Inquiétude

Je ne sais pas si, comme Nando Bodha l’affirme, “nous – c’est-à-dire l’île Maurice – avons perdu la bataille contre le variant delta”, mais la situation sanitaire est de plus en plus inquiétante. Et ce, malgré les statistiques et les discours rassurants du ministre de la Santé, qui est loin d’être convaincant. Surtout quand on se rappelle qu’en mars de l’année dernière, il avait affirmé que la covid ne représentait pas de danger pour Maurice. Quelques minutes seulement avant que le Premier ministre n’annonce la fermeture des frontières… à cause de la covid 19 ! Les autorités affirment avoir la situation sanitaire sous contrôle, se présentent comme un exemple pour le monde, affirment que Maurice est relatively covid safe, mais on a le sentiment que le nombre de cas de covid ne fait qu’augmenter. Dangereusement. Dans tous les coins du pays. Et touche toutes les tranches d’âge, malgré le booster que représenterait la 3e dose de vaccin. Mais comment pourrait-on avoir une analyse précise de la situation puisqu’on ne pratique plus des contact tracing, qu’on demande aux testés positifs – à leurs propres frais – de s’auto-isoler chez eux, sans contrôler qu’ils suivent les consignes ? Pire :
l’hôpital n’admet plus les malades testés positifs et les renvoie chez eux. Où certains, et pas forcément que les plus âgés, finissent par mourir, faute de soins. N’en déplaise aux ministres qui taxent d’antipatriotisme ceux qui s’inquiètent de la situation sanitaire, le nombre de cas de covid est en augmentation. Et le dissimiler ne rend service à personne. Chaque Mauricien a un parent, un ami ou une connaissance qui a attrapé la covid et s’est auto-isolé, en refusant d’aller à l’hôpital, de crainte de se retrouver à l’ENT. Les parents qui ont eu la douleur de perdre un de leurs proches racontent tous la même histoire. L’ENT est un no man’s land, sauf pour le personnel médical et les soldats qui montent la garde, comme s’ils surveillaient une base nucléaire. On ne sait pas ce qui se passe derrière les murs de l’hôpital, comment les malades sont soignés – s’ils le sont, quels sont les médicaments qu’on leur donne, s’ils disposent des équipements médicaux nécessaires – dont ceux achetés l’année dernière pour des centaines de milliers de roupies à des marchands de poisson et autres quincaillers. Les parents disent qu’une fois leur proche admis à l’ENT, ils perdent tout contact avec lui. Quand ils parviennent à parler à un membre de personnel hospitalier, après avoir été promené au téléphone de poste en poste, ils apprennent que la personne au bout du fil n’a aucune réponse à leur donner et que celle qui pourrait les renseigner sur l’état de santé de leur parent n’est pas à sa place. On leur demande de rappeler plus tard. A quelle heure ? Plus tard. Et puis, à un moment, le téléphone sonnera et une voix impersonnelle dira :
“Ou fami finn mort, ou bizin vinn cherche le corps demain matin.”

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Le pire, disent certains parents, ce n’est pas ce qui se passe avant mais après la mort de leur proche. Il faut faire la queue pendant des heures devant les grilles de l’hôpital, avec les autres parents des décédés, pour attendre que le préposé se manifeste. Quand il le fait, c’est pour demander le ID du défunt pour les formalités et pour dire aux parents de revenir chercher le cadavre avec un transport. Pas n’importe lequel. Un corbillard ou bien l’ambulance, mais après avoir effectué les démarches au bureau de l’Etat civil, puis à celui du cimetière. Les parents, encore sous le choc, apprendront que pour pouvoir enterrer un mort, il faut retirer son certificat de décès à l’Etat civil et faire une réservation dans un cimetière où il y a encore de la place, et selon le créneau disponible. Qu’il le veuille ou non, le parent aura à faire incinérer son proche. C’est plus facile à faire dans la mesure où les cimetières sont remplis, débordés. A Bigara, on a ajouté une nouvelle parcelle de terre, vite remplie. S’il a eu le temps de contacter un service de pompes funèbres, le parent aura droit à un service funèbre réduit au strict minimum avec cerceuil. S’il ne l’a pas fait, il aura à se contenter de ce que certains qualifient de cercueil en plywood ou en hardboard, transporté de l’hôpital au cimetière dans une ambulance, avec des hommes habillés de costumes de cosmonautes. Dans les deux cas, les parents ne pourront pas voir une dernière fois le visage du défunt et bénéficier du temps de recueillement nécessaire pour lui dire adieu. On enterre les morts de la covid à la va-vite, en fonction des places disponibles au cimetière ou au crématoire. Et même si le ministre minimise le nombre de morts, affirme que les décès sont dus à toutes sortes de maladies, excepté la covid, le nombre d’enterrements et de crémations augmentent. Et ils sont, pour la majorité, enterrés ou incinérés selon le protocole mis en place pour les victimes de la covid.
Je le répète : je ne sais pas si Nandi Bodha a raison de dire que “nous avons perdu la bataille du variant delta.” Mais comme des milliers de Mauriciens, je partage son inquiétude sur la propagation du virus à travers le pays.

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