la présence, parmi les signataires, de personnes violentes qui utilisent ce moyen pour se dédouaner et s’assurer une certaine impunité.
A quel moment arriverons-nous donc à parler, ensemble, de la nécessité urgente de changement d’une société dont la violence vis-à-vis des femmes est une réalité toujours en pleine ampleur, toujours plus intense, toujours plus horrible ?

SHENAZ PATEL

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