Enfants atteints de troubles psychologiques : Soigner ? Plutôt saigner à blanc…

  • Irène Alessandri : « Il est là le véritable danger : la notion de toute-puissance chez certains psychologues ou thérapeutes qui croient à tort qu’ils peuvent tout faire »
  • L’Allied Health Professionnal Council (AHPC), le « Paramedical Council » du ministère de la Santé, en chantier
  • Les ONG spécialisées : un recours sûr où le secours thérapeutique est accessible à tous

Cette année, le thème de la Journée mondiale de la santé mentale porte sur les jeunes et la santé mentale dans un monde en évolution. Dans ce cadre, Week-End veut briser un autre tabou qui entoure la question de la santé mentale à Maurice, sujet porteur déjà de tant de tabous. Celle du business thérapeutique en ce qui concerne les enfants atteints de troubles psychologiques et psychiatriques. Nous pesons bien nos mots, car telle est la situation malsaine, sans aucun filet de protection, que subissent bon nombre de parents perdus, victimes d’une double peine. Celle de la maladie de leurs enfants, et celle de leur précarité sociale et économique.
Un témoignage constitue l’élément déclencheur de cette enquête. « Mon fils a huit ans et s’isole de plus en plus, est déscolarisé. Nous avons donc cherché à savoir ce qui se passe. Au dispensaire : aucune réponse. À l’hôpital : on a essayé de trouver, mais non. Donc, je me suis tourné vers le privé. On m’a parlé d’un cabinet privé de psychologues qui pourrait trouver ce dont il souffre et surtout le soigner si possible. Nos revenus sont modestes mais nous avons trouvé l’argent. Et pris rendez-vous. Il a passé des tests. Cela nous a coûté Rs 14 000. Nous avons reçu un simple papier avec une note nous disant ce qu’il n’est peut-être pas — autiste – mais pas ce qu’il a. C’est tout. Aucune piste, aucun conseil, aucune orientation, aucun soin. Car le psychologue nous a précisé qu’un suivi coûtera cher et d’aller voir plutôt une ONG, où ce sera gratuit. »

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Ce papa a préféré se tourner vers la presse, car où aller sinon ? Il n’y a pas de Medical Council pour les thérapeutes, psychologues, psychothérapeutes. Depuis, son enfant va de mal en pis et a été hospitalisé. Pour ce père de famille, il y a eu non-assistance à enfant en danger. A-t-il subi une double peine ? Oui. Il y a aussi le facteur pauvreté. Un enfant pauvre ne peut donc pas être vu par un psychologue dans sa pratique privée si l’on s’en tient à ce témoignage. Donc, la presse — en l’occurrence nous, puisque c’est vers Week-End qu’il s’est tourné — veut donc maintenant découvrir ce qu’il en est dans le secteur thérapeutique paramédical. Chez les psychologues.

La souffrance et le désespoir comme fonds de commerce. Des parents désespérés, prêts à tout pour que leurs enfants aillent mieux. Surtout prêts à payer. Pour ceux qui ne peuvent pas payer, autant passer son chemin ou aller vers les hôpitaux régionaux ou les ONG spécialisées — tous deux dépassés par la demande — offrant un service public. Sinon, il n’y aura pas d’issue thérapeutique. Il y a le contexte. Notre pays est en proie à de multiples fléaux sociaux entraînant leur lot de victimes. Il y a les traumatismes, suites à des maltraitances ou, pire, viols et incestes. Il y a eu aussi des décennies d’un système éducatif qui a broyé des milliers d’enfants. Il y a la maladie aussi, tout simplement. Mais tellement exceptionnelle quand elle touche des enfants.

Il y a donc une grande demande. Et l’offre privée n’a pas tardé à suivre : organisée, « corporatisée », se référant mutuellement des patients, établissant une dépendance thérapeutique et surtout sans aucun contrôle à l’instar d’un Medical Council, mais pour le paramédical. Psychologues, ergothérapeutes, orthophonistes, « counsellors », psychothérapeutes, « hypnothérapeutes » et autres thérapeutes spécialisés consultent, soignent à Maurice comme ils l’entendent, aux tarifs qu’ils décident.

