Dr Pankaj Wadhwa : « Le cancer peut s’attaquer à n’importe qui ! »

Depuis quelques semaines, l’AEGLE Cancer Hospital a ouvert, dans la plus grande discrétion, ses portes dans le Business Park de Rose-Belle. Son principal promoteur, le Dr Pankaj Wadhwa, citoyen mauricien né en Inde, a accepté de répondre à nos questions sur les étapes de son projet qu’il espère pouvoir exporter en Afrique. Le Dr Wadhwa souligne aussi la nécessité de faire prendre conscience aux Mauriciens que n’importe qui peut avoir un cancer et que la meilleure manière de s’en protéger est de se faire dépister.

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l Qu’est-ce qui a poussé le ressortissant indien que vous êtes à venir ouvrir un hôpital spécialisé dans les traitements des cancers à Maurice ?

— Je suis un Mauricien, d’origine indienne, élevé et ayant grandi à la Nouvelle Delhi, où j’ai fait mes études secondaires et universitaires. Ma famille est dans le commerce des équipements et produits pharmaceutiques, et c’était plus ou moins normal que je fasse des études de médecine. Au cours de mes études en Inde pour devenir un Interventional Pain and Spine Specialist, j’ai fait la connaissance d’une étudiante mauricienne, Teenushka Issarsing, qui étudiait la gynécologie. Nous sommes tombés amoureux, nous nous sommes mariés, avons travaillé en Inde après nos études, avant de renter à Maurice pour y vivre. Pendant ce temps, le business de mes parents s’est développé notamment en Afrique. Par la suite, nous avons créé Elysium Healthcare Ltd, une compagnie africaine basée a Maurice, dont l’objectif est de devenir un healtcare provider de haut niveau sur le continent et offrir différents services dans la conception, la construction, la mise en place et le fonctionnement de projets d’établissements de santé. Nous sommes présents dans une quinzaine de pays, dont l’Inde, et à l’heure où je vous parle, nous en sommes en négociation avec les autorités du Rwanda pour la construction d’un hôpital sur le modèle de celui de Rose-Belle que vous venez de visiter.

l Si votre compagnie connaît autant de succès en Afrique, qui est un immense marché, pourquoi vous êtes-vous implanté à Maurice pour ouvrir une clinque spécialisée dans le traitement des cancers ?

— Permettez-moi de vous corriger : je ne viens pas m’implanter à Maurice, je vis ici. Je suis rentré avec mon épouse et nous avons exercé tous les deux dans le privé. Je ne suis pas arrivé ici en tant qu’investisseur, mais comme un médecin, un Interventional Pain and Spine Specialist, et j’ai travaillé pendant plusieurs années dans pratiquement toutes les cliniques du pays, ce qui m’a permis d’avoir une certaine connaissance du système médical mauricien. Avec mon épouse, mon beau-frère, qui est également médecin, et l’aide de ma belle-famille, nous avons décidé d’ouvrir une clinique dans une région où cette infrastructure médicale n’existait pas : Flacq. Nous avons conçu et réalisé un projet qui irait de pair avec les activités d’Elysium Healthcare Ltd, la société dont fait partie d’ailleurs la clinique de Flacq. Elle a été ouverte en 2018 et a acquis une bonne réputation. Cette expérience nous a encouragés à travailler sur un autre projet de clinique. Comme nous ne dispositions pas de terrain à Flacq, et comme nous avions des besoins spécifiques, nous sommes allés à Rose-Belle, dans le Business Park qui devait devenir un hub médical.

l Mais pourquoi une clinique sur les cancers qui n’est pas votre spécialité ni celle de votre épouse ?

