Le droit de dire stop

Ce mardi 18 juillet 2023 se pose comme une date historique pour la justice environnementale à Maurice. Siégeant en appel, la Cour suprême a rendu ce jour-là une décision en faveur de l’ONG Eco-Sud et du droit de l’environnement. Une décision qui donne une interprétation très large de la notion de Locus standi (intérêt à agir) sous l’Environment Protection Act et qui vient en clair faciliter l’accès des citoyens et des associations à la justice environnementale.

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Cette affaire remonte à février 2019, lorsque Eco-Sud entre une action devant le Tribunal de l’Environnement pour contester le permis EIA accordé par le ministère de l’Environnement au projet Pointe d’Esny Le Village. Dans un premier temps, la demande d’Eco-Sud est rejetée par le Tribunal, qui estime que l’ONG n’a pas réussi à prouver qu’elle a un intérêt à agir suffisant pour aller devant la justice.

Ne s’avouant pas vaincue, Eco-Sud fait appel de cette décision devant la Cour suprême. Vendredi dernier, les juges Hamuth-Laulloo et Naidoo ont, dans leur jugement, posé une position qualifiée d’historique sur l’interprétation du Locus Standi en matière de droit environnemental.

Estimant que les citoyens et les associations ont un rôle crucial à jouer et à être reconnus dans la défense des droits liés à la protection de l’environnement. De par ce jugement, un contestataire n’est plus obligé de prouver qu’il est personnellement affecté par le projet qu’il conteste. Il peut agir s’il a légitimement à cœur la défense d’intérêts publics plus larges, comme la protection de l’environnement.

Ce jugement est crucial. Car jusqu’ici, beaucoup de contestations ont été écartées sans discussion parce qu’il incombait aux contestataires de nombre de projets de prouver qu’ils étaient personnellement affectés. Désormais, la notion d’intérêt général et commun entre, de fait, dans l’application de la justice environnementale.

Cela est décisif alors qu’à travers l’île, se multiplient des projets dits de « développement » qui portent gravement atteinte à notre environnement, qu’il s’agisse de forêts, de mangroves, de wetlands, de plages, etc.

Ce jugement est capital alors que dans le monde, l’actualité, brûlante, nous montre à quel point le changement climatique induit par l’humain est en train d’avoir des conséquences de plus en plus désastreuses.

Ainsi, jeudi dernier, Gavin Schmidt, le climatologue en chef de l’Agence aéronautique américaine (NASA) a rejoint l’observatoire européen Copernicus pour annoncer que juillet 2023 sera probablement le mois le plus chaud jamais enregistré sur la Terre. De nombreux records de chaleur ont déjà été pulvérisés, ce mois-ci, aux États Unis, à travers l’Europe, en Chine.

Des vagues de chaleur inédites qui ne peuvent être attribuées uniquement à El Niño, phénomène climatique cyclique qui prend sa source dans l’océan Pacifique et entraîne une augmentation des températures mondiales, accompagnée de sécheresses dans certaines parties du monde et de fortes pluies dans d’autres. Selon Gavin Schmidt, El Niño joue « un faible rôle » dans les observations actuelles, et c’est parce que nous continuons d’émettre des gaz à effet de serre dans l’atmosphère que des records de températures à la surface de la mer sont en train d’être battus depuis plusieurs mois, même en dehors des tropiques. Et il est prévu que cela continue.

“Nous prévoyons que 2024 soit une année encore plus chaude, car nous la commencerons avec le phénomène El Niño qui s’accumule en ce moment, et qui atteindra un sommet vers la fin de cette année », a ainsi prévenu Gavin Schmidt.

Pourtant, il y a toujours des gens qui continuent à ne pas croire au réchauffement climatique. Et qui l’expriment de façon incroyablement agressive. Il y a quelques jours, Chris Gloninger, chef météorologue à KCCI-TV dans le très conservateur État de l’Iowa aux États Unis, a été menacé de mort par des personnes lui reprochant de trop parler dans ses bulletins de la crise climatique qui se développe sous nos yeux.