Le président de la SPP : « Comment faire et à qui s’adresser en cas de mauvaises pratiques ?

Le seul registre disponible du nombre de psychologues est celui de la Société des Professionnels en Psychologique (SPP) qui compte 49 membres. Mais tous les psychologues n’y sont pas affiliés. Le président de la SPP, Nicolas Soopramanien, psychologue, est clair à ce sujet : « Nous devons avoir un registre officiel pour les psychologues, autre que celui de la SPP. » Selon lui, « il y a une démission de l’État par rapport aux professionnels de la santé mentale, notamment aux psychologues exerçant en libéral, car il n’y a aucun contrôle. S’il y a des cas d’abus parmi les membres de la SPP, les sanctions seront prises, mais si un psychologue n’est pas enregistré, comment faire et à qui s’adresser en cas de mauvaises pratiques ? » La SPP reste un regroupement associatif sans aucune autorité de réglementation officielle et comme le confirme Nicolas Soopramanien, « il n’y a pas de registre, pas de réglementations au niveau des tarifs, mais en même temps, qui sommes-nous, à la SPP, en position d’obliger nos collègues à respecter certaines règles ? Nous n’avons pas ce pouvoir. »

Il insiste. « L’État devrait s’intéresser davantage aux psychologues, mieux les former, les protéger. Il existe évidemment des charlatans qui peuvent manipuler des personnes vulnérables. C’est pour cela qu’il faut être vigilant et toujours demander au psychologue ou thérapeute de montrer ses certificats. D’ailleurs, nous avons des difficultés avec des psychologues ayant fait leurs études à l’étranger et qui reviennent au pays avec un certificat que nous avons du mal à reconnaître. À la SPP, nous travaillons actuellement sur une nouvelle formule », souligne-t-il. Et d’ajouter que tous les spécialistes de la santé mentale devraient avoir une carte certifiée. Sans compter les psychologues étrangers qui exercent à Maurice sans aucun moyen de vérification de leurs expertises, de leurs qualifications et pourtant munis de permis de travail sujets à interrogation (voir encadré plus loin).
Befrienders (Mauritius), ONG fondée en 1995, qui œuvre pour la prévention du suicide à travers un service d’écoute, abonde dans le même sens : les honoraires des psychologues du privé sont souvent trop élevés. Basé sur un socle solide de bénévoles, le service d’écoute est le premier pas vers une prise en charge psychologique pour alléger la détresse et la souffrance psychique. L’étape suivante est donc de référer à des psychologues. José Émilien, président de Befrienders Maurice, explique. « Tous nos volontaires ont suivi des formations auprès de Befrienders Worldwide. Nous avons aussi des sessions avec des psychologues et psychiatres pour nous expliquer comment gérer des cas problématiques. Mais nous ne pouvons pas avoir de psychologues chez nous, car cela est trop cher. Donc, nous référons ces personnes à la liste de la SPP ou à l’hôpital. Ils choisissent eux-mêmes. »

Dr Joffret Bodet : « On réfère des familles modestes qui ne pourront pas payer les thérapies aux ONG »

Phénomène assez nouveau, plusieurs centres pluridisciplinaires ont depuis peu ouvert leurs portes, où travaillent sous un même toit plusieurs thérapeutes spécialistes. L’un des plus récents est le centre Libellule, situé à Belle-Rose. Son fondateur, Dr Joffret Bodet, a d’abord acquis son expérience de travail dans le monde associatif dans deux ONG spécialisées — APEIM et Autisme Maurice. Pour le Dr Bodet, il était essentiel d’ouvrir son centre face à la demande grandissante des parents et enfants. Même s’il avoue que ses tarifs sont élevés, il persiste à croire que cela est nécessaire. Il préconise d’ailleurs pour ceux qui n’ont pas les moyens d’aller vers les ONG. « C’est pour cela qu’il existe des ONG, pour combler ces lacunes. Nous travaillons en réseaux et l’on réfère des familles modestes, qui ne pourront payer les thérapies aux ONG, tout en assurant la transition. »
Ainsi, avec une consultation tournant autour de Rs 2 000, avec des suivis hebdomadaires, une famille doit compter un budget de près de Rs 4 000 à Rs 8 000 par mois, voire plus. Il y a aussi le service dépistage, diagnostic et d’évaluation dont les tarifs peuvent varier. « Bien sûr, il s’agit de la décision personnelle d’un parent. Il nous est toutefois arrivé de faire des tarifs spéciaux à notre discrétion. » Le Dr Joffret Bodet déplore par ailleurs « la représentation du travail du psychologue comme étant un travail social, du bénévolat. Lorsque vous êtes dans le paramédical, l’on attend que vous fassiez du social, or, c’est un métier comme un autre. »

