Osman Mahomed : « Les forces de l’opposition doivent s’unir pour débarrasser le pays du gouvernement »

Notre invité de ce dimanche est Osman Mahomed, élu du Parti Travailliste à Port-Louis. Dans l’interview réalisée vendredi et mise à jour samedi, il répond à nos questions sur des sujets d’actualité : du « survey » de Mauritius Telecom, en passant par la manifestation contre le gouvernement, les travaux parlementaires et les divisions de l’opposition.

- Publicité -

l Le Parlement vient d’entrer en vacances d’hiver. Quel est votre bilan personnel de la session qui vient de s’achever ?

— En tant qu’ingénieur civil et ancien fonctionnaire, je me suis attaché à couvrir, à travers mes questions et mes interventions, les sujets que je comprends bien. C’est-à-dire le métro, l’électricité, les infrastructures publiques et le logement social, surtout depuis l’annonce de la construction de 12 000 unités. Et forcément, depuis peu, à Mauritius Telecom, pour des raisons évidentes. Je suis satisfait d’avoir posé mes questions, mais je dois dire qu’avec le tirage au sort, beaucoup de mes questions n’ont pas été répondues. Déjà, en 2015, j’avais interrogé le ministre responsable sur l’identité de la compagnie ou de l’individu qui avait conseillé le gouvernement de ne pas respecter le contrat avec la firme Betamax. Avec l’affaire BAI, c’est un des premiers exemples de décisions prises par le gouvernement qui ont causé des torts irréparables au pays pour son avenir.

l Les Mauriciens commencement à être fatigués de la manière dont fonctionne le Parlement. Chaque séance est marquée par un climat de tension, des affrontements, des expulsions, des suspensions et des walk-out. Il est évident que le gouvernement provoque ces situations pour raccourcir le temps des questions et des débats. Mais est-ce qu’en répondant à ces provocations, l’opposition ne fait pas son jeu ? Quelque part, cette situation ne l’arrange-t-il pas ?

— Ce n’est pas vrai. Il y a une chose qui doit être soulignée. Une question parlementaire, une intervention, cela demande beaucoup de travail de recherche et de réflexion pour maîtriser le sujet et obliger le ministre à répondre en ne s’écartant pas du sujet. C’est frustrant que tout ce travail soit gâché par des provocations qui mènent à des désordres et surtout, comme vous le dites, qui raccourcissent le temps des réponses et du travail parlementaire. Mais ce n’est pas de la faute de l’opposition. Il n’est pas toujours possible de ne pas répondre aux provocations, surtout avec l’attitude du Speaker. Certaines sont faites exprès pour provoquer des réactions comme le fait, pour le Premier ministre, de citer le nom de Mme Ramgoolam — ce qui est contraire à la pratique parlementaire — avec la bénédiction du Speaker !

l Vous êtes un des rares parlementaires de l’opposition à ne pas avoir été systématiquement expulsé ou suspendu. Comment faites-vous pour échapper au Speaker ?

— J’essaye de me contenir au maximum, de ne pas céder aux provocations afin d’avoir des réponses à mes questions. Et croyez-moi, ce n’est pas toujours facile. Il est évident que le Speaker surveille particulièrement certains de mes camarades de l’opposition et me laisse donc tranquille.

l Vous réclamez à cor et à cri un retour à la planification des projets gouvernementaux. Mais quand on regarde comment le métro est construit avec des lignes non prévues ajoutées, dont celle de Réduit, des travaux qui détruisent ce qui a été fait l’année dernière, à Rose-Hill, est-ce que vous n’avez pas le sentiment que le mot planification a été effacé du vocabulaire du gouvernement ?

— Hélas, oui ! Avant 2014, le ministère du Plan avait été remplacé par le Programme Based Budgeting au ministère des Finances qui assurait le suivi des projets de développement. Mais quand il est arrivé au pouvoir en 2015, le gouvernement a fermé ce département ainsi que celui de Maurice Ile Durable. On a rayé certains programmes mis en place par le gouvernement précédent, même ceux qui étaient efficaces ! Depuis, nous avons des budgets extrêmement décousus d’une année à l’autre. Cela dénote un manque de vision et de planification. Pour moi, l’absence de planification est un drame pour le pays, mais il semblerait que les choses vont enfin changer puisque, suite à une de mes questions, le ministre des Finances vient d’annoncer la création d’un département de planification. Attendons voir. Depuis 2015, nous allons dans toutes les directions sans qu’il y ait une cohérence et, dans le cas du métro, sans connaître son coût réel. Grâce à un jeu de réallocation, les coûts de certains travaux d’infrastructure ont été passés à la CWA, au CEB, et à la Wastewater Authority, et on a éliminé la partie surélevée du projet, conçu avant 2014. Le résultat est un massacre urbain à Quatre-Bornes, ville désormais coupée en deux par une route principale constituée de deux lanes où passent camions, autobus, voitures, motos, pour donner la place à un train qui en dehors des heures de pointe est à demi-vide ! Ce désordre est le résultat de l’enlèvement par le gouvernement de tout système de planification dans le pays. Aujourd’hui, on fait tout au petit bonheur la chance.

