Farhad Aumeer, député travailliste au No 2 : « On peut dire que je suis un ramgoolamiste »

Notre invité de ce dimanche est le Dr Farhad Aumeer, gynécologue et député travailliste de la deuxième circonscription de Port-Louis. Dans l’interview réalisée vendredi, il s’exprime sur les remous suscités par la démission du Constituency Clerk de son colistier Osman Mahomed, sur des questions d’actualité politique et le leader du PTr.

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Faisons un peu de présentation pour commencer cette interview. Qu’est-ce qui a poussé un médecin, Senior Consultant en Grande-Bretagne, à revenir à Maurice pour s’engager dans la politique active ?

— Je ne suis pas rentré de Grande-Bretagne, en 2000, pour faire de la politique active, mais pour exercer mon métier, parce que j’avais envie de mettre mon expérience au service de mes compatriotes. J’avais une relation privilégiée avec les Dr Rashid Beebeejaun, Zouberr Joomaye et Oomar Uteem, et c’est surtout à travers ce dernier que je me suis intéressé à la chose politique, en me disant que je pouvais servir les concitoyens. En 2014, j’avais dit au leader du PTr, que je connais depuis longtemps et dont mes parents sont ses voisins à Port-Louis, que je souhaitais être candidat aux élections. Mais cela n’a pas été possible en raison de l’alliance du PTr avec le MMM qui limitait les tickets. J’ai attendu et j’ai été candidat aux élections de 2019 surtout en raison de la manière dont Navin Ramgoolam avait été traité comme un vulgaire criminel, en 2015, quand il fut arrêté et traîné aux Casernes centrales dans l’affaire des coffres-forts. Ce traitement m’a révolté et je suis allé le voir après et nous avons développé une relation privilégiée. En 2014, j’ai obtenu un ticket et j’ai été élu dans la circonscription N°2.

On peut dire que vous êtes entré en politique et au PTr à cause de Navin Ramgoolam. Est-ce que cela fait de vous un ramgoolamiste ?

— On peut dire que je suis un ramgoolamiste, si vous voulez. Mais je suis surtout entré dans un parti politique qui avait une relation privilégiée avec le peuple, avec toutes les couches de la société et avec un leader qui est un rassembleur. C’est essentiel pour notre pays. J’ai été élu comme un député d’une circonscription, le N°2 de Port-Louis, pour défendre les intérêts de TOUS ses habitants, pas uniquement ceux des partisans du PTr. Quand un patient vient me consulter dans la circonscription, je ne lui demande pas quelle est son appartenance politique.

Parlons justement de la circonscription N°2. Il semble exister entre vous et votre colistier travailliste Osman Mahomed, disons, une certaine tension. Surtout depuis la démission de Sheikh Mukhtar Hossenbocus, son ancien Constituency Clerk et ex-lord-maire travailliste de Port-Louis. Ce dernier s’est st joint au MSM en déclarant, entre autres, que Navin Ramgoolam était « a bad leader »…

— Pour les comprendre, il faut replacer les faits dans leur contexte. La veille de la démission, nous étions Osman Mahomed, le député travailliste du N°3, Eshan Juman et moi-même en compagnie de Hossenbocus à Valée Pitot pour régler un problème social, celui d’une mère de famille qui avec ses enfants disait vivre à la belle étoile. Tout s’est très bien passé et chacun a fait ce qu’il avait à faire, à tel point que j’ai écrit sur ma page Facebook : « L’union fait la force ». J’avais entendu dire que Hossenbocus était agacé après le renouvellement des instances travaillistes, mais je ne m’attendais pas qu’il soumette sa démission du PTr pour se joindre au MSM. Quand j’ai appris sa démission, j’ai téléphoné à Osman Mahomed pour lui demander ce qui se passait, il m’a dit ne pas être au courant et de m’adresser directement au démissionnaire. Et puis j’ai appris que les réactions de mon colistier à cette démission avaient été diversement interprétées, on a dit qu’il avait besoin d’un temps de recul, de réflexion. Mais je dois dire que nous avons les deux travaillé pour le bien-être des habitants du N°2 et l’avancement du PTr.

Certains prétendent qu’Osman Mahomed est comme Lucky Luke, un lonesome cowboy, alors que vous êtes plus pour un travail en équipe. C’est vrai ?

— Tout ce que je peux dire, c’est qu’Osman Mohamed et moi avons chacun notre façon de travailler et que l’essentiel est d’apporter des résultats. Bien qu’elles ne soient pas régulières, nous avons des rencontres et des réunions entre nous quand la situation l’exige et nous nous rencontrons dans les fonctions sociales.