Sauf que, du côté des ONG, les psychologues et autres thérapeutes n’y font pas du bénévolat et que tout cela a un coût. Le service est gratuit ou les contributions très minimes des familles sont graduées selon les revenus mensuels des familles et où priorité est donnée aux familles enregistrées sous le Social Register of Mauritius (SRM) de la National Empowerment Foundation, soit 11 222 familles, dont 2 198 à Rodrigues (40 500 personnes). C’est le financement social, à travers les projets soumis à l’approbation annuelle de la NCSR Foundation et aux fonds CSR des compagnies privées, qui constitue ce budget de santé essentiel. Ce que les responsables d’ONG essayent de trouver chaque année tant bien que mal pour offrir un service de qualité aux personnes les plus vulnérables, dont celles référées par les psychologues privés qui ne peuvent continuer la thérapie de leurs patients pour des raisons financières.

ONG – Service gratuit mais sous financement social avec strict contrôle financier

Ces ONG de service sont d’utilité publique, reconnues — la CDU, le Bureau de l’Ombudsperson, tous les ministères concernés par les droits et la santé des enfants, les écoles, collèges et autres institutions y réfèrent très souvent des enfants en grand besoin de soins en santé mentale. Et ces ONG ont un devoir contractuel de monitoring envers la NCSR Foundation et les compagnies avec des rapports trimestriels et annuels. Elles sont donc sujettes à un contrôle régulier et strict sur le plan financier et des services à leurs bénéficiaires. Contrairement aux psychologues dans leur pratique privée…

Un exemple récent de l’implication active des compagnies privées ou fondations dans le service de santé mentale est la réouverture du SEDAM par Autisme Maurice le 19 juillet 2018 à l’hôpital Wellkin. Pour rappel, le centre de diagnostic et d’évaluation de l’autisme à Maurice a été fondé en juillet 2012 et a dû fermer ses portes en décembre 2016 en raison d’un manque cruel de financement. Ce centre renaît donc grâce à la Fondation Ciel Nouveau Regard et d’autres donateurs dont la SBM et Wellkin qui met à disposition gratuitement deux salles. Lors du lancement, Géraldine Aliphon, fondatrice d’Autisme Maurice, a mis l’accent sur l’accessibilité à tous de ce service qui « vient pallier le besoin grandissant d’offrir un service accessible à tous, d’autant que le nombre de personnes atteintes de troubles du spectre autistique, tous âges et degré confondus, est estimé à 12 000 à Maurice. Nous voulions permettre à toutes les familles, quels que soient leurs revenus, de bénéficier d’un service de qualité, car mieux comprendre et évaluer le degré d’autisme permet un meilleur accompagnement pour l’enfant. »

Et cette ONG — où donc sont réorientés les enfants « nécessiteux » par les psys privés — est financée à hauteur de Rs 1 million par an par des partenaires sociaux avec une grille tarifaire à la portée du plus grand nombre et surtout leur donnant dignité, diagnostic et prise en soins (voir tableau plus bas). La santé mentale a un prix et si les familles ne peuvent pas payer, il y a quelqu’un d’autre quelque part qui paie.