— Malheureusement, les cancers concernent pratiquement toutes les branches de la médecine et tous les aspects de la vie d’aujourd’hui. Nous avons eu l’occasion, lors de nos études médicales, de suivre des cours sur le cancer et, dans notre pratique médicale, nous sommes souvent confrontés à cette maladie. Avec l’ouverture de la clinique de Flacq, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait de nombreux patients qui découvraient tardivement qu’il étaient atteints de cancer à un stade avancé de la maladie. Dans certains cas, il était trop tard pour les soigner efficacement, avec espoir de les guérir. Pendant ma pratique médicale à Maurice, je me suis rendu compte de la progression de cancers et la nécessité d’ouvrir un centre pour la détection de cette maladie s’est imposée. C’est pour cette raison que nous avons pensé ouvrir un centre de détection du cancer pour permettre aux éventuels malades de se faire soigner à temps. L’idée était d’envoyer le patient avec ses résultats se faire soigner dans le public ou le privé.

Au départ, nous avons pensé à ouvrir un centre de diagnostic pour le cancer avec l’acquisition du matériel nécessaire sans réaliser la complexité de la démarche. Au fur et à mesure, nous nous sommes rendu compte qu’il fallait offrir non seulement le diagnostic, mais en cas de découverte de la maladie, proposer le ou les traitements appropriés sur place. L’idée d’ouvrir une clinique spécialisée dans les différents traitements de la maladie s’est imposée. Nous avons réfléchi, travaillé et modifié les plans en conséquence de la nouvelle dimension du projet en y a joutant de nouveaux équipements. Nous avons commandé des appareils de détection sophistiqués, ce qui se fait de mieux en Europe et aux USA, là où sont fabriqués les meilleurs équipements et appareils médicaux utilisés dans le monde entier. Des appareils qui sont capables de détecter ce que d’autres machines, moins avancées, sont incapables de faire. En plus, les résultats de chaque examen sont analysés par l’équipe sur place, mais également envoyés à des spécialistes basés en Inde pour un nouvel examen avant que le diagnostic ne soit remis au patient, avec les recommandations nécessaires.

Donc, le plan de départ a évolué, et c’est ainsi que le bâtiment qui devait être construit sur un seul niveau a été agrandi et plusieurs étages ont été ajoutés pour augmenter les services offerts. Nous avons deux types de chambres pour les patients qui doivent être hospitalisés et une section pour les patients qui viennent se faire dépister ou suivre un traitement de quelques heures. Pour ceux-là, une attention particulière a été apportée à leur confort.

l Effectivement, on a plus l’impression en visitant votre clinique d’être dans un hôtel plusieurs étoiles que dans un établissement médical. Ce bâtiment, son ameublement, sa décoration et surtout ses équipements médicaux up to date ont dû coûter une véritable fortune. Comment avez-vous financé ce projet ?

— La création de cet hôpital a nécessité un investissement de Rs 700 millions. Nous avons obtenu des emprunts de deux banques qui nous avaient déjà soutenus pour la construction de la clinique de Flacq. Il est évident que le fait que nous avons remboursé les prêts pour la clinique de Flacq a incité les deux banques à soutenir notre projet d’hôpital contre le cancer. En sus des garanties personnelles que nous avons apportées.

l C’est un investissement commercial intéressant sur un marché porteur ?

— Nous sommes d’abord et avant tout des médecins, pas des businessmen. Il y a, bien sûr, l’aspect financier de ce projet à prendre en considération. Les banques ne vont pas voir prêter de l’argent si vous leur présentez un projet qui n’est pas viable commercialement. Mais nous ne sommes pas en train d’investir sur un marché porteur, nous ne sommes pas en train de faire une simple opération commerciale qui va rapporter : nous sommes en train d’offrir un service, de répondre à un besoin urgent. Car vous le savez sans doute, faute de disponibilité locale, beaucoup de Mauriciens sont obligés d’aller se faire dépister et se soigner à l’étranger. Nous offrons un service complet qui n’existe pas encore à Maurice

l J’insiste : face aux prix pratiqués dans le secteur médical, on pourrait avoir le sentiment que certains praticiens et certains établissements réfléchissent surtout en termes de rentabilité !