Avez-vous l’impression que vous êtes des concurrents ?

— Dans certaines situations, certaines personnes peuvent se sentir agacées par une manière de faire qui réussit. S’il y a concurrence entre nous, je ne pense pas qu’elle soit négative, chacun essayant de faire de son mieux pour le bénéfice de la circonscription et du parti.

Est-ce que vous êtes heureux qu’Osman Mohamed n’ait pas, comme la rumeur l’avait laissé entendre, démissionné du PTr ?

— Je comprends tout à fait qu’Osman Mahomed ait été affecté par la démission de son Constituency Clerk. Mais à aucun moment il n’a dit qu’il allait ou voulait démissionner du PTr. J’ai toujours dit que nous avions été élus sous la bannière PTr-PMSD et que nous devions respecter l’engagement pris vis-à-vis des électeurs jusqu’à la fin de notre mandat. Il faut respecter la bannière sous laquelle on a été élu et les électeurs qui ont voté pour cette bannière. Un élu ne peut pas décider de changer de parti politique au milieu d’un mandat, quelles que soient ses justifications.

Revenons-en à la démission de l’ex-Constituency Clerk. Il a parlé dans sa lettre de « money politics » et vous avez fait un commentaire pour dire « al gete kisannla zwe dan kazino ». Voudriez-vous préciser ce que vous vouliez dire ?

— Pour moi, money politics désigne un membre d’un parti politique qui démissionne, se joint à un autre parti contre de l’argent. C’est quelqu’un qui a été acheté et qui a accepté de se vendre. Dans la lettre de démission est aussi fait mention de « dirty politic », ce qui, pour moi, est synonyme de « casino and gambling. »

Dans le renouvellement du BP rouge et l’attribution des nouveaux postes — avec des titres plus ronflants les uns que les autres — vous avez été nommé directeur du National Policy Forum. À quoi va servir ce forum ?

— C’est un forum qui sera à l’écoute des besoins de toutes les catégories de la population pour que le PTr puisse établir les priorités du programme de son futur gouvernement. Il faudra rassembler une équipe pour faire fonctionner ce forum en ayant recours aux compétences nécessaires.

Trouvez-vous normal que le PTr ait doublé le nombre de membres de son exécutif, qui passe de 200 à 400 ? Peut-on faire une réunion au cours de laquelle tous les membres de l’exécutif puissent s’exprimer démocratiquement ?

— Le PTr a eu tellement de demandes d’adhésion pour son exécutif — plusieurs milliers — qu’il n’a pas eu d’autre choix que de doubler le nombre de ses membres. Ce qui n’a pas empêché, comme vous le savez, des mouvements de colère, d’agacement et de déception.

Certains les ont exprimés en démissionnant du parti, comme Kalyanee Juggoo et Ezra Jubhoo…

— Kalyanee Juggoo, qui fait partie des personnes qui m’ont encouragé à entrer en politique, a apporté sa contribution au PTr au fil des années en tant que députée, PPS et secrétaire générale. Elle n’a pas apprécié de ne pas faire partie de l’équipe renouvelée de dirigeants du PTr et a estimé qu’elle devait quitter le parti. Je peux comprendre cela, mais je suis déçu que, dès le lendemain de sa démission, elle découvre subitement que son ex-leader n’était pas à l’écoute et ne se préoccupait pas de la représentation féminine au PTr ! Après avoir été membre du parti pendant des années ! Quant à Ezra Jhuboo, je ne le connais pas très bien, mais j’ai compris qu’il avait une vision du renouvellement du PTr prônant, entre autres, la méritocratie, qui n’a pas été acceptée et a il décidé de démissionner. C’est son choix, que je respecte.

En ce qui vous concerne, vous êtes totalement satisfait du PTr, de son fonctionnement et du renouvellement de ses instances ?

— Je suis très satisfait que le PTr ait des instances très démocratiques où chaque membre peut poser des questions, exprimer son opinion. Il n’y a pas de main-mise autoritaire, le leader écoute et participe à la discussion avant que les décisions ne soient prises. Pour ne parler que du BP, il y a un très bon mélange entre les anciens et les nouveaux, et un partage de responsabilités.

Une majorité de Mauriciens souhaite une union, une alliance, une entente entre les différents partis de l’opposition pour faire face au gouvernement MSM et alliés. Êtes-vous conscient que l’incapacité de l’opposition à se mettre d’accord fait le jeu du gouvernement ?

