Le livre qui n’est pas écrit

Il y a des livres sur tout et sur tous les sujets, écrits dans toutes les langues ou presque, des petits, des gros, des instructifs, des inutiles, des riches en contenu, des pauvres en sens. Mais il y a un livre qui, je pense, n’a pas été écrit.

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C’est celui qui parle de tout et de rien, d’une vie idéale et pas banale, celle rêvée et ô combien idyllique et utopique. Un livre qui dès qu’on l’ouvre, des rayons de soleil s’y échappent, illuminant les visages défaits et éteints dont les lèvres marquent 07h25 😞.

Des yeux avides de belles histoires se lancent alors entre les lignes et après des mots si beaux, si justes, si vertueux, que pas un instant le lecteur ne veut déposer ce bijou qu’il tient entre les mains : ses mains, si bonnes, si honnêtes, toujours prêtes à être tendues et offertes.

Page après page, il découvre les petits bonheurs et y lit des intentions toujours bonnes et bien “intentionnées”. Se dégage du livre, un parfum doux de vanille et de bonbons ou peut-être un parfum suave qui le laisserait imaginer qu’il vit un instant d’éternité, plongé là dans les délices de la vie admirable de parfaits inconnus figés sur du “ti-papier” imprimé. Ici et maintenant, cette vie parfaite est faite de fête et de tendresse. Plein d’allégresse, le lecteur est comme une petite puce à sauter de lignes en pages.

Ce livre évoque la tolérance à tous les niveaux et, sans gêne ni honte, va dans un sens agréable à tous. Il n’y a aucune entorse faite à quiconque ou à quoi que ce soit ! Et dans ce récit, toutes les promesses faites sont tenues haut la main. Tout le monde pense pareil et est content. Tous ensemble chantent d’une seule voix, dans la même direction, épousant aveuglément un même message et une même pensée… Unique ! Tout le monde est beau, gentil et s’entend à merveille.

Mon œil !

Ce livre, qui n’est pas écrit, je crois, manquerait de relief, de sagesse, de profondeur et serait foutu là, loin de tout, loin de toi, loin de moi. Tenir un livre comme cela entre les mains nous ferait-il le plus grand bien ? Un bien qui ne serait qu’éphémère et que superficiel. Le réel y serait omis, le vrai s’y perdrait, l’ivraie n’y serait pas permise et l’illusion règnerait semant la confusion dans les cœurs et dans la tête. C’est comme si Merlin l’enchanteur était passé par là, pour brouiller le vrai et le faux, mêlant le Bonheur aux petits plaisirs passagers, pour mieux noyer notre réel profond.

Car la vie est loin d’être parfaite et est, aussi, faite d’intolérance, de misère, de honte, de déception et de tant d’autres choses pas toujours glorieuses qui nous permettent de reconnaître nos vulnérabilités, nos limites et nos détresses. Nos faux pas également ! La prise de conscience de tout cela nous permet de réfléchir et d’analyser, et ces expériences vécues nous enrichissent. Ensuite, nous reprenons ces aspects en mains et nous nous relevons en criant haut et fort : Ce qui ne tue pas rend plus fort. !

La vie est comme une terre glaise, sans cesse triturée, maniée, ce qui la rend, en général et au final, plus souple et plus facile à modeler. Tel l’argile qui se laisse faire entre les mains bienfaisantes d’un potier, c’est à force de ces manipulations, de “ kase-refer”, d’erreurs, de combats, de confrontations et d’épreuves que nous pouvons emprunter un chemin plus à même à nous aider à nous tenir debout, solides sur nos jambes, bien en soi et à faire face à notre quotidien. Adieu, veaux, vaches, cochons !

La vie n’est pas toujours rose et n’est pas un long fleuve tranquille. Ça, non !  Elle est certainement faite de grande joie et de grands évènements. Mais aussi de moments qui viennent nous marquer le visage. Nous n’avons qu’à demander à chaque ride incrustée de nous compter son histoire : dur labeur, espoirs perdus, liberté bafouée, mots tus, secrets gardés, tabous enfouis, blessures ouvertes, cicatrices pansées, paroles non-pardonnées, déception cachée, acceptations victimaires, combats légitimes et justifiés, deuil, et que sais-je encore !

Cela dit, ce serait bien de vider de temps à autre cette poubelle émotionnelle dont le contenu pourrit, ou, tout en moins, empoisonne la vie. Et comme le dit Jón Kalman Stefánsson : “ Il y a bien un moment où il faut finir par parler, par s’ouvrir, par ouvrir son cœur, sinon, on risque sans doute de gâcher sa vie, d’assassiner le bonheur et on se condamne soi-même à la solitude. “

Tout cela est nécessaire parce qu’on le vaut bien. Chacun de nous est une promesse de vie. Chaque promesse est une espérance à chérir même si elle n’est pas tenue. Chaque chemin emprunté est une promesse de réalisation, d’objectif espéré ou, tout au moins, la promesse d’un désir d’une vie vivante, vécue pleinement.

Nous sommes faits pour nous émerveiller de ce (et ceux !) qui nous entoure et pour admirer les moindres choses fussent-elles bonnes, même si elles paraissent petites et insignifiantes.

Nous sommes conçus pour être en relation les uns avec les autres tout en gardant notre identité propre, notre manière de penser et notre liberté d’agir … ou pas.

Nous sommes créés pour avancer ensemble, dans une vie faite de lumière et encore de ténèbres, de compassion et de malentendus, d’accords et de désaccords.

C’est tout cela que nous pouvons aligner, lettres après mots, lignes après pages, dans un livre aux senteurs d’encre, pendant qu’un café fumant au parfum de noisettes nous inspire à écrire, jusqu’au bout, l’histoire de nos vies que nous ne cesserons jamais d’écrire.

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