Reza Uteem (MMM) : « L’alliance des partis de l’opposition est une nécessité nationale ! »

Notre invité de ce dimanche est Me Reza Uteem, le président du MMM. Dans l’interview réalisée hier matin, il répond à des questions d’actualité politique. Dont la démission surprise de Jenny Adibero, la reprise des koz kozé Bérenger /Ramgoolam et l’éventuelle réunification des partis de l’opposition pour faire face à l’alliance gouvernementale, lors des prochaines élections.

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Comment expliquez-vous ce que Arvind Boolell qualifie de U turn de Jenny Adibero ? Dimanche dernier, dans les colonnes de Week-End, elle chantait les louanges du MMM, le seul parti politique avec des valeurs. Quatre jours plus tard, jeudi, elle démissionnait de toutes les instances du MMM parce que le parti n’avait plus d’éthique. Qu’est-ce qui s’est passé entre dimanche et jeudi ?

Dans votre journal, Jenny faisait ressortir que les valeurs du MMM n’ont pas changé mais que la population, elle, a changé. C’est vrai, mais la plupart des politiciens ont aussi changé. Aujourd’hui, les valeurs que prône le MMM sont incompatibles avec ce que Jenny a fait. Je suis très attristé par son attitude. J’ai été à ses côtés quand elle était candidate aux municipales de 2012 à Port-Louis et quand elle a gravi les échelons du MMM et obtenu sa candidature au numéro 19. Nous étions proches. D’ailleurs, mercredi dernier, elle est venue à mon bureau pour me remettre une boîte de chocolat en guise de remerciements pour avoir été son avocat

C’était, peut-être, un cadeau d’adieu…

C’est la question que je me pose aujourd’hui. Nous avons discuté de beaucoup de choses, mercredi dernier, et en particulier de l’avenir de Jenny au sein MMM. Je lui ai demandé si dans le cadre des municipales à venir, elle préférait poser à Rose-Hill ou à Port-Louis et lui ai dit que, pour moi, elle avait le potentiel voulu pour être le maire d’une de ces villes. Elle m’a dit qu’elle allait réfléchir et que, de toutes les façons, elle allait accoucher à la fin du mois et allait me faire connaître sa décision. Elle a parlé de ce qui s’était passé avec certaines personnes du MMM dans le passé, de sa première démission et de ses problèmes personnels en toute confidence. Elle a laissé échapper qu’il y avait des émissaires du MSM et des ex du MMM qui l’avaient contactée. Mais à aucun moment, elle ne m’a laissé entendre qu’elle allait démissionner du MMM

Rajesh Bhagwan a parlé de Judas à l’affût de membres du MSM qui pourraient devenir des transfuges politiques. C’est une réalité ou une rumeur ?

C’est une vérité. Et quand Rajesh parle de Judas, nous savons tous qu’il parle de cet ex-PTr et homme de confiance, qui a trahi et vendu son parti et son leader au MSM et qui, aujourd’hui, « achète » pour le compte de son nouveau maître, Pravind Jugnauth. Le problème, c’est qu’aujourd’hui chacun a sa faiblesse…

Vous voulez dire que chacun, que chaque politicien, a son prix ?

À vous de tirer vos conclusions. Quand j’ai rejoint le MMM, je voulais faire quelque chose pour le pays et je pensais que le MMM était le seul parti qui me permettrait de le faire aves les valeurs qu’il défendait. Il y a aujourd’hui beaucoup de gens qui sont capables, sont compétents et patriotes, qui veulent aider leur pays mais sont repoussés par la politique et ne sont pas prêts à faire le sacrifice nécessaire. Il y a un prix à payer pour être au MMM, c’est un sacrifice personnel, financier et familial aussi. Les membres de nos familles sont blacklistés, ne sont pas recrutés et n’ont pas de promotion dans le service public. J’ai des amis qui ne peuvent me donner du travail parce que je suis du MMM, ce qui est mal vu, parfois même dans le secteur privé. Quand on a voulu faire passer un nominé politique sur la tête de ma sœur qui travaille dans le service public, nous avons dû aller devant les tribunaux pour faire casser la décision.