l Le métro était également supposé diminuer les embouteillages dans les villes. Quand on regarde ce qui se passe à Rose-Hill et Quatre-Bornes, on dirait que l’objectif ne sera atteint…

— Le métro léger est un échec parce qu’il ne comporte pas les mesures d’accompagnement indispensables pour encourager les Mauriciens habitant autour de son tracé à l’utiliser. Puisqu’on dépense plus d’argent et on perd plus de temps pour sortir de chez soi pour aller prendre le métro, alors il vaut mieux prendre le bus ! Ce qui ne va pas diminuer le problème des embouteillages. On va faire le métro aller jusqu’à Côte d’Or pour passer dans la circonscription du Premier ministre. Mais est-ce qu’il y a suffisamment de trafic pour justifier l’investissement de plusieurs milliards dans ce nouveau tracé ou est-ce que c’est juste un argument politique pour les prochaines élections ? Est-ce qu’on a fait une étude de faisabilité sur la rentabilité commerciale de cette nouvelle ligne ?

l N’est-ce pas le rôle des techniciens et des fonctionnaires de demander que de telles études soient faites avant de lancer un projet ?

— On me dit que certains hauts fonctionnaires, mettent en garde, mais on ne les écoute pas. Ils se contentent alors de mettre en application les décisions prises par les politiques, sans logique ni planification. Valeur du jour, le métro — dont on ne connaît pas les coûts d’opération — n’est pas rentable et il est évident qu’il ne peut pas fonctionner sans les subsides du gouvernement. Encore un sujet qui provoque un immense mécontentement dans le pays envers ce gouvernement qui doit s’en aller le plus vite possible.

l Vous reprochez au gouvernement de ne pas avoir de planification. N’est-ce pas également le cas de l’opposition désunie depuis les dernières élections ? Et souvent sur des questions d’ego et de préséance… Sentez-vous qu’il y a également un énorme mécontentement contre l’opposition ?

— Je le sens, comme tout le monde, le mécontentement contre le gouvernement. Et c’est pour cette raison que je dis que, dans l’opposition, nous devons mettre de côté les différends et les ego. C’est pour cette raison que je fais un appel au regroupement des partis de l’opposition pour relever les principaux défis auxquels le pays doit faire face. Nous avons besoin d’un nouveau modèle politique, dans ce pays où le scandale est devenu une affaire normale, banale. Au niveau économique, nous dépendons pratiquement d’un seul secteur, le tourisme, qui ne se porte pas bien. Parlons d’un sujet qui nous concerne tous : l’agriculture. Savez-vous que nous continuons à importer 75% de ce que nous consommons, comme c’était le cas en 2014 ? Cela est possible parce que nous ne planifions pas et que nous avons un ministre qui cumule deux fonctions importantes en sus d’être le secrétaire général du MSM. Nous sommes assis sur un volcan social qui peut exploser à n’importe quel moment. Les dernières augmentations des salaires et des pensions ne suffisent pas pour que les gens puissent acheter à manger.

l Pour le gouvernement, la situation économique est sous contrôle. La preuve : il considère le downgrading de Moody’s — qui est une prolongation du rapport du FMI — comme une reconnaissance de ses efforts pour faire face à la crise économique !

— Le gouvernement semble n’avoir rien compris ou il lit les rapports de travers ! Le rapport de Moody’s dit que la qualité et l’efficacité des institutions mauriciennes ont baissé. Comme tout le monde le sait, la plupart des institutions — en dehors du bureau du DPP et du judiciaire — ne fonctionnement pas comme elles le devraient, et c’est grave. Il faut que l’opposition se réunisse pour faire partir le gouvernement, car il y va de l’avenir des nos enfants.

l Si l’opposition semble incapable — ou a de sérieuses difficultés — à s’entendre pour organiser une manifestation, comment fera-t-elle pour diriger le pays si elle remporte les prochaines élections ?

