Politique : Un frémissement citoyen

Entre un gouvernement minoritaire dans le pays et une fragile entente des oppositions, des initiatives à la marge pour régler les problèmes du moment

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Le prochain test : les municipales prévues pour le premier semestre de 2021 pour vérifier si le vaccin anti-partis traditionnels aura fait ses preuves

Oui, c’est indéniable : il y a eu un frémissement citoyen en 2020 qui a été parfaitement illustré le 29 août dans les rues de la capitale avec des milliers de Mauriciens se mobilisant pour dire leur ras-le-bol des gouvernants, mais aussi des opposants et, finalement, du système qui n’a que trop duré en 52 ans d’indépendance et qui commence à étouffer la démocratie mauricienne.

Au commencement, il y a eu cette sorte de malaise né du résultat des élections du 7 novembre avec un gouvernement minoritaire et une majorité en colère. Comme ceux qui sont retournés aux affaires ont décidé d’ignorer le rapport de forces, de bafouer la démocratie parlementaire, les récriminations se sont très vite fait entendre. Partout, à l’Assemblée nationale, mais aussi et surtout dans la rue. A l’arrogance s’est aussi ajoutée la provocation comme l’éviction brutale de squatteurs en plein confinement à Pointe-aux-Sables, à Malherbes et à Riambel. Une décision qui a fait éclore plusieurs mouvements citoyens désireux de parer au plus pressé, d’apporter des solutions concrètes et immédiates aux problèmes du moment.

Le vote de mesures restrictives tant sur le plan individuel qu’industriel va donner lieu à la toute première manifestation de protestation. Un regroupement, plutôt particulier, un habitué des revendications, Ashok Subron, et un syndicaliste du service public, Rashid Imrith, pour former la plateforme Kolektif Konversasion Solider avec d’autres décide de battre le pavé port-louisien le 11 juillet. Du monde. Et comme un premier avertissement. Qui n’a absolument pas été entendu. Après le naufrage du Wakashio, c’est un vaste mouvement citoyen et spontané qui va investir Pointe d’Esny pour contenir la marée noire provoquée par la fuite du fioul provenant du vraquier japonais.

Bruneau Laurette, qui a accompagné les squatteurs de Pointe-aux-Sables et qui a commencé de se faire une petite notoriété, va s’emparer du dossier du Wakashio pour une action contre les ministres de la Pêche Sudheer Maudhoo et de l’Environnement, Kavy Ramano. Les événements qui ont suivi vont mettre le vent dans les voiles de son bateau à lui : manifestations illégales des partisans des ministres devant le tribunal de Mahébourg sans aucune conséquence, interpellations abusives des frères Dardenne, prestation ridicule de Pravind Jugnauth sur la BBC qui parle de la Covid lorsque la journaliste l’interroge sur le Wakashio. Les bourdes s’accumulent.

La vague venue de Mahébourg

En bon opportuniste, l’activiste flaire un contexte favorable à la protestation et à la revendication. Il s’adjoint le soutien d’Ashok Subron et de quelques autres meneurs pour organiser une manifestation le samedi 29 août à Port-Louis. Le contexte l’exigeant, les partis de l’opposition, le PTr, le MMM et le PMSD s’y joignent aussi. La vague venue de Mahébourg va noyer la capitale. Ce sera le second plus grand rassemblement depuis l’Indépendance après celui du 20 juin 1982 au Champ de Mars pour célébrer le premier 60/0 réalisé par l’alliance MMM-PSM. C’est un vrai coup de tonnerre. Tous sont obligés de prendre acte. Sauf Bobby Hurreeram, de la team des « brillants » ministres que le Premier ministre envoie au front pour le défendre et pour attaquer l’opposition.

« Insignifiant », décrète le ministre, qui sera contredit et désavoué par son patron le même soir du 31 août. Dans une déclaration télévisée, le Premier ministre salue la manifestation et il déclare avoir pris bonne note des revendications exprimées par la rue. Après le vent de panique sur le Bâtiment du Trésor, il y aura très vite une entreprise de démolition de Bruneau Laurette avec le déterrement de vieux dossiers de chèques en bois et des déclarations publiques tournant en ridicule le « mars-marsé ». Cela n’a pas empêché les Mauriciens de descendre une nouvelle fois dans la rue. C’était le 12 septembre à Mahébourg, d’où la vague était partie.

Il y a ensuite comme un temps mort. Une période d’interrogations sur le « what next ? » Jusqu’aux villageoises où des citoyens avaient cru entrevoir la possibilité d’un grand soir. Des personnalités sont certes élues ici et là, mais le système va vite les broyer. Le suffrage populaire va se heurter aux combines politiciennes. Les conseils de district sont ainsi confisqués par le pouvoir au terme d’un sale jeu de marchandage. Les troupes citoyennes sont éparpillées. Les individualités reprennent le dessus. Le 3 décembre, le collectif qui avait été en première ligne pour dénoncer l’absence d’un grand nombre de votants sur les listes électorales décide de se lancer. C’est ainsi qu’est né ID (idéal démocrate) avec, à l’avant-plan, Géraldine Hennequin-Joulia et Jean François Leckning, deux confrères qui ont animé le magazine People.