— Je ne vais certainement pas faire de commentaire sur ce que vous venez de dire. Je souhaite mettre notre expérience, notre infrastructure, notre matériel dernier cri et notre personnel hautement qualifié à la disposition non seulement des Mauriciens, mais aussi des habitants de îles voisines pour lutter efficacement contre le cancer.

l Avec votre beau bâtiment, vos équipements up to date, est-ce que le coût des consultations n’est pas obligatoirement élevé, donc hors de portée du grand nombre ?

— Nous avons établi nos tarifs en étudiant ceux pratiqués par trois pays où les Mauriciens vont faire leur diagnostic : l’Inde, l’Afrique du Sud et La Réunion. À l’heure où je vous parle, nos tarifs sont moins élevés que ceux des pays que je viens de mentionner, et cela sans compter les billets d’avion, les frais de séjour et le temps que prennent les démarches pour les patients qui doivent se déplacer à l’étranger. Ici, nous proposons un dépistage complet, dont les résultats sont vérifiés et contre-vérifiés, plus une chambre et la possibilité de commencer immédiatement un traitement s’il le faut, puisque nous disposons du personnel et des équipements nécessaires pour le faire.

l Et que se passe-t-il pour les patients qui n’ont ni les moyens ni une assurance médicale ?

— Nous avons créé l’Aegle Cancer Foundation, une fondation qui, en respectant certaines conditions, subventionne le coût financier du traitement des patients qui ne disposent pas de moyens financiers adéquats et leurs familles.

l Selon les statistiques du Global Cancer Observatory, il y a eu en 2020 à Maurice 3 000 nouveaux cas de cancers et
1 500 décès dus à cette maladie. Que faut-il faire pour diminuer ces chiffres ?

— Il faut informer les Mauriciens pour leur faire prendre conscience de la gravité de cette maladie. Actuellement, les Mauriciens pensent en général que le cancer ne les concerne pas, que c’est le problème des autres, de ceux qui en sont atteints. Ils se croient protégés et n’ont pas le réflexe d’aller se faire dépister. C’est pour cette raison que quand on découvre des cancers en allant consulter pour une autre maladie, il est souvent trop tard parce que la maladie a eu amplement le temps de se développer. Les causes d’un cancer peuvent être multiples et associées à beaucoup de facteurs comme la nourriture, l’alcool, le tabac, le manque d’exercice physique. Parfois une toute petite maladie mal soignée, ou carrément ignorée, peut déboucher à la longue sur un cancer. Je ne dis pas que c’est systématique, mais par mesure de précaution, pour ne prendre aucun risque, il faut se faire dépister. Je ne veux pas être alarmiste, mais si vous sentez que quelque chose ne fonctionne pas normalement dans votre organisme et que cela dure, allez consulter et vous faire dépister. Le dépistage du cancer est un des seuls moyens de soigner à temps les victimes de cette maladie.

Il faut aussi intégrer le fait, médicalement prouvé, que tout le monde peut avoir un cancer, même les personnes qui ne boivent pas, ne fument pas, ont un régime alimentaire strict, sont végétaliennes, font de l’exercice physique. Nous sommes tous des cancéreux en puissance, certains d’entre nous ont des prédispositions ou vivant dans des conditions qui permettent le développement des cellules cancéreuses dans leur organisme. Le cancer, c’est une dégénération de cellules qui se propagent dans l’organisme. Cette prolifération peut avoir de multiples causes et peut également prendre du temps pour envahir l’organisme humain.

l Pas mal de membres de votre personnel médical viennent de l’étranger. Est-ce que cela signifie qu’il n’y a pas de professionnels sur le marché médical local ?