— La date de la manifestation, c’est le 12 août, vendredi prochain, à Port-Louis. J’ai été mandaté par le PTr pour aller aux Casernes centrales pour obtenir l’autorisation de la police suite à la lettre que nous lui avons adressée. Jeudi, je suis allé aux Casernes centrales où j’ai passé plus de 45 minutes sans avoir une réponse. À l’heure où nous parlons (16 heures, samedi après-midi), nous n’avons pas obtenu de réponse de la police pour la manifestation prévue vendredi prochain. Par ailleurs, et malgré ce que nos adversaires veulent faire croire, il y a des discussions en cours pour une alliance au sein de l’opposition. Il y a des questions à régler et des petites vis et des boulons qu’il faut serrer…

l Est-ce qu’il ne serait pas plus approprié de parler de gros macadams ?

— Je ne le pense pas. Tous les partis d’opposition ont un objectif commun : débarrasser le pays de ce gouvernement. Il faut que cet objectif, partagé par une majorité de Mauriciens, nous fasse surmonter tous les obstacles, que ce soient de gros macadams et de petites vis et des boulons.

l Quelle est votre lecture du feuilleton MT marqué cette semaine par l’ex-CTO qui, après avoir démissionné pour respecter ses valeurs, a repris sa lettre de démission et un poste avec l’appréciation de la direction ?

— Je suis convaincu que l’accord entre MT et le SAFE Consortium n’a pas été respecté. Tous les responsables de MT — y compris les membres du précédent conseil d’administration — sont responsables de ce non-respect. C’est sans doute dans le cadre de cette violation qu’on annonce la préparation d’un rapport demandé par le SAFE Consortium sur ce qui s’est passé à la station de MT à Baie-du-Jacotet.

l Revenons au Parlement. Comment pouvez-vous justifier le fait que le PTr n’ait pas encore remboursé le prêt, garanti par le gouvernement, pour le transport médical de Navin Ramgoolam en Inde ?

— La facture n’a pas été payée parce qu’il y a un problème de surfacturation. Dès que ce problème sera réglé, le leader du PTr a pris l’engagement de la faire payer. Je trouve scandaleux que cette question ait été évoquée au Parlement et que le Premier ministre ait cité le nom de Mme Veena Ramgoolam. Et le gouvernement a pris trente minutes sur ce sujet – sans que le Speaker s’y oppose. Ce qui lui a permis de ne pas répondre à ma question sur la clause de confidentialité du contrat de SAFE. C’était sans doute le but de la manoeuvre !

l Mais cela fait partie des provocations que le gouvernement utilise contre l’opposition. En n’ayant pas payé le bill – quel que soit le contentieux autour – le PTr a donné à Pravind Jugnauth des bâtons pour se faire battre !

— Cela ne justifie en aucune façon le fait que le Premier ministre a cité en trois fois le nom de Mme Veena Ramgoolam au Parlement. Comment un Premier ministre digne de ce nom peut avoir un tel comportement au Parlement ?

l Quelle est votre réaction au fait que Sherry Singn soit devenu, depuis sa démission de MT, une personnalité recherchée et respectée par l’opposition ? Une opposition qui semble avoir oublié qu’il a été, pendant quinze ans, l’ami intime et le principal conseiller de Pravind Jugnauth…

— Je fais partie des députés qui ont posé beaucoup de questions parlementaires depuis le début sur le projet Safe City dont Sherry Singh était le fer de lance. J’ai toujours des questions sur le projet et sur le rôle déterminant qu’il a joué dans cette affaire. Mais le fait qu’il ait quitté Mauritius Telecom pour dénoncer le sniffing de données et venir aider l’opposition dans sa lutte contre le gouvernement, dont il était autrefois très proche, doit être salué, sinon on n’aurait jamais rien su de cet énorme scandale. Je suis, par ailleurs, étonné par les deux rapports faits par l’ex-CTO réintégré de MT et je suis convaincu qu’un troisième rapport doit exister. Je me demande si derrière cette surprenante volte-face il n’y a pas la puissance de l’argent ou des menaces. En tout cas, c’est un très mauvais signal pour les professionnels mauriciens.

l Comment expliquez-vous le fait que le Premier ministre soit entré dans cette affaire de « survey/sniffing » qui est en train de prendre des proportions internationales ?

