La démission de l’État

« Il n’est pas acceptable qu’une pratique rituelle ait, d’année en année, dérapé pour devenir une source de nuisance sonore, visuelle, sécuritaire et environnementale. On ne peut pas prendre un bâton et soulever des câbles du CEB ou de Mauritius Telecom pour faire passer des structures sans s’exposer à des accidents. On ne peut pas passer devant des maisons de retraite et, à toutes les heures du jour et de la nuit, avec de la musique diffusée à fond dans des véhicules transformés en disco-mobiles. C’est la religion ça ?

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Sans être nostalgique, on ne peut que regretter ce temps vraiment béni de la procession silencieuse des pèlerins vêtus du blanc de la pureté, avec leur petit kanwar orné de jolis miroirs sur les épaules. Ils marchaient jusqu’à Grand-Bassin en respectant les autres usagers et en se tenant des deux côtés de la route. » C’est ce que nous écrivions dans ces mêmes colonnes l’année dernière après le drame de Mare Longue. On ne pensait pas devoir y revenir.

Deux pèlerins avaient été électrocutés lors du pèlerinage vers Ganga Talao en février 2023. Cette année, le nombre de morts a été multiplié par trois. Six jeunes sont décédés à Arsenal lorsque la structure, très haute, qu’ils portaient a heurté un câble de moyenne tension du CEB. Des enfants de la République partis bien trop tôt, c’est d’une immense tristesse.

Les autorités n’ont donc tiré aucune leçon des événements de 2023. On a, en fait, assisté à la démission de l’État, trop occupé à essayer d’engranger des votes ici et là, à tout permettre, à fermer les yeux sur ce qui, de toute évidence, constituait un danger pour les pèlerins eux-mêmes et pour d’autres usagers de la route. Et le prix à payer est, malheureusement, bien lourd pour plusieurs familles.
Tout ce que le gouvernement a fait depuis l’année dernière est de donner des directives. Et à chacun de décider de qu’il a envie de faire ou ne pas faire. Des internautes n’ont pas tout à fait tort lorsqu’ils établissent un parallèle avec l’alcool et la drogue au volant. Que se serait-il passé sur nos routes si ce ne sont pas des lois sévères qui sanctionnaient toute infraction. Imaginons ce que cela serait s’il n’y avait que des guidelines pour les bourrés et les drogués au volant.

Il y a les guidelines, mais il y a aussi les lois existantes en attendant que des règles spécifiques soient édictées pour la conduite publique lors de manifestations religieuses. Pourquoi ne pas avoir appliqué ce qui existe déjà dans nos textes dans toute leur rigueur ?
Si à chaque fête religieuse les lois sont comme mises en parenthèse, il ne faut pas s’étonner ensuite qu’elle se termine mal. Les conséquences de l’inaction étaient fatales l’année dernière et cette année, elles sont encore plus lourdes.

Au lieu de faire leur mea culpa et venir publiquement reconnaître leur responsabilité dans ce laisser-aller, des membres du gouvernement sont venus appeler, hier, à la « retenue ». Qui a empêché la police de sévir lorsque des haut-parleurs diffusaient à tue-tête, en pleine nuit, des chants qui n’ont rien de spirituels, lorsque des marcheurs ont soulevé des câbles du CEB et de MT pour faciliter le passage de leur kanwar, lorsque des structures se sont retrouvées au beau milieu de la route, bloquant le déplacement des autres usagers et le flux normal de la circulation ? Non, ils ont regardé ailleurs. Pour ne pas froisser quelques-uns, ils ont laissé piétiner la Road Act, l’Electricity Act et bien d’autres lois.
Bobby Hurreeram qui parle de retenue. Non, franchement ! Il en a fait preuve lui lorsqu’un camion a emporté la passerelle de Roche Bois ? On s’étonne d’ailleurs qu’il n’ait pas mis sur le dos de l’opposition, celle qu’il voit partout, le drame d’Arsenal.

S’ils ne savent pas comment faire, il suffit de revoir les belles images d’il y a quelques années lorsque cette célébration avait encore son sens unique et inspirant de recueillement et de silence ou alors demander aux pèlerins exemplaires d’Écroignard de faire des démonstrations à travers l’île sur comment confectionner un kanwar et comment marcher sur les routes sans être des obstacles pour les autres.

Comme la religion a envahi la sphère publique et que tout se résume à la démonstration, il faut aussi parler d’autres dérives ailleurs. Et ce n’est pas que lors du pèlerinage de Maha Shivaratree que l’on assiste à ce type de débordements incontrôlés sur la voie publique. Et que les autorités censées réguler son usage font preuve d’un laxisme qui, comme à Mare Longue et à Arsenal, se termine en drame humain.

Ceux qui se sont rendus dans la région ouest le dimanche 3 mars ont vécu un véritable calvaire avec de longues minutes passées en voiture depuis Casela. La source de ce gros embouteillage ? Les 40 heures à l’église St Benoît, le joli petit édifice qui se situe juste au tournant de la route côtière de Tamarin. Il y avait, certes, une présence policière, mais le fait d’avoir permis à plusieurs autobus spéciaux affrétés pour la traditionnelle tournée des « 7 ou 14 legliz » de se garer sur la route juste après le pont de Tamarin, a provoqué un ralentissement infernal et interminable.

S’il y avait ceux qui se rendaient à la plage ou ceux qui étaient en route pour le déjeuner du dimanche chez des parents ou des amis, il y avait aussi ceux qui habitent la région et qui ont éprouvé toutes les peines du monde pour pouvoir déboucher du parking de Super U où ils avaient été faire leurs courses de la semaine. Tout ce qu’il faut pour pourrir un dimanche. Ces bus encombrants pour les autres usagers ont bien entendu transporté leurs occupants qui ont terminé leur pèlerinage religieux par un pique-nique sur les plages avoisinantes, soit à Tamarin ou au Morne, si ce n’est Flic-en-Flac.

Compte tenu des inconvénients que tout cela occasionne, quand bien même c’est ponctuel, là aussi, nous avons envie de poser la question : c’est la religion ça ? Ou bien tout a été, au fil des années, travesti et transformé en carnaval bruyant et dérangeant !

JOSIE LEBRASSE

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