Et que pense Géraldine Aliphon de ce que devient ce secteur où la souffrance de l’enfant devient un fonds de commerce ? Mère d’un enfant autiste, elle sait très bien comment cela se passe dans le milieu. Nous l’avons rencontrée au siège de l’ONG à Quatre-Bornes. « On ne peut pas évaluer le travail ou les pratiques d’un psychologue, d’un thérapeute ou d’un ergothérapeute. Il faut un contrôle dans ce secteur qui touche les enfants », dit-elle fermement. Selon elle, il existerait des cas de trop d’abus de psychologues dits « tout-puissants » qui feraient de la maladie de ces enfants un « business ». Mais comment prouver cela ou encore comment arrêter cette pratique, si toutefois elle existerait vraiment ?
Géraldine Aliphon est persuadée que la mise sur pied d’un corps régulateur ou siégerait des spécialistes neutres aiderait à « réglementer ce secteur », car « le gouvernement est fautif de ne pas se responsabiliser suffisamment. » Elle poursuit. « L’on a fait la demande d’un Paramedical Council depuis trois ans. Le gouvernement a un droit de regard. Il faut un board de professionnels qui puissent examiner les résultats de ces professionnels de la santé s’ils sont contestés. »

Outre la réglementation des psychologues, psychothérapeutes et autres, Géraldine Aliphon soulève aussi la question tarifaire. Pour elle, sans aucune institution régulatrice, il n’y a pas de contrôle sur les tarifs qui, soit dit en passant, peuvent vite grimper. « Je dénonce le business dans ce métier », dit-elle, catégorique. Un business qui, selon elle, prend de l’ampleur au détriment des parents et enfants en souffrance. « Bien sûr que ces psychologues et thérapeutes doivent être payés, mais je réclame une réglementation des tarifs. Cela est urgent, voire nécessaire. À présent, tout est basé sur la confiance entre le parent et le psy. Il n’y a aucune garantie que cette personne soit fiable et surtout apte à soigner un enfant en souffrance. »

« Beaucoup d’enfants en souffrance. »

Chez Uptogether, centre de thérapie pluridisciplinaire ouvert il y a un an à Trianon : même son de cloche que chez Libellule. Élise Kœnig, psychologue à Uptogether, décrit que « les parents savent déjà ce qui les attend en termes de coût et ils sont souvent préparés à cela. Il est vrai que les thérapies coûtent, mais ils sont disposés à faire des efforts pour leurs enfants. » Elle aussi déplore certains manquements au niveau de l’Etat, bien que ce dernier « fasse beaucoup d’efforts avec les moyens qu’il a. » Sa collègue Fiona Kau, psychologue allemande, renchérit : « Il y a beaucoup d’enfants en souffrance. »

Comme ceux cités plus haut, il existe d’autres centres qui poussent ici et là, promettant monts et merveilles aux patients souvent mal informés et, qui plus est, extrêmement vulnérables. Un manque de transparence qui pourrait coûter cher aux patients non avertis.
Et que dit-on du côté des psychologues ? Irène Alessandri est une psychologue comptant près de 40 ans d’expérience dans le domaine, et est l’une des pionnières du secteur à Maurice. Reconnue également comme l’une des personnes ayant œuvré dans le secteur associatif comme directrice de 1988 à 2017 de l’APEIM, membre fondatrice et présidente de 2000 à 2005 de la Société des Professionnels en Psychologie (SPP), fondatrice et ex-présidente d’INCLUSION Mauritius (fédération de 12 associations mauriciennes œuvrant pour le handicap). Et aussi pratiquant en libéral, elle est l’interlocutrice idéale pour un regard d’analyse sur la pratique thérapeutique tant du côté des associations que dans le privé.