Vintage

Il sont tous deux très connus. Géraldine Hennequin-Joulia a été une collaboratrice de Navin Ramgoolam jusqu’à décembre 2014 auprès avoir été journaliste à Radio One et aussi la cible indirecte de Jack Bizlall en 2006 autour d’un voyage effectué par Patrick Assirvaden alors président du CEB et d’un incident à Ébène impliquant le dirigeant travailliste et un de ses collègues du PMSD. Jean-François Leckning, qui vient d’une famille PMSD, s’était joint avec un rare enthousiasme au MMM en 2015. Il a intégré le comité régional de ce parti à Belle Rose/Quatre-Bornes, mais prendra ses distances après la partielle tenue dans cette circonscription le 17 décembre 2017. Les « palabreurs » mauves laissent courir la rumeur qu’il aurait pu penser être candidat à cette partielle à la place de Nita Jaddoo, mais d’autres, plus réalistes, avancent plutôt que c’est quelqu’un qui, bien qu’animé de très bonnes intentions, a eu du mal à évoluer dans des structures aussi rigides que celles du MMM.

Passé politique bien plus fourni pour un autre animateur de ID, Stéphane Buckland. Du vintage, un peu comme les voitures témoin de l’éclosion d’ID. On peut même dire que l’ancien champion détient le record de la tournée des partis traditionnels. Il est candidat du PMSD de Maurice Allet aux municipales de 2005, puis celui du MMSD d’Éric Guimbeau en 2012, mais n’arrive toujours pas à franchir la grille de la mairie de Curepipe. Aux dernières élections générales, il était sur la plate-forme du PTr. Le 4 novembre 2019, à la rue Abbé de la Caille à Curepipe, où se tient une réunion PTr-PMSD, il a droit à une reconnaissance publique de Navin Ramgoolam : « Stephan Buckland ti pou gayn ticket ar nou, selma pas inn reysi, mo dir li la, li pou ena enn gran rol dan spor dan mo guvernman. » Jeune formation, ID, mais déjà les premières dissensions et même des départs, ceux de Patrick Belcourt et d’Alexandre Barbès-Pougnet. Le désir d’un ancrage prioritaire dans la ville de Curepipe interroge par ailleurs sur les préoccupations sociologiques des membres fondateurs de cette formation.

C’est le 6 décembre que Bruneau Laurette lancera lui aussi son parti politique, Linion Sitwayen. Démarrage modeste à l’auditorium Octave Wiehe. À peine 300 personnes. Mais la détermination est là, la présence sur le terrain aussi avec des gestes de réconfort pour les enfants des squatteurs de Pointe-aux-Sables. Comme le chiffre 29 est celui de la réussite pour lui, Bruneau Laurette a donné rendez-vous à ses partisans le 29 prochain en cour à Port-Louis, jour de la convocation de Yogida Sawmynaden. On ne peut qu’espérer que ce ne sera pas un remake de Mahébourg avec, d’un côté, les manifestations de soutien au ministre et, de l’autre, celle de ses détracteurs.

Après avoir essayé les individualités aux générales de novembre 2019 avec le résultat que l’on connaît, comme à Rose-Hill/Stanley où la participation de Patrick Belcourt n’a contribué qu’à reconduire Ivan Collendavelloo et, à Beau-Bassin/Petite-Rivière où Oliver Thomas a retourné sa veste et ravalé ses propos critiques pour atterrir au Sun Trust, la question reste posée : est-ce que les mouvements alternatifs et citoyens peuvent vraiment à terme bousculer les partis traditionnels ? C’est à voir. Parce que la revendication de la citoyenneté n’est pas nouvelle. Elle a, en fait, traversé le temps. Depuis Action Citoyenne des années 1980, qui avait rencontré un certain succès auprès des citadins, jusqu’à ID, il y a eu le Rassemblement pour la Liberté (RPL) de courte existence, 100% Citoyen qui a pris quelques bonnes initiatives jusqu’à s’afficher avec les représentants de partis traditionnels. Ce qui a surpris. La démarche de Malenn Oodiah, par contre, avec son « projet de société » et son initiative Lakaz Flamboyan au contenu social, artistique et inclusif paraît autrement plus prometteur, porteur et constructif. Du concret, en fait !

Entre un gouvernement isolé et autoritaire, une opposition à l’entente fragile qui n’est pas pressée de régler ses problèmes de casting au sommet et à qui la population reproche son manque cruel d’initiatives, de projets et de propositions, l’heure des regroupements citoyens a-t-il vraiment enfin sonné ? Une prochaine échéance pourrait le confirmer ou la faire mentir. Les municipales sont prévues pour le premier semestre de 2021. Ce sera l’occasion de vérifier si le vaccin anti-partis traditionnels comme se présentent les mouvements citoyens aura fait ses preuves d’efficacité.

 

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