Opinion : Le danger de rassurer les Américains sur leur base de Diego Garcia

Nombre de citoyens de notre pays qui suivent le dossier des Chagos — surtout depuis l’avis consultatif de la Cour internationale de justice (CIJ) ordonnant à la Grande-Bretagne de nous restituer l’archipel — doivent sûrement se demander ce que va bien pouvoir dire notre Premier ministre à ce sujet à son homologue britannique Boris Johnson, cette semaine, à Londres, en marge du Sommet des affaires Royaume-Uni/Afrique. Il faut d’abord savoir si Pravind Jugnauth aura l’occasion de rencontrer Johnson pour évoquer l’affaire ou s’il ne va pas se faire éviter ou ignorer comme ce fut le cas pour son père, Sir Anerood, lors d’une fameuse conférence du Commonwealth à Harare, au Zimbabwe, au début de 1992 ? Le Premier ministre britannique d’alors, Sir John Major, avait affiché à l’égard de SAJ l’attitude méprisante classique de quiet disregard que lui avait recommandée ses diplomates.

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On ne peut que souhaiter que, malgré ses manières réputées assez cavalières, le nouveau Premier ministre britannique sache au moins écouter ce qu’aura à lui dire son jeune interlocuteur, d’autant que pour assurer l’avenir économique de son pays après le Brexit, Boris Johnson semble avoir besoin désormais de beaucoup plus de petites nations comme Maurice et de nos alliés africains à l’ONU que ces derniers de son pays. Les débouchés pour les produits africains (dont ceux de Maurice) sont actuellement beaucoup plus variés qu’ils ne l’étaient à la fin du siècle dernier. Les portes des universités du monde sont aussi désormais grandes ouvertes et nous n’avons plus, heureusement, à dépendre de celles du royaume d’Angleterre…

Ce qui est certain, si dialogue il y a entre les deux chefs de gouvernement, Pravind Jugnauth ne va pas provoquer de tremblement de terre dans les relations anglo-mauriciennes. On peut parier que, conseillé par son Foreign and Commonwealth Office, Boris Johnson va reprendre la rengaine, maintenant quasi quarantenaire, que « la Grande-Bretagne va retourner les Chagos à Maurice le jour où cet archipel ne sera plus nécessaire pour la défense de l’Occident ». Il est tout aussi certain qu’avant même que le PM britannique aura donner cette « garantie » (bien placée entre guillemets), Pravind Jugnauth aura, lui, donné celle de Maurice que « les États-Unis pourront garder pour l’éternité l’usage de leur base de Diego Garcia à condition que la souveraineté de Maurice soit reconnue sur l’ensemble de l’archipel ». En cela, non plus, il n’y aurait rien de nouveau, Pravind Jugnauth n’aura inventé ni la roue, ni l’eau chaude, parce c’est la position officielle de notre pays envers les États-Unis remonte aussi loin que 2003. Soit, lorsque Paul Bérenger, devenu Premier ministre selon la formule dite à l’israélienne, avait commencé à parler de « nos amis les Américains » et qu’avec Anil Gayan, ministre des Affaires étrangères de l’époque, ils étaient partis à Londres discuter avec le Foreign Minister travailliste Jack Straw pour le prier de transmettre au Pentagone l’engagement ad vitam æternam de Maurice sur Diego Garcia. La même garantie a été, ensuite, formulée lors du procès à la Cour internationale par la partie mauricienne dirigée par le ministre mentor Anerood Jugnauth.

Mais depuis l’avis de la CIJ et la dernière résolution onusienne patronnant Maurice, le contexte militaire a très dangereusement changé dans l’océan Indien avec les tensions entre les États-Unis et l’Iran. On aura beau dire que l’Iran, malgré ses missiles, n’a pas la capacité de frapper les Américains sur leur base de Diego Garcia, mais ils n’en ont pas vraiment besoin. La guerre qui, tôt ou tard, pourrait éclater entre le pays de l’impétueux président Donald Trump et le pays des mollahs sera asymétrique. C’est-à-dire elle ne sera pas nécessairement menée armée contre armée au sol, sur mer ou sur terre. Selon la définition, une guerre asymétrique est une guerre qui oppose la force armée d’un Etat à des combattants matériellement insignifiants, qui se servent des points faibles de l’adversaire pour parvenir à leur but souvent politique ou religieux. Ainsi, si les États-Unis peuvent se permettre de menacer de sanctions économiques et autres, toute nation qui traite avec l’Iran, celui-ci non-plus n’a pas manqué d’avertir qu’également il considérera ennemie toute nation qui collabore avec les États-Unis. Par exemple, en permettant à Washington d’utiliser son territoire comme base pour l’attaquer. C’est donc le grand risque que prend notre pays en garantissant le maintien de leur base aux Américains !

Qui, dans un contexte de haute tension pareil, pourrait aller expliquer aux Iraniens les subtilités du conflit anglo-mauricien sur les Chagos le jour où ils décideraient d’envoyer des combattants sur le Mainland Mauricien à leurs yeux complices — de gré ou de force — des États-Unis ? Certainement pas notre nouvel ambassadeur en Arabie saoudite, Showkutally Soodhun, lui si admiratif du prince Bin Salman, honni des Iraniens et allié des USA au Moyen-Orient.

Qui plus est, on peut déjà commencer à frémir à l’idée que, pour corser une situation déjà compliquée, dans sa sagesse, le Premier ministre devait choisir d’envoyer Anil Gayan remplacer l’excellent ambassadeur de carrière Jugdish Koonjul aux Nations unies. Il faut rappeler qu’Anil Gayan, aux commandes au ministère des Affaires étrangères, avait, en 2003, choisi d’entraîner la République de Maurice dans la guerre faite par les États-Unis principalement à l’Irak de Saddam Hussein sous le faux prétexte de détention d’armes de destruction massive. A la tribune des Nations unies, l’ambassadeur Koonjul s’était bravement opposé au puissant général US Colin Powell. Il ne voulait pas la guerre. Gayan, avec l’appui du gouvernement MSM-MMM dirigé par Paul Bérenger, avait poussé sa soumission aux Américains jusqu’à rappeler Koonjul au pays pendant que la subordonnée de ce dernier, Mme Usha Jeetah, allait voter en faveur de la guerre au nom de Maurice. Et, après que des centaines de soldats américains et anglais et des centaines de milliers de civils irakiens eurent perdu la vie, il fut découvert que la guerre n’avait pas de solides raisons. Aucune raison d’être. Si le Premier ministre britannique, Tony Blair, fut bien obligé de s’excuser publiquement et en larmes à la télévision pour s’être laissé entraîner par George W. Bush, ni Anil Gayan ni le gouvernement mauricien n’osèrent, eux, reconnaître leur erreur.

Maurice doit retenir la leçon de la guerre d’Irak. Il lui faudra, cette fois, refuser sans ambiguïté de prendre position aux côtés des États-Unis dans sa guerre projetée contre l’Iran. Une guerre que même le Congrès américain ne veut absolument en entendre parler. Sans doute, les États-Unis de Trump ne tiendront pas compte de l’opposition de Little Mauritius à ses desseins. Qu’importe ! Pourvu que l’Iran soit bien informé que nous sommes l’ami de tout le monde et l’ennemi de personne… Dans sa préférence souvent exprimée des Américains, Anil Gayan ne pourra définitivement pas incarner cette neutralité-là qui pourrait nous épargner de la guerre asymétrique des Iraniens. Rassurer les Américains sur leur base de Diego est très dangereux…

Henri Marimootoo

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