En effet, depuis quelque temps déjà, elle travaille avec plusieurs collègues et le ministère de la Santé sur la mise en place de l’Allied Health Professionnal Council (AHPC), ce Paramedical Council tant demandé. « Je travaille pour ma part sur la partie code éthique des membres », explique-t-elle, soulignant que cet aspect est sacro-saint. Irène Alessandri est catégorique : « Il faut donner un cadre régulateur. » Bien consciente qu’il puisse exister des psychologues ou des thérapeutes dans la nature, sans être inquiétés quant à leurs pratiques, elle soutient que l’État doit intervenir. Avec cette nouvelle entité, les spécialistes de la santé mentale devront ainsi « obligatoirement s’enregistrer pour protéger le public. » Et même si elle avoue que cela sera compliqué, étant donné les conditions de recrutement de nombreux « psychologues ou thérapeutes » dans le secteur public et même privé, elle reste optimiste. « Les choses bougent. »

Quid du business que dénoncent des parents complètement désemparés ? « Il n’est pas nécessaire d’ouvrir un centre ou un cabinet privé pour faire du business. C’est comme dans tout métier. L’on ne peut pas savoir ce qui se passe entre un patient et son thérapeute. Mais il est vrai que lorsqu’il n’y a pas de transparence, cela est dangereux. Quelle est la qualification de cette personne ? Est-elle apte à donner une bonne indication, soit envoyer le patient à la bonne personne pour le trouble qu’elle a ? Au cas contraire, l’on pourrait peut-être parler de business si cette personne continue de « soigner » le patient sans y être habilitée. C’est ce qu’on pourrait appeler la toute-puissance », souligne-t-elle.

Vigilance

Cependant, Irène Alessandri soutient qu’être psychologue ou thérapeute, « c’est avant tout un métier. » Qui dit métier, dit rémunération. Pour savoir combien par heure, ou par session, cela dépend entièrement du thérapeute. Elle explique, par ailleurs, que cela coûte d’être traité et suivi en thérapie, compte tenu qu’une thérapie s’étend sur plusieurs mois. « Généralement, les patients savent qu’ils devront investir une somme dans ce traitement lorsqu’ils viennent consulter en cabinet privé. Même s’il m’est déjà arrivé de consulter « gratuitement », avec une somme symbolique pour garder cette relation de patient à professionnel, qui est très importante. »
En attendant l’AHPC dont il nous revient que les recommandations seront à l’étude au ministère de la Santé à partir de la semaine prochaine, l’heure est à la vigilance. Business ou pas, il existe bel et bien des thérapeutes se présentant comme des gens « tout-puissants capables de guérir, moyennant quelques milliers de roupies. » « Il est là le véritable danger : la notion de toute puissance chez certains psychologues ou thérapeutes qui croient à tort qu’ils peuvent tout faire. Or, chacun a ses limites et dans l’intérêt du patient, il est essentiel de le référer à un collègue plus apte à aider l’individu en souffrance », conclut Irène Alessandri.
En 2017, 88 106 personnes ont reçu des soins à l’hôpital Brown-Séquard et aux départements de psychiatrie dans les hôpitaux régionaux. Parmi des enfants dont on sait désormais que les troubles mentaux commencent avant l’âge de 14 ans. À l’agenda donc : il faut une bonne information des parents, des enseignants et des éducateurs. En contact avec l’enfant, ils sont les plus à même de repérer les premiers signes d’un trouble psychologique. Une formation des médecins généralistes et pédiatres en ce domaine favorisera le dépistage des troubles mentaux chez les enfants pour une orientation plus rapide vers des structures spécialisées. Ne pas oublier l’autre composante essentielle dans la prise en charge : la famille. Sans l’encadrement psychosocial des familles, l’enfant restera vulnérable. Il faut tout un village thérapeutique pour soigner un enfant souffrant de troubles psychologiques…

