Ferons-nous la guerre ?

Pour ceux qui sont nés en 1975, qui ont la quarantaine, il y a aujourd’hui quelque chose de très particulier : la population mondiale vient de doubler par rapport à ce qu’elle était lorsqu’ils sont nés. Oui, doubler. De 4 milliards en 1975, nous sommes en effet officiellement, depuis ce jeudi 17 novembre 2022, pas moins de 8 milliards d’humains sur la planète.

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C’est ce qu’affirme le compte officiel de l’ONU.
Cet organisme souligne de fait l’accélération qu’a connu la croissance de la population mondiale ces dernières décennies : il a fallu des centaines de milliers d’années pour que la population mondiale atteigne 1 milliard de personnes, mais seulement 11 ans pour passer de 7 à 8 milliards. Et selon les projections de l’ONU, cette croissance va continuer à s’accélérer encore quelques décennies avant d’atteindre un pic en 2080, avec environ 10,4 milliards d’habitants. Elle devrait ensuite se maintenir à ce niveau jusqu’en 2100.

Des « mégatendances » qui, souligne l’organisme onusien, ont de lourdes implications, avec des conséquences sur le développement économique, l’emploi, la répartition des revenus, la pauvreté et les protections sociale . Et qui pose de nombreuses questions sur la façon « de nourrir, loger, chauffer, soigner et éduquer une dizaine de milliards d’individus sur une  planète déjà à bout », comme l’exprime un dossier de l’association Reporterre.

Cet accroissement de la population mondiale représente donc également un enjeu crucial au niveau environnemental. Et face à cela, on ne peut que relever à quel point les puissants de ce monde semblent peu prendre la mesure de l’urgence de cet enjeu. Ou en tout cas reculer devant les mesures urgentes qui devraient être prises face à la réalité déjà présente d’une crise qui ne va faire que s’accroître.

La réunion de la COP 27 (Conférence des Parties) qui vient d’avoir lieu à Charm El-Cheikh en Egypte en est révélatrice. Censée se focaliser sur le réchauffement climatique, la conférence, qui devait se terminer ce vendredi 18 novembre a finalement, exceptionnellement, été prolongée d’un jour. Pour que les négociations diplomatiques se poursuivent samedi, à défaut d’être arrivés, dans le temps initialement alloué, à trouver un consensus pour parvenir à un accord. Car de nombreux désaccords persistent entre grandes puissances. Ainsi, il n’était pas sûr d’arriver à maintenir la limite de réchauffement de 1,5 °C qui avait été obtenu dans l’accord de Paris.

Le président de la COP 27, l’Egyptien Sameh Choukri, a par ailleurs appelé cette semaine les négociateurs à redoubler d’efforts pour surmonter leurs divergences tandis que les pays pauvres critiquaient le projet, qui ne répond pas, selon eux, à la question-clé du financement des « pertes et dommages », les financements dont ont besoin les pays les plus vulnérables pour compenser les pertes économiques et les dommages irréparables liés au dérèglement climatique. Le fond du problème étant que certains pays riches craignent qu’un accord sur le sujet ne les oblige à assumer des responsabilités financières de leur contribution passée à l’accumulation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère.

Certes, il y a quelques espoirs.
Le mercredi 16 novembre à Charm El-Cheikh, Lula, le nouveau chef de l’État brésilien, élu le 30 octobre face au président sortant d’extrême droite Jair Bolsonaro, a promis qu’il se battrait pour une « déforestation zéro » en Amazonie dès qu’il aurait pris ses fonctions, le 1er janvier 2023. La présidence de Jair Bolsonaro a en effet été marquée par une déforestation record de l’Amazonie. Le président Lula a également demandé la création « urgente » d’un fonds visant à couvrir les dégâts déjà induits par le changement climatique. « Nous allons renforcer et reconstruire tous les organes de surveillance et de suivi qui ont été démantelés ces quatre dernières années. Nous punirons rétroactivement toutes les actions illégales, que ce soit les chercheurs d’or, les mines ou bien les occupations de terre », a-t-il notamment déclaré.

Reste que selon Reuter et le journal Le Monde, « l’issue de la conférence est considérée comme un test de la détermination mondiale à lutter contre le changement climatique alors que la guerre en Europe et l’inflation galopante affectant les consommateurs détournent l’attention internationale.

De fait, l’attention semble s’être davantage concentrée cette semaine sur la chute d’un missile en Pologne, faisant renaître la crainte que la récente invasion de l’Ukraine par la Russie se répande au reste de l’Europe et débouche sur une guerre mondiale.
Mais de cette même Pologne nous parvient une voix Celle du poète, romancier, essayiste et traducteur  Czesław Miłosz.

Né le 30 juin 1911 à Szetejnie en Lituanie Milosz, qui a reçu le Prix Nobel de Littérature en 1980, est notamment connu pour avoir interrogé la place des intellectuels au sein des régimes autoritaires. Ce qui a une résonnance particulière à travers le monde aujourd’hui… Lui-même a connu l’exil forcé pendant la Seconde Guerre mondiale, après l’invasion de la Lituanie par l’Armée rouge, lorsqu’il rejoint la résistance polonaise à Varsovie, puis à nouveau lorsqu’il décide de quitter l’aire communiste, obtient l’asile politique en France puis aux Etats Unis, revient en Pologne à la faveur du mouvement Solidarność avant de devoir s’exiler à nouveau avec le retour de la dictature. Il finira par arriver en 1993 à revenir vivre en Pologne où il meurt le 14 août 2004. Tout le long, Milosz écrira.
En 1944, alors qu’il se trouve à Varsovie, il signe ce poème :

CHANSON DE LA FIN DU MONDE
Le jour de la fin du monde,
L’abeille tourne au-dessus de la capucine,
Le pécheur répare le filet luisant.
Les joyeux dauphins bondissent dans la mer,
Les jeunes moineaux s’accrochent aux gouttières,
Et le serpent a la peau dorée, comme avant.
Le jour de la fin du monde,
Les femmes vont par les champs sous des ombrelles,
L’ivrogne s’endort au bord du gazon,
Les marchands de légumes dans la rue appellent,
Et le bateau à voile jaune s’approche de l’île ;
Dans l’air s’allonge le son du violon
Qui fait s’ouvrir la nuit étoilée.
Et ceux qui s’attendaient au tonnerre et aux éclairs
Sont déçus.
Et ceux qui s’attendaient aux signes et aux trompettes des Anges
Ne croient pas que le Jour soit venu.
Tant que le soleil et la lune sont là-haut,
Tant que le bourdon hante la rose,
Tant que naissent des enfants roses,
Personne ne croit que le Jour soit venu.
Seul un petit vieux, qui serait prophète,
Mais pris par autre chose il ne l’est pas,
En liant ses tomates répète :
D’autre fin du monde, il n’y en aura pas,
D’autre fin du monde, il n’y en aura pas.
Ce poème de Milosz prend ces jours-ci une résonnance particulière : l’ignorance insouciante n’empêchera pas la catastrophe. Aujourd’hui, la guerre n’est pas seulement celle qu’on croit et qu’on nous met sous les yeux. La question pourrait être : n’est-il pas plus que temps de partir en guerre contre ceux qui détruisent notre planète ?

SHENAZ PATEL

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