— C’est une bonne question. Il y a des médecins mauriciens qui sont spécialisés dans le traitement de cancers, par exemple la chimiothérapie. Mais ce sont de jeunes professionnels qui n’ont pas des années de pratique dans le domaine. Cette problématique existe à l’échelle mondiale et nous avons choisi les médecins, les spécialistes, avec le plus d’expérience pratique possible pour offrir le meilleur service à nos patients. Un des problèmes c’est que les médecins mauriciens, qui ont la longue pratique que nous recherchons, travaillent déjà dans le service public et ne sont pas disponibles pendant les heures de bureau, ce qui peut causer des inconvénients pour les patients. Mais si l’occasion se présente, nous ferons appel aux compétences mauriciennes pour notre hôpital de Rose-Belle, mais aussi éventuellement pour les projets que nous sommes en train de développer avec certains pays africains.

l Est-ce que vous avez bénéficié de l’aide du gouvernement mauricien pour la mise en place de ce projet ?

— Nous avons travaillé notre projet puis l’avons soumis aux autorités compétentes et avons obtenu les permis et autorisations nécessaires. Je pense que nous avons dû faire face aux mêmes difficultés que les autres promoteurs de projets. Disons que l’aide des autorités a consisté à ne pas dresser des obstacles sur notre route. Nous n’avons pas demandé d’aide pour les démarches à faire, pour les interventions qui auraient pu être demandées pour activer certaines procédures. Nous avons suivi les règlements, nous nous sommes battus pour faire exister notre projet comme c’est le cas, je l’espère, pour tous les promoteurs. Nous avons pris du temps pour obtenir certaines autorisations, mais nous avons suivi la procédure en attendant. C’est un projet complexe qui a pris du temps pour être réalisé, il y a eu des moments difficiles, mais nous avons continué. Nous avons travaillé en conformité avec les exigences administratives.

Quand j’ai présenté le projet à l’Economic Development Board en 2019, nous étions les premiers à Maurice à présenter ce type de projet. Quelques mois après, nous avons appris que d’autres promoteurs — des individuels soutenus par de grands groupes — s’étaient présentés avec des projets similaires. C’est bien pour le système et surtout pour le patient qui aura le choix entre plusieurs propositions et choisira celle qui lui convient le mieux. C’est au patient de décider ce qui lui convient le mieux à tous les points de vue. Je ne redoute pas la compétition, au contraire, je pense qu’elle est stimulante et pousse à l’amélioration, à offrir un meilleur service. Nous avons vu des articles de presse faisant état de ces projets, tant mieux pour eux.

l Pourquoi avez-vous été très discret sur votre projet de cancer hospital de Rose-Belle et l’avancement des travaux ?

— Il ne suffit pas de parler du projet avec des détails, il faut le mettre en place, faire construire le bâtiment, installer les équipements, former l’équipe et tout faire fonctionner. Je ne suis pas de ceux qui disent voilà ce que je vais faire, voilà comment ça va se passer. Moi, c’est après avoir fait que je parle. Le business, c’est beaucoup de spéculations, de promesses. Je préfère pouvoir présenter les résultats. Nous avons beaucoup appris en cours de route, avons appris à faire les modifications nécessaires pour améliorer le projet. Je suis très satisfait de ce que nous avons pu faire et remercie tous ceux qui nous ont aidés à réaliser ce projet de cancer hospital. C’est un prototype, un modèle qui peut être transporté ailleurs. Nous espérons pouvons exporter cette expérience, dans les pays d’Afrique où, comme je vous l’ai dit, le groupe Elysium Healthcare Ltd est déjà solidement implanté.

l Nous allons revenir à la concurrence pour terminer cette interview. Vous ne pouvez pas ne pas savoir qu’une clinique offrant les mêmes services que la vôtre est en construction et devrait ouvrir ses portes l’année prochaine. Comment accueillez-vous cette future concurrence ?

— Il me semble vous avoir déjà dit que je suis pour la concurrence qui permet au patient de choisir le traitement et la structure qui lui conviennent le mieux. Jusqu’à maintenant, le patient n’avait pas le choix et devait se contenter de ce qu’on offrait ou d’aller à l’étranger, avec les frais que cela implique. Avec la compétition, il aura le choix. C’est à chaque établissement de lui offrir le meilleur service. C’est en tous cas ce que nous avons l’intention de faire.

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