Psychologues étrangers pratiquant à Maurice : Quel contrôle et quelles expertises ?
Il y a de plus en plus de psychologues étrangers exerçant à Maurice. Dûment munis d’un permis de travail ou acquis selon des subterfuges connus du milieu, ils interpellent. Analyse d’un psychologue. « On doit pouvoir démontrer qu’une expertise ou spécialité ne peut être exercée par un Mauricien pour pouvoir permettre à un étranger de pratiquer à Maurice. Surtout dans un secteur aussi sensible que la santé mentale. Sans tomber dans la xénophobie, il faut quand même savoir comment évaluer un diplôme obtenu en langue étrangère outre le français ou l’anglais pour laisser une personne en contact avec un enfant en souffrance psychique. Et aussi connaître son expérience, sa « traçabilité »» en termes d’éthique dans sa pratique. Il y a aussi l’aspect psychosocial. Une grande partie des enfants et adolescents souffrant de troubles psychologiques proviennent d’une situation familiale et sociale très carencée et il faut être capable de comprendre ce paramètre fondamental. Or, tel ne peut être le cas pour ces praticiens étrangers installés ici en terrain conquis sans aucune attache ni connaissance du fin fond du pays. On ne parle pas là de personnes dont les conjoints sont des Mauriciens et qui vivent ici comme tel. » Et puis manque-t-on de psychologues à Maurice pour ouvrir ainsi grand notre porte au détriment des praticiens mauriciens très qualifiés qui ont fait de gros sacrifices pour payer leurs études ? Le Bureau du Premier ministre et l’Economic Development Board, responsables régulateurs des permis de travail, ont tout intérêt à y jeter un œil plus vigilant.

Aarti Banymandhub (psychologue clinicienne au Centre OpenMind) : « La demande est »

Psychologue clinicienne, Aarti Banymandhub exerce depuis 2014 à Maurice. Depuis 2016, elle travaille au Centre OpenMind, service d’aide psychologique et pédopsychiatrique situé à Verdun. Aarti Banymandhub est spécialisée en psychologie de l’enfance et de l’adolescence, titulaire d’un Master en Psychologie clinique de l’Université Paris Descartes et d’un Master en Neuropsychologie pédiatrique de University College London. Durant son cursus, elle a été formée dans des services de psychiatrie et pédopsychiatrie à Paris et Buenos Aires. C’est à ce titre qu’elle a été la coordinatrice du premier service pédopsychiatrique de Maurice, lancé en mars dernier au Centre OpenMind sous l’égide de la MCB Forward Foundation. Elle intervient aussi dans un collège via le département de « Psychologie et Counseling de l’ICJM » et pratique en libéral.

Vous êtes psychologue clinicienne pratiquant tant dans le privé qu’à OpenMind. Y a-t-il une différence entre le modèle d’intervention et d’accompagnement psychologique dans le cadre associatif, donc dans un service « public » de santé mentale pour les personnes les plus vulnérables, et celui de la psychologue opérant dans son cabinet privé ?
Il n’y a aucune différence dans la nature des soins psychologiques délivrés dans les cadres associatif et privé. Ce sont les modalités d’intervention qui varient, et ces différences ne s’expliquent nullement par la distinction public/privé, mais sont conditionnées par le cadre de soins lui-même. On observe en effet que les services psychologiques en cabinet privé sont, en général, des prises en charge individuelles en ambulatoire. Les services associatifs sont, quant à eux, en général orientés également vers des prises en charge groupales et des soins résidentiels ou en day care comme au Centre OpenMind. Cela est un constat qui n’exclut pas que chaque structure, privée ou publique, établisse en toute liberté son cadre de travail et son service de soins psychologiques. J’ajouterai que, de mon expérience, il y a des personnes tout aussi vulnérables et en demande de soins dans le privé que dans le public.

