Philippe Dariel (Lycée des Mascareignes) : « L’excellence, ce n’est pas décrocher les meilleurs résultats avec un petit panel d’élèves »

Le Lycée des Mascareignes (LDM) a amorcé sa vingtième année de mission à Maurice, avec en ligne de mire un objectif : offrir l’excellence à ses élèves. Pour cet établissement à programme français, l’excellence dans l’éducation n’est pas le propre de l’élite. Bien au contraire, nous précise dans cet entretien son proviseur, Philippe Dariel, elle est le catalyseur de potentiel artistique ou sportif dans un système éducatif inclusif. L’arrivée de la Section d’Excellence Sportive — un projet unique en son genre à Maurice — du LDM est la concrétisation même de sa philosophie sur le principe que c’est à l’école de s’adapter à l’enfant et non l’inverse. Philippe Dariel, qui est en poste depuis quatre ans, et ce, après avoir dirigé des lycées en France, en Guyane et à Pondichéry en Inde, nous parle aussi de l’introduction du Baccalauréat international français, la parfaite alternative au Higher School Certificate de Cambridge, assure-t-il.

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Le LDM se présente comme un établissement où l’excellence est un socle et vous poursuivez dans cette vision avec le lancement de la Section d’Excellence Sportive. Quelle est votre définition de l’excellence ?

L’excellence n’est pas l’acception de l’élitisme. Elle est son contraire. Pour nous, il s’agit de mettre toutes les conditions en œuvre pour que l’élève qui nous est confié puisse, à travers des valeurs d’effort et de solidarité, atteindre son potentiel et progresser. L’excellence n’est pas simplement l’élitisme pour décrocher les meilleurs résultats avec un petit panel d’élèves qui serait sélectionné. Mais obtenir les meilleurs résultats possibles avec tous les élèves que nous accueillons. Et aujourd’hui, ce qui symbolise le mieux notre philosophie de l’excellence est effectivement notre Section d’Excellence Sportive. Donc, nous pouvons atteindre l’excellence académique à travers le sport. Nous demandons par la suite à l’élève, et ce, quel que soit son talent, de faire des efforts pour aller au-delà de ce qu’il imaginait pour lui. Pour certains, cela se manifeste par la poursuite d’études prestigieuses et pour d’autres par une belle réussite, au-delà de leurs limites, à l’examen final.

Et quid des dispositifs pour les élèves surdoués ?

Nous avons un dispositif qui est une mission appelée EBEP. Il s’agit de l’accompagnement des élèves à besoins éducatifs particuliers, dont des enfants avec une précocité intellectuelle, laquelle est confiée à une équipe. Cette mission est pilotée par le chef d’établissement adjoint, deux professeurs, un médecin scolaire, le psychologue scolaire, l’infirmière scolaire et de la cheffe de service de la vie scolaire. Ils se réunissent chaque semaine et prennent en charge 111 dossiers sur 686 lycéens, soit presque 20% de nos élèves qui ont des besoins éducatifs particuliers liés à des difficultés diverses. Dans le cas d’un élève qui nous est arrivé avec une année d’avance, nous avons été attentifs à ses besoins, l’avons encadré et il a pu concourir et décrocher son baccalauréat avec mention très bien. Quant à deux jeunes filles qui viennent d’une école de Chemin Grenier et qui vont intégrer la Section d’Excellence sportive cette année sans aucune exigence académique, nous savons que si nous les engageons dans un cursus de trois ans pour les préparer au baccalauréat sera de les mettre en difficulté, voire en situation d’échec. L’équipe pédagogique a donc prévu un cursus de quatre ans pour elles. Nous allons leur donner le temps de s’adapter à notre système et progresser avant de faire des ajustements.

Votre interprétation de l’excellence est différente de celle du système éducatif mauricien où elle repose sur la compétition et la sélection. Ce sont là deux définitions de l’excellence. Votre avis…

Ce sont deux définitions qui ne sont pas opposées, mais complémentaires. L’idée est aussi d’informer sur une alternative à ce système de compétition et qui peut satisfaire un grand nombre de familles parce qu’elle répond à leurs valeurs. Par contre, on est sur une opposition de vision sur l’élève. Mon établissement a pour vocation de s’adapter aux besoins de l’élève. C’est le lycée qui doit trouver une solution aux besoins exprimés par des caractéristiques différentes de l’enfant. Dans le système de la sélection, la situation est inversée. C’est aux élèves de trouver des ressources pour s’adapter à l’institution et en étant dans le meilleur classement. C’est aussi notre culture d’agilité et d’adaptation qui fait que le jour où nous sommes confrontés à une crise, nous la récupérons comme un capital. Et que nous pouvons aussi nous arrêter quand une opportunité se présente dans l’intérêt de nos élèves. À titre d’exemple, nous accueillerons une très grande personnalité de la littérature dans le cadre du prochain festival du Livre de Trou d’Eau Douce. L’établissement s’arrêtera le temps d’une journée spéciale pour qu’un maximum de nos élèves puissent rencontrer cette sommité de la littérature.

