La vérité pour les morts et les vivants

« On doit des égards aux vivants

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On ne doit aux morts que la vérité »

Ces mots de Voltaire prennent ces jours-ci une résonnance particulière avec ce qui s’est passé à Maurice en marge du passage du cyclone Belal.

Un cyclone, c’est toujours une part d’imprévu. Mais force est de constater que la situation, dans La Réunion voisine, a été bien gérée même si certains y ont vu, de la part des autorités, un peu trop d’alarmisme. Reste que vu la topographie de l’île sœur (son relief, ses hauteurs, ses multiples ravines) et le fait que le cyclone est passé sur elle, La Réunion aurait logiquement dû être beaucoup plus affectée que nous. Sauf que les mesures préventives avaient été déployées avec réflexion et diligence, des barrages artificiels installés, des abris aménagés, tout un arsenal pour assurer la sécurité maximale des habitants.
Ce n’est pas ce qui s’est passé chez nous.

On doit des égards aux vivants.

Et il est scandaleux de constater le mépris profond avec lequel le gouvernement mauricien a traité la sécurité des Mauricien-nes. Jetant sur les routes des centaines de milliers d’employés, alors même que toutes les cartes satellitaires montraient que nous ne pourrions manquer d’être affectés par les importantes bandes nuageuses qui entouraient ce cyclone. De fait, des milliers de personnes se sont retrouvées piégées par les eaux sur nos routes quand finalement les autorités ont décidé d’autoriser le retour chez eux des fonctionnaires à partir de midi. Laissant au secteur privé de décider pour ses employés, comme s’il existait deux catégories d’humains dans notre pays. Comme si le lieu où nous travaillons décidait de notre droit à être considérés ou abandonnés dans une chose aussi essentielle que la protection de nos vies.

Au-delà du cyclone, cette situation montre bien une chose : l’urgence climatique n’est pas un spectre qu’agitent les écolos que l’on balaie d’un revers de main dédaigneux en les taxant de faire obstacle au « devlopma ». L’urgence climatique aujourd’hui nous explose à la figure, avec des cyclones plus violents, des flash floods dévastateurs.

Face à cela, que font les autorités ?

On continue à bétonner à tout va.

On distribue des contrats à des petits copains pour aménager des drains inadéquats quand ce n’est carrément mal foutus.

On vire le directeur de la météo en alimentant des polémiques qui détournent l’attention.

D’autres flash floods vont se produire. Que font les autorités pour réfléchir à une politique intégrée et mettre en œuvre les travaux et mesures urgemment nécessaires pour protéger ces dizaines de milliers de Mauricien-nes qui, même en restant chez eux lundi dernier, se sont retrouvé-es avec des habitations soudain traversées par des torrents de boue, inondées par des flots de matières fécales, « visitées » par des ossements et des crânes charriés du cimetière avoisinant, dont l’inondation répétée ces derniers mois n’a bien sûr rien à voir avec l’aménagement à la n’importe comment du métro à proximité.

Il y a quelques mois, en dehors des alertes cycloniques, les autorités ont décidé de mettre en place un système d’alerte de « veille de forte pluie », d’  « avis de veille de fortes pluies », tout un galimatias risible s’il n’était à ce point confus, inapproprié, voire dangereux.

Et maintenant, que font-ils à part se dédouaner farouchement de toute responsabilité et refuser de répondre aux questions, envoyant à la radio, par téléphone, le ministre des Arts qui dit avoir entendu une émission alors qu’il roulait en voiture et souhaiter intervenir pour rétablir certains « faits »…

Jusqu’où va le mépris des vivants ?

Jusqu’où va le mépris des morts ? Parce qu’il y a bien eu deux morts lundi dernier, deux motocyclistes emportés alors qu’ils tentaient de regagner leur domicile, comme en témoigne pour l’un d’entre eux une terrible vidéo tournée par des internautes abasourdis, montrant une moto renversée dans l’eau sur l’autoroute et le corps d’un homme entraîné par le fleuve que cette autoroute est devenue.

Il y a aussi la responsabilité de notre fameux « secteur privé ». (Ce même secteur privé dont des membres, lundi dernier, tenaient des réunions pour décider s’ils allaient faire « une fleur » à leurs employés en les relâchant à 12h au lieu de 16h).