Expliquez-nous ce que fait OpenMind dans le secteur spécialisé de la pratique psychologique et thérapeutique, et depuis mars en lançant le premier service pédopsychiatrique du pays ?
OpenMind est une ONG qui offre un service thérapeutique destiné aux enfants, adolescents et adultes en souffrance psychologique. Depuis 2010, nous proposons un service de consultation psychologique (suivis individuels et bilans psychométriques), ainsi que des prises en charge groupales — ateliers à médiation comme comme l’art-thérapie, l’hortithérapie ou encore théâtre-thérapie. Devant la demande grandissante d’accompagnement psychologique chez les enfants mauriciens, OpenMind a ouvert cette année le premier service de pédopsychiatrie de l’île. En effet, nous recevons depuis des années des enfants et adolescents dont les troubles interpellent par leur dimension invalidante au quotidien — associée à une déscolarisation ou une exclusion familiale ou sociale — et leur résistance aux thérapies proposées. Ces enfants et adolescents se retrouvent aujourd’hui stigmatisés, marginalisés ou négligés dans leur souffrance plutôt réelle.
À OpenMind, il nous semblait donc indispensable de faire appel à la pédopsychiatrie, seule discipline médicale qui prend en charge les troubles mentaux chez les enfants et adolescents. Nous avons accueilli en mars 2018 le Dr Michel Grappe, pédopsychiatre à Paris, qui a effectué une visite exploratoire du système psychosocial mauricien et émis ses recommandations quant à l’ouverture d’un service de psychiatrie infantile. Actuellement, c’est le Dr Christian Simon, pédopsychiatre à La Réunion, praticien hospitalier en psychiatrie infanto-juvénile au CHU de Saint-Pierre et chef de service CAPAS — Centre d’Accueil Pour Adolescents en Souffrance — qui intervient à OpenMind tous les mois auprès de nos enfants et de leurs familles, mais aussi en collaboration directe avec l’ensemble de l’équipe pour assurer une prise en charge cohérente et adaptée. En effet, la pédopsychiatrie ne se résume pas à l’intervention ponctuelle d’un pédopsychiatre — en situation d’urgence ou de crise —, mais correspond à une véritable structure de soins. Au Centre OpenMind, l’équipe de soignants est donc pluridisciplinaire et compte l’intervention de psychologues, pédopsychiatre, éducateurs sociaux, Care Officers, psychomotricienne, orthophoniste et art-thérapeutes.

Comment cela se passe ailleurs ?
Sharone Laguette, psychologue mauricienne exerçant à Nantes :
« Réglementer comme il faut… »
Sharone Laguette est une jeune psychologue clinicienne pratiquant en cabinet privé en France. Avant cela, elle a travaillé dans le secteur hospitalier public en tant que psychologue, en assistance aux employés et dans plusieurs autres organisations. Elle nous parle du métier en France et comment sont réglementés les professionnels de la santé mentale. « Le code déontologique d’un psychologue ou d’un professionnel de la santé est crucial. Nous ne jurons que par lui. En vérité, souvent, l’université qui soumet le diplôme a son propre code déontologique que le professionnel suivra à la lettre. En France, tout est réglementé et il nous est possible de dénoncer un collègue qui pourrait avoir des pratiques douteuses. Par ailleurs, il n’est pas donné à tout le monde de faire des thérapies. Il faut d’abord avoir fait ses preuves et travaillé pendant un certain temps dans le domaine choisi, que ce soit en situation d’addiction ou en gérontologie par exemple, pour pouvoir ensuite ouvrir un cabinet, etc. Pas tous les psychologues peuvent proposer des thérapies. »

Les troubles psychologiques et pathologies psychiatriques les plus fréquents de l’enfance et de l’adolescence
Les troubles mentaux chez l’enfant constituent un large panel de manifestations, allant des troubles envahissant du développement (psychoses infantiles, autismes), aux pathologies névrotiques (anxiété, phobie, troubles obsessionnels) en passant par les troubles à expression somatique, les manifestations dépressives ou encore les troubles du sommeil et des conduites alimentaires. Ils ont pour caractéristique commune un dysfonctionnement chez l’enfant au niveau des pensées, émotions, comportements et relations avec les autres.
La prévalence des troubles mentaux chez l’enfant est plus importante dans les groupes les plus pauvres de notre société. Ce constat ne doit pas néanmoins induire de brusques liens de causalité. La pauvreté peut se définir par un manque d’argent et de biens matériels, ou plus justement par ses corrélats directs, à savoir l’absence de ressources suffisantes : matérielles mais aussi sanitaires, nutritives, éducatives, sociales. Une famille en situation de pauvreté peut donc constituer un facteur de risque au développement de problèmes psychologiques chez l’enfant. Cela est d’autant plus réel que la précarité semble potentialiser certains troubles chez l’adulte, comme l’addiction aux substances ou la dépression, eux-mêmes pouvant induire des situations de carence parentale (médiocre contact parent-enfant, pas ou peu de stimulation affective, verbale, éducative).
Des enfants peuvent être prédisposés à des troubles mentaux de par leur situation socio-économique, et ceux qui en souffrent peuvent, du fait de leur maladie, subir des handicaps sociaux sévères (déscolarisation et donc faible niveau d’instruction, marginalisation, absence de soins). Ce triste cercle vicieux est une réalité qui met en évidence le lien étroit entre le développement psychologique de l’enfant et son environnement immédiat et, de fait, la nécessité de rendre accessibles l’aide à la santé, au logement, à l’éducation et au travail comme principales actions préventives.

