La justice et les prix

Un Premier ministre qui insulte une magistrate dans une réunion que l’on peut qualifier de communautariste. À l’échelle de la gravité, on croyait avoir atteint tous les sommets, mais Pravind Jugnauth est capable de nous choquer semaine après semaine. « Zizman denn mazistra osi bancal… inkonpetan ki pa konpran lalwa. » Voilà comment la décision de la magistrate Jade Ngan Chai King d’accorder la liberté conditionnelle à Bruneau Laurette, selon des paramètres très contraignants, a été commentée en public par le chef du gouvernement. Une sortie inédite pour un leader politique et, de surcroît, un avocat. C’est vrai qu’au sein de la profession, personne ne se souvient des grands procès dans lesquels il a paru ni d’une quelconque prouesse oratoire dont il aurait été un auteur remarqué, mais qu’il se permette de telles outrances en public est inacceptable.

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Un petit chef de parti doit savoir que la justice, c’est pas comme au comité central du MSM et que des décisions de justice peuvent être publiquement contestées lorsqu’elles ne satisfont pas son agenda politique. Et que des magistrats peuvent être dénigrés et traités d’ignares. Lorsque les arrêtés du judiciaire lui donnent raison sur un point technique et non sur le fond de la faute, il déclamera, enthousiaste, que « la vérité a triomphé ». Ah bon, c’est comme ça que l’on défend et que l’on fait prospérer l’état de droit ? Tout bon lorsqu’il lui est favorable et tout mauvais lorsqu’il ne va pas dans le sens qu’il souhaite ?

Pourquoi le leader du MSM ne manifeste son profond courroux que dans le cas qui concerne Bruneau Laurette ? C’est suspect. Lorsque Geanchand Dewdanee ou d’autres trafiquants de drogue présumés ont obtenu la liberté conditionnelle, on n’a pas entendu le PM/avocat Pravind Jugnauth monter sur ses grands chevaux et mobiliser son commissaire de police et ses représentants légaux attitrés pour aller ruer dans les brancards et tenter d’obtenir un renversement des arrêtés judiciaires.

Les critiques infâmes du Premier ministre ont été prononcées en public et devant de nombreux témoins. Il y aurait même un enregistrent de ces paroles litigieuses. What next ? La question doit être posée parce qu’une situation d’une telle gravité ne peut pas rester sans conséquence. Le citoyen lambda qui veut réagir se heurtera invariablement à la notion classique d’absence de locus standi, c’est-à-dire qu’il n’a pas d’intérêt direct ou n’est-il une victime de la situation, ce qui le disqualifie pour rechercher éclairage, décision, réparation ou même sanction.

Mais rien n’empêche la cheffe juge, qui a le devoir de défendre son personnel, de saisir le Directeur des poursuites publiques ou de s’en remettre à la police pour un cas possible d’outrage à la cour. On se souviendra de l’affaire Badry, cet ancien ministre qui avait été blâmé pour corruption par une commission d’enquête présidée par feu l’ancien chef juge sir Victor Glover. Le ministre, contraint à la démission, s’était embarqué dans une campagne publique de dénigrement, assortie de propos à relent raciste, contre le juge. Il fut poursuivi et condamné à six mois de prison pour outrage. Il est vrai que, subséquemment, la notion de « scandalizing the court » a été battue en brèche, mais les propos d’un Premier ministre sur une décision d’une magistrate sont trop graves pour être traités avec légèreté.

Il sera aussi intéressant de voir comment le Bar Council réagira à cette affaire ou s’il dira que Pravind Jugnauth a tenu des propos outrageants à l’encontre d’une magistrale rien qu’en sa capacité de Premier ministre. Or, lors de cette fameuse réunion, il n’a pas cessé de répéter que lorsqu’il critiquait Jade Ngan Chai Kin « la mo pe koz koma enn avoka ». La suite de cette ténébreuse affaire s’annonce, en tout cas, palpitante. Pour peu que les institutions sachent ce que se faire respecter veut dire.

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Pendant que l’on glose abondamment sur les moyens d’améliorer la superstructure, les Mauriciens, dans leur très grande majorité, subissent au quotidien plusieurs électrochocs : la hausse constante du coût de la vie due à la dépréciation accélérée de la roupie orchestrée par le gouvernement et son annexe la Banque de Maurice ainsi que les effets de la récente augmentation des tarifs d’électricité qui, eux-mêmes, avaient été précédés d’un relèvement du taux du crédit. Un cocktail nocif pour le porte-monnaie des plus démunis et même pour les ménages de la classe moyenne.

Un œuf, considéré comme la protéine du pauvre, est à presque Rs 10 dans le commerce, une banane, bien locale, à Rs 11, un yaourt qui se vend à Rs 25 et un avocat à Rs 65 l’unité, voilà ce qui est proposé ces jours-ci aux consommateurs. Si ces produits bien mauriciens se vendent à de tels prix élevés, il est facile d’imaginer le tarif auquel sont pratiqués ceux qui sont importés. Avec l’Euro qui est passé de Rs 48 à Rs 52, que le dollar, devise dans laquelle nous négocions trois quarts de nos importations, a grimpé de Rs 44 à Rs 47.

C’est comme ça que le beurre, le fromage et la viande sont devenus des produits consommés avec parcimonie, parce qu’ils se vendent à un prix bien trop élevé pour satisfaire les besoins quotidiens d’une famille.

L’illustration la plus éloquente de cette situation de grande prudence des consommateurs et du recul de la demande de certaines commodités, parce que leurs prix sont trop élevés, est la décision d’un fabricant de poulet de table de commercialiser ses escalopes en sachet d’un demi-kilo en plus du kilo habituel.

L’exigence du quotidien c’est comment remplir son frigo, nourrir ses enfants, payer le carburant à prix démesuré pour permettre au régime de jouer au faux Père Noël et de donner d’une main pour reprendre de l’autre. Cette supercherie doit s’arrêter.

Les Rs 1 000 d’appoint salarial temporaire et la compensation salariale du même montant avaient déjà été absorbées par la hausse des prix. Ce sera intéressant de voir comment le ministre des Finances va faire pour alléger le fardeau des consommateurs. Le rendez-vous du budget 2023-24 est ainsi attendu avec impatience.

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