“Ena danze ladan”

Le décision de la Cour suprême prévue pour demain est très attendue dans l’affaire logée par l’avoué Pazhany Rengasamy sur l’obligation pour les utilisateurs de téléphones portables de réenregistrer leur carte SIM et sa demande d’un gel des procédures imposées par l’ICTA.

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Comme la date limite pour cet exercice a été fixée au 30 avril et que les abonnés qui ne se seraient pas conformés à cette obligation verront leur carte téléphonique désactivée, le plus tôt la justice se prononce de manière explicite, le mieux ce sera. Pour tout le monde et pour la suite que les contestataires voudront bien donner à ce litige dont ils questionnent la validité constitutionnelle.

Les conditions de ce réenregistrement inquiètent profondément les Mauriciens. Elles suscitent la méfiance de nombreux abonnés qui y voient de sombres desseins venant des autorités. Le soupçon va crescendo en cette année électorale. 

Les objections des abonnés tiennent des justificatifs légers, pour ne pas dire bancals, mis en avant pour imposer ce nouveau règlement aux détenteurs de cartes SIM. Pourquoi une telle obligation n’a pas été l’objet d’un débat à l’Assemblée Nationale à travers un projet de loi formel ?

Pourquoi, avec tant d’implications sur les libertés individuelles, ce n’est qu’au moyen d’un simple règlement de l’ICTA – où trônent des agents politiques qui n’ont pas l’échine pour dire non à ceux qui les ont nommés et qui sont des exécutants dociles, voire serviles – que ce réenregstrement est imposé à tous, indistinctement ?

Pourquoi la photo est-elle nécéssaire lors de ce réenregistrement, alors même que la carte d’identité est déjà exigée à l’acquisition d’une carte SIM ? Pourquoi maintenant, pourquoi à la veille des élections ? Autant de questions auxquelles les réponses se font toujours attendre…

La principale raison avancée pour l’obligation de ce réenregistrement et, dans ces conditions-là, est que c’était une des principales recommandations de la commission Lam Shang Leen, laquelle, faut-il le rappeler, a soumis son rapport aussi loin qu’en 2018.

Six ans après, pourquoi retenir cette recommandation plutôt que celle qui préconisait le démantèlement de l’ADSU à un moment où il ne se passe pas une semaine sans qu’un soi-disant agent des forces de l’ordre soit interpellé pour possession ou trafic de drogue ?

Réenregistrement des cartes SIM et remplacement de l’ADSU sont, en effet, parmi certaines des préconisations du rapport Lam Shang Leen pour muscler la lutte contre le trafic de drogue qui a pris de l’ampleur et qui n’a pas pu être contenu. Mais pourquoi l’une est-elle mise en application, et pas l’autre ?

Lorsqu’on constate qu’un des assesseurs de ladite commission, Sam Lauthan en l’occurrence, affirme que la commission n’a jamais spécifiquement recommandé le réenregistrement pour tous sans distinction et que les observations de la commission ne portaient que sur un détenteur de 25,000 cartes – dont certaines se sont retrouvées entre les mains de détenus –, le Premier ministre serait bien avisé d’éclairer l’opinion sur son choix de traquer les détenteurs des deux millions de cartes en circulation.

Parce que l’imposition de cette mesure est source d’inquiétude et d’inconvénients pour les abonnés qui sont littéralement harcelés sur leur téléphone presque quotidiennement lorsqu’ils ne sont pas enclins à éteindre leur radio pour ne pas entendre les mêmes injonctions au réenregistrement à travers des spots publicitaires incessants.

Quant aux explications du ministre du IT, Deepak Balgobin, elles ont été tellement quelconque qu’elles lui ont valu, sur les réseaux sociaux, un juste rappel des positions prises par son leader au moment de l’introduction de la carte d’identité biométrique.

La seule précision qui était attendue et qu’il s’est bien gardé de révéler est le nombre exact de détenteurs de cartes délivrées par les divers opérateurs qui, pour beaucoup contre leur gré, se sont  déjà soumis à l’exercice. On en est à 50%, 60%, 70% ? Faut le dire parce que c’est un sujet d’intérêt public.

Si ceux qui protestent contre le ré-enregistrement de leur carte SIM sont accusés par le ministre Balgobin de faire preuve de “démagogie” et même de “bassesse” – certains mots n’ont, décidément, plus de sens dans la bouche de certains ! –, que dire des agitations de Pravind Jugnauth en 2013 qui avait multiplié les recours contre la nouvelle carte d’identité jusqu’à obtenir, à titre personnel, l’exemption de fournir ses empreintes ?

Pour avoir une idée du ton qu’il employait lorsqu’il était dans l’opposition, voilà ce qu’il disait de Navin Ramgoolam, lors de la campagne électorale de 2014 : “Li, li pa pu tir so lemprint li. Li, li pa pu tir foto biometrik li. Ena danze ladan”.

C’est bon de rappeler celui qui ne peut pas s’empêcher de tout ramener au passé – celui de l’ancien PM travailliste, tout particulièrement – de quelle contorsion il est capable. Sur la carte d’identité, sur la carte SIM, sur le métro…

Et si certains, comme le leader du MSM, hier, ne veulent pas fournir leur photo à un opérateur de téléphonie, fut-il public ou privé, de peur qu’elle ne soit éventuellement manipulée, détournée, déformée et postée sur un site pornographique par des procédés informatiques et/ou avec le support de l’intelligence artificielle, quel garde-fou solide leur proposer ?

Lorsqu’on sait comment travaille le département des technologies de la police et que les plaintes pour harcèlement, diffamation et incitation à la haine raciale sont traitées et qu’elles n’aboutissent que très rarement, on est en droit de s’interroger sur les éventuels abus que l’exercice imposé par le gouvernement, à travers l’ICTA, peut occasionner.

Vivement, donc, la position de la plus haute Cour du pays sur cette affaire qui empoisonne la vie d’honnêtes citoyens de ce pays et qui sont connus des opérateurs auprès de qui ils sont en situation contractuelle depuis des décennies. Parce qu’en vérité, “ena danze ladan”.

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