Post-Covid-19 — Face à la crise économique et sociale : Le coup de la mobilisation

Les appréhensions initiales entretenues par les animateurs de Kolektif Konversasion devant les manoeuvres de division savamment orchestrée dans le monde syndical se sont vite estompées avec le coup de la mobilisation de rue organisée à Port-Louis à la mi-journée. Le point de départ de la manifestation solidaire était des plus symbolique, notamment la statue d’Anjlay Coopen à la Cour commerciale. Les estimations varient de 3 000 pour les plus conservateurs à 8 000 pour les organisateurs. Toutefois, Ashok Subron, qui avait à ses côtés Rashid Imrith, président de la Fédération des syndicats du secteur public (FSSP), avait une autre lecture de ce “coup de la mobilisation de rue”’, la première post-Covid-19 et après les dernières élections générales. Le syndicaliste, qui s’est laissé prendre en photo avec, à ses côtés, le vicaire général du diocèse de Port-Louis, le père Maurice Labour, se félicite de cette réussite et les organisateurs ont saisi cette occasion pour remettre au Premiier ministre, Pravind JUgnauth, une liste de revendications, dont un salaire universel de Rs 12 500 par mois aux sans-emploi aussi bien qu’une exemption de paiement des factures d’eau et d’électricité pour les prochains six mois. Il a été aussi question de la tenue des Assises citoyennes nationales dans chaque circonscription pour tirer des leçons de la crise et pour promouvoir une vision de l’île Maurice et surtout, “comment faire face à la crise du chômage et la crise sociale dans l’immédiat?”

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“Peu importe le nombre, de quel côté de la barrière que vous vous trouvez, c’est la qualité de la foule qui prime dans la conjoncture. C’est la profondeur des Mauriciens qui s’est manifestée dans la rue à Port-Louis. L’île Maurice était là pour un message bien simple aux dirigeants politiques. La braderie de l’emploi, des salaires et de la retraite n’a que trop duré avec pour prétexte la pandémie. Mais le plus important est que le Premier ministre doit se ressaisir et rejeter tout accord secret sur l’utilisation des fonds publics au bénéficie du secteur privé avec les milliards de roupies de la Mauritius Investment Corporation Limited”, déclare Ashok Subron à l’issue de cette marche de solidarité avec les milliers d’anonymes, qui ont perdu ou qui vont perdre leur emploi.

“C’est le début de la mobilisation populaire permanente. Après le succès du jour et une présence des différentes plateformes, de l’opposition parlementaire et extra-parlementaire, nous allons analyser la situation tout en étant prêts à participer ou à organiser d’autres mobilisations populaires”, poursuit Ashok Subron, qui dénonce “le gouvernement et une petite poignée de gros milliardaires, d’oligarchies économiques prenant le pays et le peuple en otage. Ils font porter le fardeau de leur crise que la Covid-19 n’a fait qu’accélérer”.

Dans une lettre adressée au Premier ministre, les organisateurs de la manifestation solidaire ont dressé un cahier de revendications, parmi lesquelles l’introduction immédiate d’un salaire universel de Rs 12 500 à tout citoyen sans emploi, une garantie légale contre la perte d’emploi pendant une certaine période suite à l’injection de fonds par la Mauritius Investment Corporation Ltd ou autres Schemes du gouvernement, l’exemption du paiement des factures d’utilités publiques pour 6 mois pour ceux ayant perdu leur travail, l’imposition d’un impôt sur la fortune avec un système fiscal progressif pour assurer une réelle solidarité nationale, le gel de l’abolition du National Pensions Fund et son remplacement par la CSG, la mise en place d’une commission nationale, comprenant des représentants de l’opposition parlementaire et extra-parlementaire, des syndicats, des femmes, des jeunes et des citoyens, le gel dans la construction d’hôtels et la restauration écologique où c’est nécessaire et l’abolition des ingérences du Premier ministre et du commissaire de police dans des décisions sanitaires et de santé publique.

Témoignages

L.Y. : « Mo pé retourne à zéro »

Âgé de 28 ans et père de deux enfants de 3 et 5 ans, L.Y. se retrouve aujourd’hui sans emploi. Jusqu’au confinement, il était chef d’équipe dans une unité de production laitière. « Mais l’usine inn met tout dimoun ki lor contrat dehors. Sans préavis », dit-il. Cela, avançant qu’avec la Covid, la production et les ventes avaient baissé. Or, dit L.Y., « l’usine pé rouler normal ». Mais lui se retrouve sans emploi. Une situation difficile à gérer, d’autant que sa femme, coiffeuse, a aussi été mise à la porte. « Avec deux enfants sur les bras, la vie devient impossible », dit le jeune homme.