— Les divisions et dissensions de l’opposition ne vont pas dans le sens du combat pour débarrasser le pays du régime presque totalitaire que nous avons. Au PTr, nous sommes ouverts à travailler avec tous les partis d’opposition sans exception. Mais il ne faut pas oublier qu’à un certain moment, des partis de l’opposition ont voulu mettre Navin Ramgoolam totalement à l’écart, mais c’est aujourd’hui chose du passé. Avant de conclure une alliance ou un arrangement, il faut d’abord clarifier un point fondamental pour nous : que le PTr sera la locomotive de cette alliance…

Et pour continuer le refrain, que Navin Ramgoolam sera le leader et le Premier ministre désigné de l’alliance à conclure de l’opposition…

— Le leader du PTr a l’expérience d’avoir dirigé le pays pendant douze ans, possède le charisme nécessaire et surtout, il a une caractéristique fondamentale : il est un rassembleur. C’est la qualité la plus importante pour pouvoir rassembler tous les éléments de la population pour faire avancer le pays.

Il ne faut pas oublier que Navin Ramgoolam est un rassembleur qui a été rejeté deux fois de suite par la population, dans deux circonscriptions différentes !

— La première fois, c’est clair, il a été rejeté par la population suite à certaines circonstances et sur jugement personnel porté sur sa personne. Il a d’ailleurs reconnu avoir commis certaines erreurs, comme le gentleman qu’il est. La deuxième est due à un problème électoral et Navin Ramgoolam n’a jamais admis sa défaite dans la circonscription N°10.

Veuillez nous excuser, quand il retire sa pétition électorale, cette semaine — ce qui donne à Pravind Jugnauth l’occasion de le traiter de grand capon ! —, Navin Ramgoolam admet le verdict électoral…

— Laissons Pravind Jugnauth à sa bassesse politique. La plupart des pétitions électorales ont été rejetées par la Cour suprême et il ne faut pas être un expert légal pour savoir que la pétition de Navin Ramgoolam allait être rejetée, all the writings are on the wall ! Le seul recours de Navin Ramgoolam aurait été d’en appeler au Privy Council, ce qui aurait pris plusieurs années. Mais en même temps, nous avons Suren Dayal qui est en train de faire appel au Privy Council sur pratiquement les mêmes points légaux que Navin Ramgoolam. Il vaut mieux se concentrer sur la pétition de Suren Dayal. J’en profite pour dire que je ne comprends pas pourquoi il faut attendre trois ans et plus pour une pétition électorale à Maurice, alors que dans d’autres pays, comme le Kenya, le tout est fait en quelques semaines.

Vous pensez que ce retard dans la procédure est délibéré ?

— Je pense qu’il y a quelque part une main invisible dans tout cela. Quels que soient les résultats des procédures, il n’est pas normal qu’on doive attendre trois ans, plus de la moitié d’un mandat électoral ! Il faut se rappeler que justice delayed, is justice denied.

Parlons de la maladie de Navin Ramgoolam. Vous étiez celui qui gérait l’équipe médicale qui le soignait, mais quand il a fallu aller avec lui en Inde, c’est Dhaneshwar Damree, sans aucune compétence médicale particulière, qui l’a accompagné et pas vous. Expliquez-nous pourquoi.

— C’est une question qui m’a été souvent posée. Je me suis occupé de constituer l’équipe médicale qui devait l’accompagner en Inde et étais prêt à la rejoindre s’il le fallait. Il fallait dans ce voyage quelqu’un de très proche de Navin Ramgoolam. Son épouse ne pouvant pas faire le déplacement, le nom de Dhaneshwar Damree, qui connaît très bien le système administratif indien pour avoir épousé une Indienne et pouvant faciliter les choses, a été avancé. C’est pour cette raison que M. Damry a fait partie du voyage.

Comment expliquez-vous le fait que le PTr n’ait pas pu réunir la somme nécessaire parmi ses adhérents et partisans pour payer le déplacement médical de son leader en Inde ? Il a dû recourir à un prêt bancaire, garanti par le gouvernement, qui n’a toujours pas été remboursé. Ce qui a donné l’occasion à Pravind Jugnauth de le révéler au Parlement…

— Il ne faut pas oublier que les comptes bancaires du PTr sont gelés. Quand Pravind Jugnauth nous a proposé une garantie bancaire du gouvernement pour faciliter les choses, nous avons accepté. Mais après une question plantée au Parlement a été posée par le député bouncer…

De qui êtes-vous en train de parler ? Qui est le député bouncer ?