Pourquoi avoir introduit un pôle sportif au LDM ?

C’est une réponse à un constat : précédemment, être sportif de haut niveau à Maurice c’était se retrouver dans un dilemme. À l’adolescence, c’est l’école ou le sport. Le dilemme est tel que l’adolescent doit prendre ses dispositions pour pouvoir pratiquer son sport au plus haut niveau et s’adapter à l’école, car celle-ci ne le fera pas. Ce dilemme est à mon avis un handicap pour les sportifs sans diplôme ou peu diplômés qui ont choisi une carrière sportive, et qui n’arrivent pas à trouver un emploi après leur parcours parce qu’ils n’ont pas fait d’études. Pour une société qui a la valeur du sport, on ne peut pas demander aux élèves de faire un choix entre leur éducation et leur potentiel sportif. Ce n’est pas acceptable.

Comment se passe le recrutement des élèves de la Section d’Excellence Sportive ?

Il y a des candidatures volontaires, des phases de test. Nos interlocuteurs sont les fédérations sportives de Maurice. Nous pouvons accepter les candidatures à partir du moment où une fédération les a identifiés comme sportifs à haut potentiel.

Et le fonctionnement de ce département ?

Nous sommes dans notre deuxième année d’opération et nous sommes de plus en plus sollicités pour intégrer les sportifs des fédérations. La Section d’Excellence Sportive propose 14 disciplines avec des stratégies pour assurer 23 heures d’enseignement à travers des méthodes pédagogiques qui permettent aux élèves de faire leur entraînement du matin jusqu’à 9h. À 14h, ils partent pour l’entraînement. Entre les deux, je fais tenir le curriculum du Bac français de première terminale. Nous accueillons actuellement 57 élèves, avec l’ambition de passer à 85 l’année prochaine et atteindre un effectif de croisière de 90 à 100. Un peu plus de la moitié des élèves du pôle sportif sont des garçons. Les activités du matin se font sous la responsabilité des partenaires du lycée, notamment l’Academy of Sports, les préparateurs physiques, le coach mental, un nutritionniste… L’école a l’entière responsabilité de la partie académique. Si un enfant est doué mais très éloigné des prérequis pour le baccalauréat, nous allons trouver, avec des partenaires, l’adaptation pour que nous restions garants de sa scolarité dans d’autres établissements spécialisés pour qu’il apprenne un métier.

Quel est le prix de l’excellence sportive au LDM ?

Pour se donner les moyens de ses ambitions, il nous a appartenu d’aller convaincre le monde économique mauricien dont nous saluons l’écho positif. De grandes entreprises locales très bienveillantes accompagnent financièrement ce dispositif. La section d’excellence sportive n’est pas sponsorisée, mais les athlètes en fonction de certains critères le sont. Dans le cas des filles de Chemin Grenier, l’ensemble des frais de leur scolarité, pendant quatre ans, sera pris en charge par Rugby Excell. 15 à 20% des athlètes sont sponsorisés. Le parrainage peut être partiel ou complet.

Une famille qui peut prendre en charge les coûts, combien devra-t-elle débourser ?

Dans un établissement comme le nôtre, le tarif de cette section d’excellence sportive est émis sur la base du tarif le plus bas. Il y a un double paiement, académique et préparation physique respectivement, ce qui fait moins de Rs 300 000 par an.

Quel est votre bilan sur vos quatre années au LDM ?

J’étais déjà chef d’établissement senior quand je suis arrivé au Lycée des Mascareignes, ce qui correspondait aux besoins du lycée. J’ai trouvé un établissement mature et dynamique qui avait déjà posé d’excellentes bases et qui produisait un service de grande qualité à ses élèves lesquels excellaient aux examens et avaient de belles poursuites d’études. Toutefois, le LDM était plutôt renfermé sur lui-même. Ma mission était de le faire passer à une autre dimension plus visible, internationale, plus universelle et apporter l’excellence dans une acception large. Au fur et à mesure, les besoins de l’établissement devenaient plus complexes, d’autant qu’on est un des plus grands centres d’examens de l’océan Indien, voire du réseau français, avec plus 400 candidats au baccalauréat chaque année. Ensuite, les deux années de pandémie ont été pour moi une période très technique en termes de gestion. L’idée était d’assurer la scolarité en continu. On a été un des rares établissements à n’avoir jamais interrompu l’enseignement quelles que soient les conditions, pandémiques ou climatiques, tout simplement parce que nous avons développé une plateforme de continuité de notre enseignement en ligne avec un contenu conçu par nos enseignants. Notre pédagogie numérique nous permet d’être efficaces. D’ailleurs, tous nos élèves sont équipés d’un ordinateur portable et sont sur un réseau interne protégé qui leur permet d’avoir accès à un manuel interactif. Ce qui fait que du jour au lendemain, les cours peuvent se tenir en présentiel ou virtuel. Il a fallu accompagner les familles, y compris financièrement pour celles en difficulté pour avoir accès à ces équipements. On a publié des tutoriels pour le fonctionnement de tous nos outils pour nos élèves, personnel et familles. On en est sortis valorisés. De retour dans la normalité, nous surfons sur tout ce dynamisme créé pendant ces deux années avec la confiance des parents, du personnel et des élèves.

En comparaison aux pays où vous avez dirigé des lycées, en quoi l’île Maurice se distingue-t-elle en tant que terre d’accueil à l’éducation nationale française ?

La particularité de Maurice est sa mixité. Et la richesse d’un lycée comme le nôtre est cette diversité puisque nous accueillons toutes les communautés de Maurice et cela est très atypique. Dans les établissements français à l’étranger et de France, nous retrouvons un public homogène, de la même classe sociale ou composé majoritairement de la même confession religieuse. L’homogénéité empêche le brassage multiculturel, des valeurs, d’engagement dans la scolarité et d’ambition, laquelle j’ai d’ailleurs retrouvée en Inde où les familles sont prêtes à investir gros dans l’éducation de leurs enfants.

Après 20 ans d’existence, comment situez-vous la place du LDM dans le paysage éducatif mauricien encore profondément attaché à son legs britannique ?

Notre place est centrale. Le Lycée des Mascareignes, et j’associerai les cinq établissements français, a développé une offre qui devient spécifique à Maurice, notamment un enseignement bilingue, voire plurilingue, dès les petites classes. Avec les Écoles du Nord et du Centre, le Lycée des Mascareignes a été pionnier dans ce domaine. Nous avons des formations bilingues pour plus d’un tiers de nos élèves qui forment à des quasi doubles diplômes, puisque nous allons offrir le Bac Français international à partir de 2024 et l’option International au Bac est un programme commun à l’Education nationale française et Cambridge Assessment. Ce bilinguisme doit donner à nos établissements une des parts les plus subtiles et recherchées à Maurice ; car aujourd’hui, la moitié de nos élèves est dans des systèmes universitaires anglais, canadiens, américains, sud-africains, australiens et évidemment mauriciens. De plus, avec une troisième langue, cela ouvre la possibilité de suivre, par exemple, un programme anglophone à Berlin ou à Munich, et de se débrouiller dans le quotidien parce que le lycéen est parti étudier avec la langue allemande dans ses bagages. Et bien entendu, cela ouvre des portes de l’enseignement supérieur francophone africain, canadien ou européen à tout Mauricien. Ma mission n’est pas de préparer les élèves exclusivement à l’enseignement français, mais à une ouverture internationale et des valeurs universelles.

Votre établissement est labellisé E3D (École/Établissement en démarche de développement durable): en quoi concrètement cet engagement peut s’avérer bénéfique pour le LDM ?

En premier lieu, les labellisations pour les démarches de développement durable nécessitent la prise de conscience et un mode de fonctionnement collectifs. Ici, chacun se doit d’être conscient de l’impact du LDM sur l’environnement. Par ailleurs, nous pensons que la mobilité à l’étranger apporte un développement de compétence sociale qu’on ne peut imaginer avec des échanges virtuels. Dans l’acquisition d’un certain nombre de soft skills, être dans un pays étranger est nécessaire. Nous enverrons bientôt 15 élèves au Kenya pour un projet exceptionnel sur les hauts plateaux aux côtés des natifs du pays. 50 autres élèves iront découvrir la langue et la culture espagnoles, deux groupes partent en Angleterre, un autre à Singapour, en Allemagne et Malaisie respectivement. Je considère que tous ces déplacements cumulés laissent une empreinte carbone non négligeable. Nous allons d’abord mobiliser la communauté scolaire pour calculer cet impact carbone et dans un deuxième temps, le compenser avec des actions que nous mettrons en place.