Mon entourage souffre de mon engagement politique, mais c’est un choix que j’ai fait et que j’assume. Être au MMM est un sacrifice. Ses députés ne sont pas sur un pay roll, ce sont eux qui subventionnent le parti. Aujourd’hui, la politique est devenue un business « kot bizin met fort pou gagne fort. » Vous investissez en achetant les votes et une fois que vous êtes au pouvoir, vous placez vos parents et amis à des postes de responsabilités où, par leurs décisions et les contrats qui leur seront attribués, vous allez récupérer votre investissement avec profit. À la place du PM et leader du MSM, je serais bien inquiet parce que les nouveaux adhérents du MSM sont les rejects des autres partis politiques, ceux qui ont trahi leur électorat et leur parti.

Vous voulez dire que ceux qui ont adhéré la semaine dernière sont des “rejects” ?

C’est la réalité. Je vous donne deux exemples : Vinay Soobrun avait quitté le MMM puis avait voulu revenir après les élections, mais sa régionale a refusé sa demande, tout comme Atma Bhuma. Sans vouloir être méchant, leur départ pour le MSM n’est pas une perte pour le MMM et pour l’électorat mauricien. Le MSM n’attire pas les bons éléments mais seulement les rejects des autres partis qui acceptent de se laisser débaucher. Des personnes capables de tout faire, de trahir leurs convictions, leurs familles, leur parti pour « gagne zot boutte ». Je ne sais pas comment Jenny a pu se laisser influencer.

Est-ce que vous avez été contacté, vous aussi, pour un éventuel « crossing the floor » vers le MSM ?

Mais évidemment. On me dit souvent que je suis à perdre mon temps dans l’opposition et que ma place est au gouvernement où je pourrais faire quelque chose pour le pays.

Vous savez qu’il y des personnes qui pensent que vous pourriez être tenté par ce genre de proposition pour entrer au gouvernement…

Je pense que la motivation et le but de tout politicien sont de servir son pays, et c’est sûr qu’on peut plus et mieux le faire quand on est au gouvernement que quand on est dans l’opposition. Mais seulement, il faut pouvoir au gouvernement travailler en équipe et être à l’aise avec les membres du cabinet. Je suis très à l’aise avec mes collègues du MMM, mais je ne pense pas pouvoir l’être avec certaines personnes faisant partie du gouvernement actuel.

On a fini par accepter que pour arriver au pouvoir à Maurice, il faut passer par une alliance électorale. Est-ce que c’est un passage obligé pour le MMM ?

Le système et le découpage électoral rendent impossible l’arrivée au pouvoir d’un seul parti politique aux élections. Malgré cela, le MMM l’a fait en 2010 et en 2019…

Un peu forcé par les circonstances, aucun parti n’ayant voulu de lui, malgré ses démarches…

Le MMM est le seul parti à pouvoir le faire et il l’a démontré. Par contre, le MSM, qui règne sur Maurice depuis des décennies dans le cadre d’une dynastie, n’a jamais eu le courage d’affronter seul l’électorat. Tenant compte de la réalité imposée par le système – le first pass the post où le parti gagnant remporte plus de sièges qu’il n’a obtenu de voix – c’est l’alliance préélectorale qui s’impose.

Compte tenu de ce que vous avez dit du MSM, je suppose qu’une alliance préélectorale MMM/MSM est hors de question.

Je ne vois pas comment le MMM pourrait faire une alliance avec ce que le MSM est devenu aujourd’hui. Cependant, les choses peuvent changer. Quand en 1991, le MMM a fait alliance avec le MSM, ce parti a dû faire beaucoup de sacrifices en termes de nettoyage dans ses rangs et a dû accepter nos revendications.

Vous pensez sérieusement que pour faire une alliance avec le MMM, le MSM serait prêt à mettre de l’ordre dans ses rangs, c’est-à-dire renvoyer certains ministres et dire au premier d’entre eux de se calmer ? Donc, pour le moment, une éventuelle alliance du MMM avec le MSM n’est pas à l’ordre du jour. Vous le regrettez ?