S’il a son HSC en poche et compte aussi quelques années d’expérience dans l’hôtellerie ainsi que sur les bateaux de croisière, « aujourd’hui il n’y a pas d’emploi aucune part. Kot pou ale roder ? » Heureusement, ses parents l’aident. « Mais kan ou finn ena ou fami, ou pa kapav compte lor lezot. Ou bizin débrouille par ou », dit-il. En participant à cette marche, « mo pé montrer ki tout dimounn kapav victime dominer. Kapav inn fer l’étude, mais zordi patron pense zis zot. Gouvernma inn fer enn la loi pou patron », dit L.Y.

D’ajouter, « aujourd’hui, à cause des décisions prises dans le dos des travailleurs, pour un petit groupe de gran palto, mo pé fer enn retour à zéro ». Pour faire vivre sa famille, « kot gagner mo pé batter. Même maçon mo pé aller », dit-il, déplorant que « gouvernement pa pe trouv solution pou aide so peuple mais au contraire li pé vire le dos are nou. »

Vishal Lalchand, chef de rang au Shandrani :
« Inn profite COVID 19, kan nou lamé, lipied attaché pou passe la loi »

S’ils ont eu un sursis jusqu’à août 2020 pour qu’il n’y ait aucune déduction de leur salaire, « pou lavenir nou pa koné ». C’est ce qu’explique Vishal Lalchand, chef de rang à l’hôtel Shandrani, venu hier manifester avec ses collègues dans les rues de la capitale. Marié et père de deux enfants de 16 et 17 ans, il dit se retrouver aujourd’hui « dans le flou total quant à l’avenir mo bann zenfan. » Cela fait 22 ans qu’il travaille pour le groupe NMH et aujourd’hui, la situation précaire dans l’hôtellerie fait monter en lui l’angoisse de perdre son emploi. « Avec sa bann la loi kinn passé la, pa koné ki pou arrive nou. Nou finn rési empêche zot koup 50% nou salaire ziska août. Mais la loi inn sanzé, après août pa koné ki pou arriver », dit-il.

C’est pourquoi il a tenu à joindre sa voix à celle des milliers d’autres manifestants, « parski inn profite COVID 19, kan nou lamé, lipied attaché pou passe la loi. » Or, si le patronat veut réduire de 50% le salaire des employés, « li tout à fait injuste. Enn grand patron pé gagn Rs 1,5M par mois. Coupe 50% li pa sanz zot la vie. Imazine sa travayer ki gagne Rs 15 000 par mois la, kan coupe 50% ki pou arrive so fami ? » dit-il.

S’il faut descendre dans les rues toutes les semaines, il le fera. « Parski ena trop boukou abus dans pays. Sak soir ena scandale lor scandale. Bizin fer gouvernma comprend ki ti-dimounn pé souffert et ti-dimounn pa pou rest trankil. Noun anvi enn lil Moris meyer », dit-il.

Bobby John, habitant de Port-Louis :
« Se battre pour un monde meilleur »

Le visage dissimulé derrière un masque et arborant des lunettes de soleil, Bobby John, 39 ans, accompagné de son fils Ethan, 5ans, s’exprime d’emblée sur le ton de l’ironie : « Je me cache la figure pour que l’on me reconnaisse pas (rires). C’est tout le contraire à vrai dire, car pouvoir descendre dans la rue pour défiler et manifester sans se soucier des répercussions que cela pourrait engendrer est un progrès démocratique formidable à mon sens. Les mensonges des politiciens, la fraude, la corruption qui gangrènent le pays sont autant de raisons qui m’ont amené à cette manif aujourd’hui », indique-t-il. Et quid de la présence de son fils à ce rassemblement ? « La présence d’Ethan est un must. Je souhaite lui insuffler le goût de se battre pour un monde meilleur, basé sur la solidarité et le respect des valeurs démocratiques. Je lui ai expliqué pourquoi on est là aujourd’hui et il a compris », indique Bobby John.