— Mais du député MSM Kenny Dhunoo, qui s’est comporté comme un bouncer en allant agresser un infirmier indien à la clinique Wellkin, sans qu’aucune sanction ne soit prise contre lui ! Avec l’inélégance et la bassesse qui le caractérisent, Pravind Jugnauth a profité de la question de son député bouncer pour mêler Veena Ramgoolam dans le débat ! Le problème n’est pas dans le paiement, mais dans la somme qui est réclamée. Aux Rs 5,2 millions a été ajoutées une somme additionnelle qui donne un total de Rs 6,4 millions que nous contestons.

Un des arguments de la majorité est que Navin Ramgoolam est non seulement vieux, mais qu’il est malade, donc inapte à rediriger le pays. Quel est son état de santé ? La question est posée au médecin, pas à l’admirateur du leader !

— C’est le médecin qui parle. De septembre de l’année dernière à mars 2022, il n’a pas fait de sortie. À partir de mars de cette année, il est back to square one, en très grande forme comme on a pu le constater au congrès tenu à Kewal Nagar il y a quelques semaines. Il est donc tout à fait apte à diriger le PTr, prendre la tête d’une alliance de l’opposition et rediriger le pays après les prochaines élections.

Et quid de la succession du leader au PTr ? Le seul poste qui n’a pas été pourvu après le renouvellement du BP est celui de Deputy Leader. Pourquoi ?

— La constitution du PTr ne prévoit pas de poste de Deputy Leader…

Mais ce poste a été fréquemment occupé dans un passé récent. Dans toute entreprise ou institution moderne, ce que le PTr prétend être, il y a un n°2 pour remplacer le n°1 si les circonstances le demandent…

— Quand Navin Ramgoolam a été malade, il n’y avait pas de Deputy Leader, et cela n’a pas empêché le PTr de continuer de fonctionner. Mais il ne faut pas oublier que Navin Ramgoolam a déclaré qu’il sera un Premier ministre de transition, ce qui veut dire qu’après lui il y aura quelqu’un d’autre à la tête du pays et du PTr. Pourquoi faudrait-il avoir de l’empressement et encourager ceux qui voudraient être calife à la place du calife ?

Est-ce que vous pensez, comme certains de vos collègues travaillistes l’ont claironné, que le PTr peut aller seul aux élections et remporter la victoire ?

— Tout dépendra des circonstances, de ce qui se passera avec les autres partis de l’opposition. Mais le PTr, avec son réservoir de voix, qui a augmenté ces temps derniers vu le nombre de demandes d’adhésion, vu le nombre de personnes capables qui siègent dans ses instances, pourrait envisager d’aller seul dans la bataille. Mais je suis confiant que les leaders, ceux qui discutent et décident des conditions d’une alliance des forces de l’opposition, finiront par accorder leurs violons pour un front commun contre le gouvernement et remporter les élections. Sans ce front commun, la participation aux prochaines élections sera, à mon avis, plus compliquée. Je le redis, en précisant que cette réponse n’engage que moi, un regroupement des forces de l’opposition aidera à combattre et à vaincre le gouvernement en place aux prochaines élections.

Et dans la mesure où tout est possible en politique à Maurice — on l’a bien vu dans le passé — et si demain, pour sauver le pays, pour faire face à la crise économique ou sanitaire, le PTr doit faire une alliance avec le MSM, quelle serait votre position ?

— Vous venez de le dire : rien n’est impossible en politique. J’ajoute que cette possibilité me paraît invraisemblable, mais si jamais nous nous retrouvons dans cette situation, ma position sera la suivante : nous devons travailler dans l’intérêt supérieur du pays pour mettre fin au règne du népotisme, au gaspillage des fonds publics et à la politique des petits copains nommés à la tête des institutions et faire du maintien du law and ordrer, qui est en train de devenir un énorme problème dans le pays, une priorité.

Autrement dit, vous êtes en train de réclamer la démission d’une bonne partie du gouvernement et de ses nominés dans les institutions…

— N’importe quel arrangement politique aura à reposer sur les principes de base que je viens d’énumérer dans les grandes lignes.

Si on avait le moindre doute, vos réponses au cours de cette interview l’auront confirmé : vous êtes un ramgoolamiste convaincu…

— J’ai beaucoup de respect, de loyauté pour lui. Mais si demain il prend une décision que je n’approuve pas, qui me met mal à l’aise, je ne démissionnerai pas pour aller me joindre à un autre parti, je vais juste démissionner. Tant que Navin Ramgoolam sera leader du PTr et continuera à être actif en politique, la question de changer de camp politique ne se posera pas pour moi.

Et après Navin ?

— Si cette circonstance arrive, à ce moment-là, je me poserai la question, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

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