Jubilations déplacées

Grignoter une ou deux places au classement de Transparency, la belle affaire. Si le gouvernement n’a pas pavoisé, il s’en est trouvé quelques-uns à accueillir cette nouvelle, une anecdote, au fait, comme si c’était un exploit international. Avec ses malheureux 53 points sur une échelle de 100, Maurice n’est que 5e en Afrique derrière les Seychelles, décidément plus civilisées aussi au plan de la lutte contre la corruption, qui score 70 points à 18 points des champions que sont le Danemark (88), la Finlande (88) et la Nouvelle-Zélande (88), le Cap-Vert et le Botswana.

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Pas de quoi taper son tambour. Surtout que la publication de ce classement intervient quelques jours à peine après qu’un Commissaire électoral est venu reconnaître devant une cour de justice qu’il y avait des irrégularités dans l’exercice de comptage dans une circonscription. Quelle que soit l’issue du recomptage, le mal est fait, l’organisation de la dernière législative est définitivement entachée et on peut supposer que, juste sur cet indice-là, le rang de Maurice ne sera pas plus reluisant au prochain classement.

Et avec les affaires qui se multiplient et dont on ne voit toujours pas l’issue, parce que les enquêtes sont ce qu’elles sont et ce que les organismes en font, pas sûr que les gendarmes internationaux apprécient. Et ce n’est pas demain la veille que l’on verra un peu plus clair dans les dossiers Angus Road, St Louis, qui vire à la farce politique avec son bout de papier lâchement gardé secret, et les scandales qui se perpétuent comme une pandémie à la Santé.

Pendant que les indices de perception de la corruption étaient rendus publics, une démission inopinée défrayait la chronique, celle d’un vice-chancelier de l’université de Maurice, jadis considéré comme un fleuron national. Et il va partir tranquillement comme ça, emmenant dossiers et documents sans avoir à rendre des comptes ? Dans quel pays sommes-nous ? Cela fait des mois que des dénonciations ont été faites à l’ICAC sur des pratiques jugées peu orthodoxes de Dhanjay Jhurry, celui qui voulait « amener la recherche à un autre niveau. » Que s’est-il passé ? Rien. Il est resté en poste, a continué à prendre des décisions les unes plus discutables que les autres. Et si certains l’auront oublié, il est question, ici, de l’université de Maurice, du lieu où l’on est censé former les cadres de demain, ceux qui se retrouveront à des postes de responsabilité et ceux qui guideront la pensée, provoqueront le débat.

On savait que le niveau avait considérablement baissé, un peu partout d’ailleurs, lorsqu’il s’agit de l’enseignement public, que le nivellement par le bas était devenu la norme, mais une université, ce n’est quand même pas la dernière petite école du coin. Elle a vocation à être le lieu de rendez-vous de la connaissance, un concentré d’excellence lorsqu’il n’est pas carrément là où se constitue l’avant-garde, là où se dessinent les révolutions, ne serait-ce que dans la manière d’appréhender l’évolution de la société ainsi que les enjeux économiques et climatiques.

Aussi, avec ce qui se passe à l’UoM ou ailleurs comme à la MBC, où les bourdes peuvent être commises au quotidien et que les dénonciations peuvent être faites à la même cadence, rien n’y fait. Les protégés du régime, fussent-ils des bandits de grand chemin, des gestionnaires calamiteux, plus intéressés à se remplir les poches que d’œuvrer pour le bien commun et général, auront toujours le dernier mot. Il n’y a qu’à voir comment et avec quelle rapidité Prakash Maunthrooa est réhabilité et nommé à plusieurs postes dans les organismes parapublics après un acquittement en appel qui pose question et alors même que son tailleur de frère a pu accumuler des avoirs d’un montant de Rs 118 millions.

On n’a jamais su ce qu’il est advenu des enquêtes de l’ICAC sur cette fortune inhabituelle pour un tailleur, sauf ceux qui s’exercent dans le diamant ou les pierres précieuses, si la MRA qui traque les mauvais payeurs et qui harcèle parfois d’honnêtes citoyens a récupéré son dû et si l’Integrity Reporting Board s’est intéressé à cette affaire et qu’il a eu l’occasion de scruter de plus près les biens considérables du frère du conseiller du PMO.

Aussi, après le dernier classement de Transparency, qu’on se le dise et se le redise, il reste tout à faire en matière de lutte contre la corruption et ce n’est pas demain la veille que Maurice rejoindra le rang des pays qui sont en tête de classement. Les jubilations déplacées, c’est aussi les listes grise et noire du FATF et de l’Union européenne. Ce sont ceux qui ont tout fait pour placer Maurice dans une mauvaise posture sur le plan international qui sont les premiers à crier victoire après avoir été contraints de voter des textes en quatrième vitesse pour satisfaire une sortie programmée des listes infâmes.

Tant qu’il n’y aura pas une volonté politique de régler les problèmes de la corruption à la source, la grande et la petite corruption quotidienne, dans l’administration régionale qui aboutit à des problèmes de drains, d’inondations, d’atteintes à l’environnement parce que, de haut en bas, les permis se monnayent, on restera bloqué au milieu du classement. Le jour où il y aura un Select Committee de l’Assemblée nationale qui arrivera à un consensus sur le financement des partis politiques et non un projet unilatéral automatiquement voué à échec, il y aura enfin peut être un motif d’espérer.

Comme il sera possible un jour de croire à l’impartialité des décisions et l’équité absolue dans la dispense des services publics, lorsqu’il y aura enfin des nominations sur la base de la méritocratie plutôt que de détenir une carte de membre des partis au pouvoir, peut-être pourrions-nous apercevoir un soupçon, une lueur indiquant que nous avons tourné le dos à des décennies de descente aux enfers.

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