— Admettons qu’il y ait eu un problème de haute sécurité et qu’il fallait le résoudre par une expertise étrangère. MT a pour partenaire Orange/France Telecom, une compagnie de référence internationale qui est à la pointe de la haute technologie. À la place, le Premier ministre mauricien choisit des experts indiens et traîne le nom de son homologue indien dans la controverse. Et maintenant, un ministre associe le nom de Huawei au « survey » et remet en question les contrats de MT visés par les hauts fonctionnaires qui faisaient partie du conseil d’administration de MT et qui ont été avalisés par le gouvernement ! Pour moi, toutes ces incohérences diplomatiques, dramatiques pour le pays et son image, témoignent de la panique qui règne à l’hôtel du gouvernement. Ce sont des signes que la fin du régime est proche. Et quand Moody’s parle de baisse de qualité et d’efficacité de nos institutions, il sait de quoi il parle… Les parents et les grands-parents qui pensent à l’avenir de leurs enfants doivent bien réfléchir pour ne pas se laisser berner par les mesures populistes que le gouvernement pourrait prendre. Comme il l’a fait à la veille des dernières élections. Je fais également un appel aux députés du gouvernement qui se sentent interpellés par la situation, les scandales et le mécontentent qui monte…

l Comme dirait votre collègue Arvin Boolell : aret reve kamarad ! Vous croyez vraiment qu’un des députés du gouvernement, dont la spécialité est de tape latab et de voter les motions qu’on leur dit de voter, va se sentir interpellé par la situation dans le pays ?!

— Même s’ils font partie du gouvernement, les députés ne peuvent pas ne pas se sentir interpellés par ces scandales à répétition, par les problèmes économiques, par le mécontentement de leurs mandants. Il faut qu’ils pensent à l’avenir du pays, de leurs enfants, plutôt qu’a l’avenir du gouvernement et de leur parti.

Un commentaire sur la branche de la SBM du Kenya condamnée à payer des millions, qui vont venir s’ajouter à d’autres millions de pertes…

— Comment voulez-vous que le Mauricien qui n’arrive pas à obtenir un emprunt de quelques dizaines de milliers de roupies ne soit pas révolté par cette situation ? Avant les élections de 2014, l’action de la SBM valait environ Rs 10. Elle vaut aujourd’hui moins de Rs 3 ! C’est une dégringolade qui témoigne de la mauvaise gestion de cette entreprise causée par les nominations politiques à sa tête. Lors de mon intervention sur le budget, j’ai raconté l’anecdote qui suit au ministre du Service civil : On a, un jour, demandé à Lee Kwan Yew d’expliquer le succès économique de Singapour. Il a répondu qu’il veillait que la personne nommée à la tête de chaque institution du pays en soit la plus compétente. Il a dit qu’il s’est aussi assuré que le ministre ou le président du conseil d’administration de chaque institution soit plus compétent encore que le responsable nommé. Ce n’est pas le cas dans les institutions mauriciennes, où le niveau est tombé bien bas. Ce qui cause la frustration des fonctionnaires obligés de travailler avec des nominés politiques qui n’ont pas les compétences nécessaires. C’est ce qui explique le mauvais fonctionnement de nos institutions et le fait que Moodys parle de baisse de qualité et d’efficacité.

Si jamais l’opposition arrive, après de longues négociations, à tomber d’accord sur un programme — et un leader — et remporte les élections, est-ce qu’il y aura assez de compétences pour remplacer les “incompétents” à la tête de nos institutions ?

— C’est une bonne question. Il y a eu beaucoup de recrutements faits par le gouvernement depuis 2015. On a souvent entendu dire que les nouveaux étaient plus facilement promus que les anciens. J’espère que même si les recrutés n’avaient pas le niveau requis, avec le temps ils sont devenus bons, sinon nous aurons un énorme problème. Beaucoup des scandales qui éclatent existent parce que le niveau du service civil a été affaibli pour des raisons électoralistes. Par ailleurs, allez voir le nombre de cas devant les tribunaux pour contester les promotions dans le service civil.

Que souhaitez-vous dire pour conclure cette interview ?

— Je fais deux appels. Le premier aux partis de l’opposition pour qu’ils mettent de côté leur ego et leurs différends pour constituer une force unie pour débarrasser le pays de ce gouvernement. Je fais un appel à tous les Mauriciens de tous bords, qui ne sont pas satisfaits de ce que fait le gouvernement, de venir à la manifestation. C’est trop facile de rester derrière un écran d’ordinateur ou de poster des commentaires sur son téléphone portable. Il faut montrer à ce gouvernement l’ampleur du mécontentement qui monte dans le pays.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -