Quand la honte change de camp

SHENAZ PATEL 

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Une image forte de cette fin de semaine: Harvey Weinstein menotté, se rendant à la justice américaine. Et ce n’est pas qu’une affaire “à l’américaine”, un énième happening people au pays de tous les excès. C’est peut-être ce qui marque une nouvelle ère dans la conception des relations hommes-femmes.

L’affaire Harvey Weinstein a été un détonateur. Quand, le 5 octobre 2017, le New York Times publie une série d’accusations d’actrices comme Rose Mc Gowan et Ashley Judd à l’encontre de Weinstein pour sexual misconduct, personne ne sait encore le raz de marée que cela va entraîner. Depuis, plus de 75 femmes, dont Salma Hayek, Gwyneth Paltrow, et bien d’autres ont raconté avoir été agressées par celui qui était alors le producteur le plus célèbre, le plus primé et le plus influent d’Hollywood, avec à son palmarès des succès comme Pulp Fiction ou Shakespeare in Love. Aujourd’hui, ce sont deux cas particuliers, l’un de viol en 2010 et l’autre d’inconduite sexuelle à l’égard d’une jeune actrice, qui l’ont conduit, vendredi dernier, à devoir se rendre, menotté, en cour, où il a dû payer une caution de $1 million pour être relâché. Il encourt jusqu’à 25 ans de prison.

Weinstein en cour, c’est la boucle de ce qui a démarré un véritable mouvement. Car c’est de là que part le hashtag metoo, qui va révéler un véritable déferlement. Soudain, à la faveur des réseaux sociaux, des femmes du monde entier vont se mettre à raconter. Des choses jusque là passées sous tapis, acceptées, parce que jugées, quelque part, comme faisant partie du cours des choses, des harcèlements quotidiens, des attouchements, des viols. Exercés comme l’expression d’un pouvoir, et d’un privilège,dans la relation amoureuse, dans la sphère professionnelle. La parole des femmes, d’un coup, s’est déliée. Et les têtes sont tombées.

Aux États Unis, des figures publiques de premier plan se sont ainsi retrouvées  accusées, et contraintes à payer le prix en perdant leur position. Parmi, des grands noms de la télé, des acteurs comme Louis C.K., le chef Mario Batali, le magnat des casinos Steve Wynn, le sénateur démocrate Al Franken. Et,il y a deux semaines, créant une onde de choc, l’Attorney General de New York, Eric Schneidermann, celui-là même qui avait mené l’affaire contre Weinstein… Accusé de comportements sexuels violents et prédateurs à l’égard de ses compagnes.

Il y a encore eu l’annonce que le Prix Nobel de Littérature ne sera pas attribué cette année, pour cause de scandale sexuel au sein du comité responsable. Et pour couronner le tout, voilà cette fois des accusations contre l’acteur et réalisateur Morgan Freeman, le grand, le génial Morgan Freeman, celui-là même qui incarna Mandela dans Invictus en 2009. Dans un reportage de CNN diffusé jeudi dernier, pas moins de seize personnes l’ont accusé de remarques et comportement sexuels inappropriés et de harcèlement.

Ce qu’il est d’intérêt de noter dans tous les cas précités, c’est que les hommes mis en cause ne nient pas totalement ce qui leur est imputé. L’Attorney General Eric Schneidermann a ainsi reconnu qu’il s’était livré à “des jeux de rôle” avec ses compagnes, mais plaide le consentement dans un cadre privé. Morgan Freeman, dans un communiqué publié jeudi soir, a lui déclaré: “Anyone who knows me or has worked with me knows I am not someone who would intentionally offend or knowingly make anyone feel uneasy. I apologize to anyone who felt uncomfortable or disrespected  that was never my intent.”De son côté, l’avocate de Weinstein, Joan Illuzzi-Orbon a déclaré vendredi: “Mr. Weinstein did not invent the casting couch in Hollywood”. Une phrase très parlante, qui met en avant l’aspect fondamental du pouvoir dans toute cette question.

C’est aussi la position de pouvoir qui ressort du cas Junot Diaz. Le mois dernier, l’écrivain à succès couronné notamment du Pullitzer Prize, publie dans le New York Times une tribune où il révèle avoir été abusé sexuellement dans son enfance. Ce qui, selon lui, serait à l’origine de son comportement calamiteux vis à vis des femmes par la suite. La réaction ne s’est pas fait attendre: dans les jours qui ont suivi, plusieurs femmes, dont des étudiantes, ont publiquement raconté comment il aurait  notamment profité de sa position d’auteur à succès mais aussi de professeur pour leur imposer des abus sexuels et émotionnels. Dans la foulée, Junot Diaz a été relevé de la présidence du Pullitzer Prize, et son enseignement au prestigieux MIT est remis en cause.

Réaction de Junot Diaz: “I take responsibility for my past. This conversation is important and must continue. I am listening to and learning from women stories’ in this essential and overdue cultural moment. We must continue to teach all men about consent and boundaries”. 

L’affaire Weinstein et le mouvement #metoo ont eu un effet capital: dans le sillage des abus révélés par des célébrités, la honte a changé de camp. Et à l’image de la comédienne Asia Argento, qui déclarait publiquement la semaine dernière à la tribune officielle du Festival de Cannes qu’elle avait été violée à cet endroit par Harvey Weinstein, davantage de femmes osent aujourd’hui dire ce qu’elles s’étaient cru jusque là obligées de taire, par peur sans doute, mais aussi par honte. C’est un début. Ce n’est qu’un début.

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