Car c’est bien aussi le « secteur privé » qui est en train de déployer, partout à travers notre pays, des projets de construction, de villas, d’hôtels, de terrains de golf, de complexes commerciaux, qui portent gravement atteinte à notre intégrité environnementale, et au bout du compte à notre vie même sur notre territoire. Et il est singulier de noter que, face au « laxisme », quand ce n’est à la facilitation des autorités gouvernementales, ce sont des associations de citoyen-nes et des ONG qui se retrouvent à devoir assurer la défense de ces droits, contraints pour cela de trouver des moyens pour faire appel à la justice.

Dans un communiqué rendu public ce vendredi, l’association Eco-Sud, sous la plume de Sébastien Sauvage, fait ainsi le lien entre les événements cycloniques de Belal et son combat pour l’évolution du Droit environnemental qui doit la mener devant le Privy Council en Angleterre en mars 2024.

« Les conséquences tragiques de ce phénomène météorologique soulignent les lacunes de notre modèle de développement, et notre rapport à la Nature. Ils mettent en lumière le manque de résilience climatique de l’Île Maurice, qui résulte en grande partie au non-respect de nos zones écologiquement sensibles, de nos écosystèmes et de notre biodiversité », écrit Eco-Sud.. Parallèlement, fait ressortir l’association, les citoyens et les organisations engagés pour la protection de la Nature se retrouvent face à des portes fermées pour des raisons de locus standi. Pour faire court, le locus standi, c’est le droit d’une partie de comparaître et d’être entendue devant un tribunal. Jusqu’ici, les citoyens et associations écologistes mauriciens qui ont voulu contester un projet en cour se sont vu refuser ce droit, car il était estimé qu’ils ne pouvaient pas prouver qu’ils étaient directement affectés. Or, en juillet 2023, la Cour suprême de Maurice a rendu un jugement historique qui réinterprète le test du locus standi et facilite l’accès à la justice environnementale pour les citoyens et les organisations. Mais cette avancée a immédiatement été remise en question par nul autre que le ministère de l’Environnement et un promoteur privé, qui contestent ce jugement devant le Privy Council. L’affaire sera entendue en mars 2024. Eco-Sud a décidé de prendre la défense de l’évolution du droit environnemental à Londres pour tous les citoyens mauriciens. Mais cela est très coûteux. D’où la décision de lancer une levée de fonds, qui peut être consultée sur Crowdfund.mu https://privycouncil.ecosud.mu. À ce jour Rs 114 000 ont été récoltées. Il reste 78 jours pour arriver aux Rs 1,6 million nécessaires.

Nous nous retrouvons donc dans une situation où les citoyen-nes mauricien-nes doivent payer, cher, pour amener le ministère de l’Environnement de leur pays à respecter leur droit environnemental…

Outre la responsabilité gouvernementale et la responsabilité du secteur privé, on ne saurait donc manquer d’évoquer la responsabilité de la population mauricienne.

Cette population qui a su montrer une magnifique entraide et solidarité au plus fort de la crise.

Cette population qui aussi, hélas, semble parfois si peu respectueuse de son propre environnement, jetant à tout va ses détritus, ces détritus que la mer a rejetés en masse lundi dernier sur l’esplanade du Caudan et du Port Louis Waterfront.

Cette population, nous, pour qui il serait peut-être temps de se poser une question cruciale : la complexification accélérée du monde nous permet-elle encore d’estimer qu’il est possible, comme autrefois, de voter pour des incompétents et inconsistants sur le seul fait qu’ils sont de la même communauté/caste que nous ?

On doit des égards aux vivants.

Aux morts, on doit la vérité…

 

Face à la catastrophe entourant le passage du cyclone Belal, il y a la responsabilité d’un gouvernement qui ne cesse de montrer son mépris de notre sécurité environnementale et humaine. Il y a la responsabilité d’un secteur privé qui bafoue aussi allègrement notre sécurité environnementale et humaine. Et puis il y a la responsabilité d’une population, nous, pour qui il serait peut-être temps de se poser une question cruciale : la complexification accélérée du monde nous permet-elle encore d’estimer qu’il est possible, comme autrefois, de voter pour des incompétents et inconsistants sur le seul fait qu’ils sont de la même communauté/caste que nous ?

 

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