Vous introduisez le Baccalauréat international Français (BIF) en 2024. Quels sont les avantages pour les élèves comparé à l’option internationale du baccalauréat ?

Le BIF est une très belle évolution de l’option internationale du baccalauréat. La section internationale a pour vocation, dans les classes de primaire, collège et au début du lycée, de donner un bagage linguistique bilingue à nos élèves à travers un certain nombre d’activités. Au lycée, dans l’option internationale du baccalauréat, l’activité principale est la littérature anglaise « A Level. » On avait un niveau GCE, SC first language et on passe à une épreuve qui est la même en Angleterre, mais en littérature anglaise. Elle était restreinte en termes d’ouverture. Le BIF s’ouvre là à un plus large public, la part de littérature, certes importante, a été réduite et un nouvel enseignement — monde contemporain — a été introduit en anglais. Idem pour un approfondissement en langue en compensation à un horaire réduit en littérature anglaise. Nous serons les premiers dans le réseau des établissements français de l’étranger et de France, à introduire dans l’enseignement des spécialités de nos élèves des disciplines non-linguistiques bilingues. Plus concrètement, dans le cadre du BIF, dès cette année, les élèves vont faire un enseignement de littérature anglaise basé sur un programme connaissance du monde/General Paper de Cambridge, un approfondissement linguistique et enfin au choix ils pourront faire les sciences économiques et sociales et/ou les mathématiques, et/ou l’histoire/géographie et les sciences politiques en bilingue. Deux heures en français avec un professeur francophone et deux heures en anglais avec un professeur anglophone. Sur chaque point du programme, ils étudieront systématiquement selon le point de vue des Anglais, puisque c’est une section internationale britannique. Avec le BIF, l’élève pourra faire ses études supérieures techniques aux États-Unis, au Canada… dans le lexique anglais, c’est ce qui manquait dans l’option internationale du baccalauréat.

Présenté ainsi, le BIF est un programme qui pourrait séduire les élèves du système national mauricien. êtes-vous prêt à les accueillir et faciliter leur transition ?

Nous avons la chance de l’expérimenter déjà à petite échelle, puisque chaque année nous avons des élèves qui viennent du système mauricien et des écoles internationales. C’est la classe de seconde qui va permettre l’adaptation de l’élève dans ce processus de transition. Cette classe, dans le système français collégial, nous permet d’accompagner l’élève dans l’apprentissage pour qu’il arrive à aborder l’exploitation de la connaissance, au lycée. De plus, notre culture du bilinguisme fait que les professeurs de matières non linguistiques peuvent passer d’une langue à l’autre. Un BIF pour un enfant mauricien est la meilleure porte d’embarquement pour le monde. Parce que nous avons cette reconnaissance autant du système français, mais aussi la notoriété d’avoir des élèves du LDM à Oxford, Cambridge, Warwick, McGill, London School of Economics, Imperial College, UCLA… Et si vous avez l’Angleterre pour seule ambition, le LDM est tout aussi approprié que n’importe quelle star school pour vous aider à l’atteindre.

Avez-vous recruté des jeunes issus de collèges État ?

Les familles des élèves de collèges d’État sont difficiles à convaincre. Nous faisons de la pédagogie pour qu’elles ne renoncent pas à quelque chose qui pourrait être préjudiciable à la réussite de leur enfant. Nous avons l’habitude d’adapter notre système à des enfants qui ne sont pas issus du tout du système français. Des élèves qui sont arrivés des star schools réussissent haut la main leurs études, ils ont des habitudes de travail, mais nous, nous ouvrons leur potentiel et esprit critique.

Pensez-vous que le BIF pourrait être une alternative au Higher School Certificate ?

Oui, le BIF est une alternative au HSC, et je le revendique. La reconnaissance des qualités de nos élèves dans des institutions qui sont des modèles mondiaux fait qu’on n’a aucune réserve à ce sujet. On nous dira peut-être qu’il y a des plus spécialisés qu’eux, mais pas plus ouverts en langues vivantes, esprit critique… Avec le BIF, vous avez le bilinguisme de niveau C1, c’est-à-dire l’expertise en maîtrise de l’anglais. À la différence, d’un IB et du HSC, le BIF n’est pas uniquement focalisé sur une langue ou le monde anglo-saxon.

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