Il y a également ceux qui ont assisté aux manifestations et aux rassemblements qui ont jalonné l’histoire de Maurice. Sylvio Nukmon, 86 ans, qui s’est évertué à parcourir une cinquantaine de mètres avec le cortège, hier, raconte avoir forgé ses convictions dans la rue, en allant manifester dans de grandes occasions nationales. « J’ai participé à des manifestations à partir des années 1940 pour combattre certaines idéologies, même si j’étais encore jeune. J’encourageais mes enfants à en faire de même dans les années 1970. Puis, il y a eu le grand rassemblement de 1982 qui a à tout jamais changé l’image du pays », nous confie l’octogénaire, qui « souhaite que les jeunes d’aujourd’hui s’imprègnent de cette culture qu’avaient les gens de ma génération. C’est bien de descendre dans la rue à l’appel des syndicalistes, mais il faut surtout qu’ils puissent le faire de leur propre chef. »

Roubee Momauree, retraitée : « Kan dimoun perdi travay, fami ki perdi tout »

Roubee Momauree a pris le bus de L’Escalier pour venir manifester à Port-Louis. Elle est retraitée depuis plusieurs années déjà. Mais elle a tenu à être la « pou montrer mo solidarité avec lepep. » Il y a trop d’abus dans le pays pour rester tranquille, dit-elle. Elle même dans le passé a perdu son emploi. Si elle n’a pas d’enfants à sa charge, elle dit vivre avec ses neveux et nièces « ki zot, zot l’emploi menacé ». Pour la retraitée, « kan enn dimounn perdi travay, la fami ki perdi tout. Nanien pa kapav fer. Mo konn souffrans-la. Bann fam dans lakaz koné kan poêlon so, kouma li difficile pou fer marmite bwi ». C’est pourquoi elle a tenu à marcher dans les rues de Port-Louis, pour dire « Stop ! ». « Pays la pa kapav kontinié ale koum sa, kot dimounn souffert akoz bann laloi ki pa équitable. Zordi la souffrans partout, social pé dégrader. Pena direction kot pé aller. Bizin ena enn sursaut », dit-elle.

Seeven Moorghen, employé d’Alteo :
« Mo ena l’avenir mo zanfan, mo fami ki en jeu »

« Gouvernement pann agir pou travayer. Inn passe enn la loi pou employer. Zordi mo là parski mo l’avenir, l’avenir mo zanfan ek mo fami ki en jeu ». Cri du cœur de Seeven Moorghen, employé comme opérateur chez Alteo. Après 11 ans passés au sein de la compagnie sucrière, son emploi est menacé, dit-il. Des 117 personnes employées, quelque 80 devraient recevoir leur lettre de licenciement bientôt. Et peut-être lui parmi. « Kouma pou fer pou soigne mo fami ? » demande ce père de deux enfants âgés de 9 et 13 ans. Surtout que sa femme ne travaille pas. En ce samedi après-midi, il a tenu à être présent afin de manifester contre « sa bann laloi kinn passé dans ledos lepep. » Cet habitant de St-Julien Village dit avoir recommencé à travailler depuis le mois d’avril. « Inn fer nou vinn travay pou annonce nou pé fermer ek ki compagnie en négociation avec MMS pour ferme raffinerie ek ouvert enn lot bizness disik spécial kot li pou fer profit. Mais nou, nou l’avenir en danger », raconte-t-il.

Dans l’expectative et dans l’angoisse de perdre son emploi, il dit qu’il peine à trouver le sommeil. « La vie inn sanzer. Nou ti ena proze pou nou zanfan. Zordi, à koz sa bann nouveau laloi la, employeur kapav fer seki zot envi are nou », dit-il. D’expliquer qu’en tant qu’employé de l’industrie sucrière, comme ses collègues, s’il est inévitable que leur entreprise ferme, il espérait obtenir un Blue Print, qui n’effacerait pas les dures années de labeur qu’il a données à l’entreprise. « Or, manière pé dir pou paye nou, c’est kouma dir nou pa finn contribuer prospérité l’entreprise-là », regrette-t-il.

En marchant dans les rues de Port-Louis ce samedi, avec sa femme et ses enfants, il souhaite qu’un message fort soit passé aux employeurs ainsi qu’au gouvernement. « Dimounn dans Maurice pas paress. Nou travay pou soigne nou fami. Nou anvi avancer dans la vie. Komier travayer finn pran loan, finn prend crédit ek pé retrouve zot enn sel kout dans tracas kouma pou paye dette parski pé perdi travay. Sa gouvernma li pa prend compte. Li pé prend compte grand patron », déplore-t-il.

Dynaelle, fille d’un employé
de bateau : « Mon papa me manque »

Ils ont tenu à être là. À la place de leurs enfants, parents et époux coincés sur des bateaux de croisière dans les quatre coins du monde, Seafarer’s Parents Mauritius a participé à la manifestation. Parmi, Dynaelle, dont le papa est actuellement aux Philipines sur le bateau Voyager of The Sea.

