Diplomatie et souveraineté territoriale : Maurice s’adresse aux États-Unis sur les Chagos

  • L’ambassadeur Jagdish Koonjul : « This is the perfect moment for the United States to seize the opportunity to enter into a long-term lease agreement with Mauritius »
  • Face à l’attitude intransigeante d’un Boris Johnson revigoré par sa confortable victoire aux élections, Maurice pourrait redoubler d’efforts aux Nations unies avec une nouvelle résolution après l’échéance du rapport du SG de l’ONU en mars/avril 2020
  • Pression accentuée sur le front international avec l’inscription du séga tambour des Chagos au patrimoine culturel de l’UNESCO

Avec le rapport du secrétaire général des Nations unies, Antonio Gutteres, sur la résolution 73/295 du 22 mai dernier sur le départ des Britanniques de l’archipel des Chagos, annoncé pour mars/avril de l’année prochaine, Maurice compte avoir recours à d’autres initiatives politiques et diplomatiques sur le front international. S’appuyant sur la récente victoire électorale de Boris Johnson en Grande-Bretagne, le Premier ministre, Pravind Jugnauth, a cru utile de faire un appel du pied au nouveau gouvernement britannique en vue de rectifier éventuellement le tir sur les Chagos. C’était lors du dîner annuel en l’honneur des membres du corps diplomatique vendredi. Presque en simultané, dans un article intitulé Breaking up with Britain : Why Mauritius wants an agreement with America, publié en date du 13 décembre dans The National Interest et bénéficiant d’une large diffusion sur internet, le représentant permanent de Maurice aux Nations unies, l’ambassadeur Jagdish Koonjul, s’adresse directement aux autorités américaines pour un dénouement à l’affaire des Chagos. Il réitère la position de Port-Louis par rapport à Washington au sujet d’un long term lease pour assurer la pérennité de la base militaire de Diego Garcia. En parallèle, l’inscription du séga tambour des Chagos au patrimoine culturel immémorial de l’UNESCO ouvre un autre front dans le cadre de la campagne internationale de sensibilisation en faveur de la reconnaissance de la communauté chagossienne.

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Dans l’article, qui pourrait s’inscrire dans une stratégie visant à brasser large en vue d’isoler diplomatiquement la Grande-Bretagne sur le plan international, l’ambassadeur Koonjul, qui est « in the front line » de l’offensive sur les Chagos, souligne d’emblée que « the United States and Mauritius share a clear national interest — preserving the US naval base on Diego Garcia, the largest island of the Chagos Archipelago in the Indian Ocean. The base is vital not only for US security interests but for the stability and security of the entire Indo-Pacific region. » Le diplomate mauricien met en exergue le fait qu’en dépit de la période moratoire de six mois imposée par l’Assemblée générale des Nations unies, « that deadline (not later than November 22 of this year) has passed without the British ending their illegal control over the islands ». Néanmoins, il attire l’attention des Américains sur le fait que les développements susceptibles d’intervenir aux Nations unies « could clearly affect the future of Diego Garcia base ». Confirmant l’engagement de Maurice pour le maintien de Diego Garcia « as a strategic US facility », Jagdish Koonjul réitère la proposition à l’effet que « Mauritius is also willing to enter into a long-term lease agreement with the United States, which would go beyond the duration of the current UK-U. S.lease which expires in 2036 » en ajoutant que « Mauritius has made this pledge publicly before the International Court of Justice and the United Nations General Assembly (UNGA) and, most importantly, directly to the US government ». Étayant ses dires, l’ambassadeur Koonjul rassure les Américains que « such an arrangement provides long-term stability to the United States instead of reliance on the United Kingdom as its « landlord » — a situation that is now legally unsustainable and becoming increasingly untenable politically ». Il fait également comprendre que « the International Court of Justice’s ruling constitutes a serious blow to British legitimacy and credibility around the world, including among its (soon-to-be-former) partners in the EU, many of which joined in the UNGA vote demanding the UK’s departure from the Chagos Archipelago within six months. Indeed, Britain will find itself increasingly isolated diplomatically. » Dans cette plaidoirie diplomatique aux Américains, Maurice apporte une nouvelle dimension stratégique en brandissant les étroites relations entretenues avec l’Inde. « Mauritius has also long been a close partner of India and values the development of closer strategic ties between India and the United States », note l’article du représentant permanent de Maurice à New York. En conclusion, Jagdish Koonjul s’appesantit sur le fait que « this is, therefore, the perfect moment for the United States to seize the opportunity to enter into a long-term lease agreement with Mauritius. This would provide a stable and long-term arrangement for the base at Diego Garcia and thus serve the long-term interests of the United States in the region. As the United States seeks to ensure that the Indo-Pacific region is strong, stable, and secure, Mauritius is fully committed to being its reliable partner in this important endeavor. »

Décolonisation complète

Néanmoins, des observateurs politiques et diplomatiques sont quelque peu sceptiques quant aux chances de réussite de cette initiative en direction des Américains en raison de l’alchimie politique entre le président Donald Trump et le Premier ministre britannique, Boris Johnson, surtout au lendemain de cette « decisive electoral win », comme l’a qualifiée Pravind Jugnauth. De ce fait, la fallback position de Maurice se résumera à poursuivre la campagne d’isolement de la Grande-Bretagne sur le plan international, et ce, jusqu’aux conclusions du rapport du secrétaire général des Nations unies à la fin du premier trimestre de l’année prochaine. « Il est évident qu’après les élections du 12 décembre, il ne faudra pas s’attendre à voir Boris Johnson changer de position sur les Chagos. Mais Maurice n’aura d’autre choix que de continuer à jouer la carte en objectant à la présence et à la revendication de la Grande-Bretagne en tant que Coastal State dans des instances internationales et surtout aux Nations unies. Des objections déjà formulées à l’Indian Ocean Tuna Commission devront être renforcées dans d’autres instances. Et pourquoi pas une nouvelle résolution à l’assemblée générale des Nations unies condamnant Londres pour son refus d’obtempérer sur les Chagos après le rapport d’Antonio Gutteres en mars/avril prochain. C’est une option à étudier et à envisager pour assurer la décolonisation complète de la république de Maurice », lâchet-on du côté de Lakwizinn du Prime Minister’s Office. Mais dans l’immédiat, Maurice et la communauté chagossienne célèbrent une autre avancée dans ce combat sans relâche. La délégation, dirigée par le ministre des Arts et de la Culture, Avinash Teeluck, et comprenant le leader du Groupement des Réfugiés des Chagos (GRC), Olivier Bancoult, rentre cet après-midi de Colombie. L’Intergovernmental Committee for the Safeguarding of the Intangible Cultural Heritage, qui s’est réuni au cours de la semaine à Bogota, a donné un avis favorable pour l’inclusion du séga tambour des Chagos au patrimoine de l’UNESCO. Et ce n’est pas Olivier Bancoult qui ne reconnaîtra pas le soutien international à la cause des Chagos. « Plizir pei finn soutenir demann Moris pou konserv sa sega Sagos-la kouma enn eritaz ki bizin sovgarde. Nou fier ki lamisik Sagos, sega tambour Sagos, finn dekrete kouma leritaz mondial par l’Unesco », devait-il concéder publiquement après l’annonce de Bogota dans la nuit de mardi à mercredi.

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