Dilo lor bred sonz

Le ministre de la Santé est décidément un cas à part.
« Enn case », pourrait-on dire dans ce kreol savoureux qui sait, quand le besoin se fait sentir, quand emprunter des mots au français, à l’anglais et même aux langues orientales. Le ministre de la Santé est un « case » dans la mesure où il est capable de changer de discours d’une minute à l’autre ou d’essayer de se défausser sur d’autres, plus particulièrement les membres du personnel de son ministère, pour refuser d’assumer ses responsabilités. À ce niveau, et pour tenter de se dédouaner, il a adopté la fameuse phrase de sir Anerood Jugnauth : « Pa mwa sa, li sa ». Le plus spectaculaire retournement de veste et changement de propos du ministre a eu lieu en direct à la télévision, en 2019. Le Covid, cette épidémie dont on n’a toujours pas retracé l’origine, venait de faire son apparition et sa rapide progression à travers la planète commençait à provoquer une immense inquiétude. À Maurice, toute la population était inquiète, sauf le ministre de la Santé, puisqu’il participa à une émission de télévision pour affirmer que toutes les précautions avaient été prises — implicitement par lui — pour que Maurice n’ait pas à subir l’épidémie. Cinq minutes plus tard, toujours à la télévision, le Premier ministre annonçait la fermeture des frontières et le début d’un confinement sanitaire pour faire face … au Covid. Le fait d’entendre démentir par le Premier ministre ce qu’il venait tout juste d’affirmer n’a pas semblé gêner outre mesure le ministre de la Santé. Dilo lor bred sonz.
C’est donc sans surprise qu’on a entendu le ministre de la Santé répondre à la PNQ du leader de l’opposition sur le manque criant d’hygiène dans certains hôpitaux. Le leader de l’opposition avait construit sa question sur un rapport de l’audit interne du ministère parlant de « l’état déplorable des conditions hygiéniques dans trois hôpitaux. » Au rapport de l’audit avait succédé une vidéo réalisée par deux députés de l’opposition dans les stores des hôpitaux mentionnés et montrant des produits en boîte ayant dépassé la date d’expiration, des légumes avariés, pour ne pas dire pourris, qui sont utilisés pour les repas destinés aux malades. Au lieu de s’alarmer des constatations de l’audit et des images vidéo montrant l’état d’hygiène déplorable de certains hôpitaux, savez-vous ce qui a scandalisé le ministre de la Santé ? Le fait que les députés de l’opposition ne lui aient pas demandé l’autorisation d’aller filmer dans les stores ! En ce qui concerne les légumes avariés, savez-vous quelle a été la réponse du ministre ? Que les légumes se décomposent, même ceux que l’on conserve au réfrigérateur. Dans une tentative de noyer la polémique, le ministre a lancé que toute façon, « il n’y a eu aucune plainte officielle venant de patients ou d’employés de l’hôpital concernant la qualité de la nourriture. » Comme si les patients savaient avec quels produits on préparait leur nourriture et comme si les employés qui les font allaient porter plainte ! Toujours pour disculper ses services, le ministre de la Santé a aussi fait des allusions sur la qualité de la nourriture servie dans des cliniques privées. Pour finir, le ministre a avancé que l’opposition était en train de chercher la petite bête, car elle « est en chute libre après le verdict du Privy Council. Elle veut détourner l’attention de cette gifle magistrale qu’elle a reçue. »
Tout ce qui précède relèverait du gag s’il ne s’agissait d’un sujet éminemment sérieux : l’absence d’hygiène dans les hôpitaux. C’est dans ces lieux que plus que n’importe où on s’attend que les règles les plus strictes d’hygiène soient mises en pratique. Si c’était le cas, comment de fait-il que l’audit interne du ministère ait produit le rapport en question ? Ses auteurs seraient-ils, eux aussi, en train de chercher la petite bête après le jugement du Privy Council ? Mais de toutes les critiques, d’où quelles viennent et quoi qu’elles puissent dire, le ministre n’accepte pas qu’on puisse remettre en question les pratiques de son ministère. Les critiques elles passent sur lui sans l’atteindre. Kouma dilo lor bred sonz.

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Jean-Claude Antoine
PS : Si les critiques ne visaient qu’à chercher la petite bête, pourquoi est-ce que deux administrateurs d’hôpitaux figurant dans le rapport de l’audit ont été transférés vendredi ? Est-ce que les critiques ont fini par percer la feuille de songe ?

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