« Je n’ai pas vu mon papa depuis l’année dernière. Il me manque beaucoup », lance la petite Dynaelle. Pancarte à la main, elle a tenu à être présente dans l’espoir que les autorités l’entendent. Sa mère Isabelle ne travaille pas et a de plus en plus de mal à joindre les deux bouts. « Je travaillais avec les touristes et là, il n’y a plus rien. Je n’ai pas vu mon époux depuis l’année dernière. Cela devient pesant à la fois pour moi, notre famille mais aussi sa mère qui vit avec nous depuis quelque temps. » Sa demande : que les autorités s’activent et montrent plus d’intérêt pour ramener ces employés de croisière dans leurs foyers, auprès de leurs proches.

À côté d’elle, une ex-employée de croisière, Juanita Poinen. Sans langue de bois, elle appelle au bon sens des autorités. « Retourner dans son pays, c’est un droit de tout citoyen. » Rapatriée il y a quelques mois, elle sait très bien ce qu’endurent ces milliers d’employés de bateaux. « Il faut arrêter de dire que les employés de bateaux sont les seuls porteurs du virus ! Vous n’imaginez même pas à quel point les règles sanitaires sont strictes sur ces bateaux. Il faut donc cesser cette discrimination. »

Par ailleurs, elle explique que ces employés mauriciens, en plus d’être déprimés de ne pas pouvoir regagner leur pays, sont aussi gênés, car ils sont désormais les seuls à être sur ces bateaux. Pour Seafarer’s Parents Mauritius, trois exercices de rapatriement ne sont pas suffisants pour ramener tous ces employés.

Avinash est un ex-employé de bateau. Ce dernier, rentré au pays en février, s’inquiète pour son avenir et celui des milliers d’autres d’employés de croisière qui vont rentrer et qui se retrouveront inéluctablement au chômage. « On met nos emplois en danger alors que nos compagnies dépensent beaucoup pour nous », dit-il. « Il y a en ce moment 300 Mauriciens qui travaillent pour la même compagnie de croisière que moi et qui sont encore à l’étranger ! Notre compagnie a tout fait pour les ramener et a même voulu venir les déposer, mais le gouvernement ne les a pas laissés accoster. Ce n’est pas logique », dit-il.

V.S., employée d’une fabrique d’aluminium :

« Gouvernma pas dans faveur employé mais employeur »

Pour la première fois de sa vie, V.S., la quarantaine, a participé à une manifestation. « Jamais auparavant je n’aurais pensé manifester. Mais aujourd’hui il y a trop d’abus. J’espère que cela contribue fortement à changer les choses », dit-elle.

Si elle est descendue dans les rues de la capitale hier, c’est pour dire non aux abus du pouvoir, aux abus du patronat. Cette habitante des Plaines Wilhems craint pour son emploi. Depuis la reprise, chaque début de semaine, elle est convoquée par la direction de l’entreprise où elle travaille depuis six ans. Et on lui a demandé de « lev paké allé ». Une dizaine d’emplois sont menacés, dit-elle.

« Or, nous savons tous que ce n’est pas à cause de la COVID que notre employeur veut nous mettre à la porte. La COVID est un prétexte. Depuis la reprise, la compagnie travaille normalement, les commandes à l’export ont repris et le chantier local également. La direction cherche simplement à se débarrasser de quelques employés », dit-elle. Si dans un premier temps la compagnie a proposé une compensation de 15 jours par année de service aux personnes qu’elle compte licencier, elle a ensuite proposé Rs 100 000 de compensation à V.S. Somme que la préposée administrative a refusée. Or, après son refus, la somme proposée a augmenté de Rs 50 000. « Mais quand je demande sur quelle base la compagnie propose ces sommes, je n’ai obtenu aucune réponse. Et parallèlement, elle ne veut pas nous donner de lettre de licenciement, au cas où on dénoncerait cette mise à pied au ministère du Travail », dit V.S.

Mariée et mère d’un enfant de deux ans, elle dit craindre les jours sombres à venir. « Et d’expliquer que si jusqu’ici elle n’a pas été mise à la porte, « zot pé fer tou pou pousse moi à bout. » C’est un véritable stress quotidien, ajoutant que la situation est telle qu’elle est même tombée malade. Or, si elle a fait parvenir son certificat médical à son employeur, elle a aussi reçu la visite surprise du médecin de la compagnie pour vérifier si elle était véritablement malade.

Face à ce harcèlement dont elle se sent victime, elle ne compte pas se laisser faire. « Je préfère passer par le Redundancy Board que de laisser le patronat abuser de mes droits», dit-elle, espérant que le gouvernement reviendra sur « sa bann la loi kinn passer pou dimounn pass mizer aster. »

 

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