Cela a commencé par une série de messages et d’e-mails l’accusant de mettre en avant « a liberal conspiracy theory on the weather », qualifiant le changement climatique de « hoax de Biden ». Au point où la direction de la station de télé lui demande d’éviter le terme « réchauffement climatique ».

Puis, cela a dégénéré en des menaces directes sur la sécurité, voire la vie du climatologue et de sa femme, au point d’influer sur leur santé mentale et de les contraindre à quitter l’État de l’Iowa.

Nous avons beau être témoins, de plus en plus, d’épisodes inédits, de températures record, d’inondations catastrophiques, de feux de forêts dévastateurs, il y a toujours des gens qui refusent de considérer la réalité du changement climatique induit par l’humain.
C’est aussi le cas à Maurice.

Cette semaine, le ministère de l’Environnement a publié le Database on Climate-Related Risk Drivers, rapport destiné à permettre d’identifier rapidement les facteurs à risque selon leur degré d’intensité et selon la gravité de leur impact à la fois sur l’équilibre social et économique d’un pays.

On y voit que dans la catégorie des acute risk drivers (facteurs de risques aigus), le « extreme weather vulnerability » figure en tête de liste.

En sa qualité de petit État insulaire, Maurice est doublement exposée au changement climatique. Et nous sommes très vulnérables face aux phénomènes météorologiques extrêmes que ce changement entraîne, à savoir les cyclones, les tempêtes, les raz-de-marée, les houles anormales, les fortes pluies, les flash floods et inondations alternant avec des périodes de sécheresse et les inondations. Il n’y a qu’à voir, cette année, le nombre de fois où des alertes de pluies torrentielles ont été émises, forçant à la fermeture des écoles, notamment.

Au chapitre des Chronic or Slow onset risk drivers (facteurs de risque chroniques ou à évolution lente), le rapport souligne l’augmentation du niveau de la mer. Les données du niveau moyen de la mer à Port-Louis indiquent ainsi une élévation du niveau de la mer de 4,7 mm/an entre 1987 et 2020. Et cette hausse devrait se monter à 49 cm d’ici à 2100. Le rapport dit en conséquence que l’augmentation prévue de la température annuelle moyenne, associée à l’érosion des plages, peut entraîner une réduction des arrivées de touristes, ce qui se traduirait par une perte de revenus pouvant atteindre 50 millions de dollars américains d’ici à 2050.

Ailleurs aussi, cette question du tourisme se pose avec une acuité accrue, ces dernières semaines. La canicule que connaissent ces jours-ci les régions méditerranéennes d’Europe amène des pays comme l’Italie et la Grèce à s’interroger sur une éventuelle fin du tourisme estival. Ainsi, un record de 48°C a été enregistré à Athènes par les services météorologiques grecs, cette semaine, obligeant à fermer l’Acropole au public entre 13 heures et 17 heures. Au milieu du constat que la municipalité n’a pas mis en œuvre la végétalisation promise en 2019 pour favoriser le rafraîchissement urbain.

À Maurice aussi, où l’économie dépend grandement du tourisme, quelques-uns commencent à s’inquiéter pour ce secteur d’activité, alors que les opérateurs du secteur eux-mêmes et les autorités supposées « compétentes » ne cessent d’embarquer le pays dans des projets dits de « développement » qui bafouent, voire violent, tous les principes de justesse écologique, sociale et humaine, tout cela au nom de gains économiques égoïstes et courtermistes.

Aujourd’hui, à l’instar d’Eco Sud, d’autres associations et citoyens pourront non seulement dire mais aussi porter en Cour le fait qu’ils se sentent atteints, menacés, spoliés. Au milieu du marasme, c’est quand même une riche avancée, due à la société civile. Et c’est dire comment l’opiniâtreté, parfois, peut payer au meilleur sens du terme…

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