La portabilité d’une île

Nous parlions la semaine dernière de la probabilité de voir, d’ici trois ans, une nouvelle île apparaître dans l’océan Indien, au large de Mayotte. Cette semaine, c’est une autre île de notre région qui a occupé le devant de la scène internationale : celle de Diego Garcia, au cœur de l’archipel des Chagos. Cette île qu’Américains et Britanniques ont, à l’opposé, tenté, depuis cinquante ans de soustraire à notre région. De faire disparaître de nos radars et de la carte de notre territoire.

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Mercredi dernier, l’Assemblée générale de l’ONU a créé la sensation en votant, par une large majorité de 116 pays sur 193, une résolution qui reconnaît la souveraineté de Maurice sur l’archipel des Chagos et exige le retrait du Royaume-Uni.

Cette résolution vient confirmer et asseoir un processus finalement initié en 2017 par le gouvernement mauricien. Finalement, car jusque-là, c’étaient surtout les Chagossiens eux-mêmes qui avaient pris à bras le corps la tâche, herculéenne, de contester la mainmise de l’Angleterre et des Etats-Unis sur les Chagos. Ces Chagossiens qui furent déracinés et littéralement déportés de leur archipel après la décision de l’Angleterre, en 1965, de garder cette partie du territoire de Maurice alors que les négociations pour l’indépendance de notre pays battaient leur plein.

Depuis, les Chagos étaient restés, quelque part, la mauvaise conscience de Maurice. La conscience d’avoir, d’une certaine façon, abandonné aux exigences britanniques non seulement cette part de notre territoire mais aussi la vie des quelques 2 000 à 2 500 habitants que les Chagos abritaient alors. Ces personnes déracinées sans explication et jetées dans des conditions de vie abjectes aux Seychelles et à Maurice.

Jusqu’ici, les Chagossiens s’étaient vaillamment battus devant plusieurs cours de justice pour tenter de faire reconnaître et compenser le préjudice qui lui avait été infligé. Combat du pot de terre contre le pot de fer.

Obéissant aux impératifs de la realpolitik et du pragmatisme, Maurice, elle, s’était jusque-là contentée de revendiquer sa souveraineté du bout des lèvres. Jusqu’à ce fameux jour de 2017, où le Premier ministre mauricien Anerood Jugnauth avait créé la surprise en annonçant sa décision de porter l’affaire devant l’Organisation des Nations Unies.

En 2017, à l’issue d’une intense campagne de lobbying, la surprise avait dépassé les espérances de Maurice elle-même : 94 pays avaient voté en faveur de la demande de Maurice de saisir la Cour internationale de Justice de La Haye pour un avis juridique sur les Chagos. Seulement 15 pays avaient voté contre, 65 pays s’étaient abstenus.

En février 2019, la CIJ s’était elle prononcée sans détour, estimant que Londres avait «illicitement» séparé l’archipel des Chagos de l’île Maurice, et devait donc, «dans les plus brefs délais», mettre fin à son administration des Chagos.

Londres ayant subséquemment fait savoir qu’elle n’avait aucune intention d’honorer cet avis consultatif, Maurice a donc poursuivi en portant le dossier devant l’Assemblée générale des Nations unies. Et mercredi dernier, 22 mai, l’Angleterre a subi un revers cinglant : dans une résolution votée par 116 pays, l’Assemblée générale de l’ONU lui a demandé de rétrocéder sous six mois à l’île Maurice l’archipel des Chagos. 6 pays ont voté contre. 56 se sont abstenus.

What next ?

Si certains mettent en avant que cette résolution n’est de toute façon pas contraignante, qu’elle n’a pas force de loi, des observateurs internationaux n’en font pas moins ressortir qu’elle a « une forte valeur politique ».

« UK suffers crushing defeat in UN vote on Chagos Islands » titrait mercredi le journal britannique The Guardian. « The 116-6 vote left the UK diplomatically isolated and was also a measure of severely diminished US clout on the world stage. The scale of the defeat for the UK and US came as a surprise even to Mauritius, in view of the concerted campaign pursued by London and Washington. British diplomats said the non-binding resolution would have little practical impact. But it has taken a political toll, draining support for the UK in the general assembly and focusing dissatisfaction over its permanent seat on the UN security council. It lost its seat on the ICJ two years ago », souligne le Guardian. 

D’un côté, l’Angleterre et les Etats-Unis continuent, pour justifier le maintien de leur contrôle, à insister sur le rôle défensif de premier plan de la base militaire implantée par les Américains sur l’île de Diego Garcia. Mettant en avant le rôle stratégique clé joué par cette base utilisée dans les années 2000 lors des conflits en Irak et en Afghanistan. Et aujourd’hui encore pour assurer la défense du monde contre « les menaces terroristes, le crime organisé et la piraterie».

Mais si, dans le « camp » mauricien, on met l’accent sur la nécessité de mettre le dernier acte à la décolonisation de l’Afrique, il n’en reste pas moins que le premier ministre mauricien l’a clairement déclaré : si elle revendique sa souveraineté sur les Chagos, Maurice ne réclame pas pour autant le démantèlement de la base de Diego Garcia…

C’est dire si l’on risque de voir, dans les mois à venir, s’intensifier discussions et tractations. Portant, globalement, sur la « portabilité » d’une île. En termes économiques, la capacité à fonctionner, à être rentable dans différents environnements d’exécution.

En espérant que les droits de ceux qui en avaient, en premier lieu, été déportés, ne soient pas, une nouvelle fois, « overlooked in the process »…

 

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