Les troubles les plus fréquents :
• TDAH — Trouble déficit de l’attention hyperactivité — le plus fréquent en psychopathologie
• Troubles du spectre autistiques
• Trouble d’anxiété sociale et d’anxiété de séparation
• Trouble obsessionnel-compulsif (TOC) et troubles liés
• Trouble de stress aigu et post-traumatique
• Troubles alimentaires
• Schizophrénie infantile
• Psychose Infantile
• Mutisme Sélectif
• Dépression
•  Troubles destructeurs du comportement
• Comportement suicidaire

Dr Émilie Duval de l’ICJM : « L’État doit investir dans la santé mentale »
Il y aurait « un seul Educational Psychologist/assistant social pour 6 855 enfants du préprimaire, primaire et secondaire. » C’est ce que nous affirme le Dr Émilie Duval, directrice de projet dans le domaine de la psychologie au Service Diocésain de l’Éducation catholique (SeDEC) et responsable de l’équipe de discipline en psychologie, à l’Institut Cardinal Jean Margéot (ICJM). Le constat est consternant ! « Il n’y a pas assez d’investissement dans le domaine de la santé mentale. Et pourtant, il y a tellement de personnes en souffrance à Maurice. Je ne sais pas ce que l’on attend pour former et accompagner des personnes ressources qui soient capables de venir en aide à ces personnes-là », soutient-elle. À l’ICJM, l’on accorde beaucoup d’importance à cet élément, notamment au travers du programme d’accompagnement psychologique dans les collèges et de formations aux parents et enseignants. Depuis 2009, le SeDEC a lancé et mis en place des projets, dont « Les Amis de Zippy » dans les écoles primaires et des centres d’écoute au sein de certains collèges à Maurice. L’ICJM offre, entre autres, des formations pratiques à l’écoute à tout public. « Il y a une grande demande. Les enseignants sont souvent dépassés et des familles sont en souffrance et ne peuvent se permettre de se payer un psychologue », dit-elle. Émilie Duval espère que les choses vont s’améliorer, « malgré tous les défis à relever. Il faut qu’il y ait une volonté de l’État. Vous vous rendez compte qu’il n’y a pas de postes officiels de School Counsellor ? Cela n’est pas normal. L’État doit investir dans la santé mentale », conclut-elle.

APHC à la Santé : début des exercices d’enregistrement des professionnels

L’Allied Health Professional Council (AHPC) devrait bientôt voir le jour. Du moins, c’est ce qu’on laisse entendre du côté des autorités concernées et de l’association des psychologues. Annoncé depuis quelques années, le ministre de la Santé, Anwar Husnoo, l’a remis à jour en enclenchant de nouveau les démarches pour sa mise en place. Ainsi, le Council déjà installé, les autorités procèdent à l’enregistrement des professionnels. Cet AHPC regroupera sous un même corps régulateur « audiologists, chiropractors, clinical scientists, counsellors, dietitians, radiographers, medical laboratory technologists, nutritionists, occupational therapists, orthopaedic technicians, osteopaths, physiotherapists, podiatrists, psychologists, psychomotor therapists, psychotherapists, speech therapists et sports therapists. » Le board aura pour principal objectif de « register allied health professionals ; regulate the professional conduct of allied health professionals ; promote the advancement of allied health professions ; and approve, conduct or cause to be conducted training courses, programmes, lectures, seminars or conferences, including continuing professional development courses or programmes, for allied health professionals. »

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