Absolument pas. Je ne fais pas de politique fiction. Je ne vais, donc, pas faire de commentaires sur des situations hypothétiques. En parlant de regrets, je regrette qu’aujourd’hui en 2022, un ministre d’État tient des propos racistes, que des politiciens dans des réunions de petits groupes tiennent des propos sectaires et communalistes.

Parlons d’une situation qui n’est pas hypothétique. On prétend que quand Jenny Adibero parle du manque d’éthique du MMM, elle est en train d’évoquer le récent koz kozé entre les leaders du MMM et du PTr.

Je n’ai entendu personne parler de ça et je ne crois pas que Jenny l’ait dit.

Je vous pose quand même la question : est-ce que le récent koz kozé entre Bérenger et Ramgoolam provoque des interrogations pour ne pas dire des remous chez les mauves ?

Il provoque certainement des remous et des craintes au MSM ! Ce qui explique, peut être, les récentes opérations de débauchage. La vérité est que la position du MMM auprès du PTr a été claire depuis 2019. L’année dernière, l’Entente des partis d’opposition a dit que sa préférence était d’aller ensemble aux élections de 2024 sans que Navin Ramgoolam soit présenté comme Premier ministre. Nous n’avons jamais dit que nous ne voulions pas de Navin Ramgoolam qui aurait pu occuper d’autres fonctions au sein d’une éventuelle alliance de l’opposition. Mais il y a eu une réaction violente du PTr…

Une réaction tout a fait justifiée face à cette intrusion dans ses affaires internes…

Et le leader de l’opposition et le whip, qui étaient tous deux du PTr, ont démissionné et, depuis, c’est Xavier-Luc Duval le leader de l’opposition parlementaire. Après un an, les positions des uns et des autres ont changé et le PTr est venu avec la proposition suivante : Navin Ramgoolam sera le Premier ministre de transition pendant les deux premières années. Pour le PTr, il est important que l’opposition présente Navin Ramgoolam comme PM de transition et nous sommes d’acccord, mais je ne vous en donnerai pas la raison. Au MMM, nous avons analysé les choses et mandaté le leader pour aller discuter avec celui du PTr d’une éventuelle alliance pour les prochaines municipales. Il est évident que la bataille électorale sera plus facile si les partis d’opposition sont alliés pour les municipales. Maintenant et à un niveau plus personnel, je suis tout à fait en faveur d’un regroupement des forces de l’opposition pour les prochaines élections pour débarrasser le pays de ce gouvernement corrompu et incompétent. Mais cette alliance n’est pas encore concrétisée, car il reste beaucoup de dossiers, dont le programme gouvernemental, à négocier.

Et qui sera Premier ministre pour les trois années suivant le règne de Ramgoolam, si les oppositions réunies remportent les prochaines élections ?

Vous ne pensez pas qu’il est vraiment un peu tôt pour en parler ?

Peut-on dire que le koz kozé est un signe de dégel entre le MMM et le PTr ?

Je vais aller plus loin pour dire que Bérenger et Ramgoolam ne se sont pas réveillés un beau matin pour décider d’aller koz kozé. C’est le résultat d’un travail des bases des partis de l’opposition, qui est remonté au sommet. Ces bases – qui traduisent aussi le sentiment de centaines de Mauriciens – disent que nous aimons notre pays et nos enfants et que nous n’en pouvons plus avec ce gouvernement qui nous endette, déprécie notre roupie, fait augmenter le prix de ce que nous importons, dont les médicaments. L’alliance des partis de l’opposition est une nécessité nationale !

Pour accepter que Navin Ramgoolam puisse devenir Premier ministre de transition, il faudrait que le MMM reconsidère la position de son leader en tant qu’éventuel Premier ministre.

Rien n’a été décidé, mais la question est à l’étude. Il nous faut trouver la formule à présenter à l’électorat pour qu’il soutienne l’alternance. Car comme beaucoup de commentateurs l’ont dit et écrit : ce n’est pas le gouvernement MSM qui est fort, mais c’est la division au sein de l’opposition qui le rend fort. Cette division de l’opposition joue en faveur du gouvernement qui est très impopulaire.

Vous croyez sincèrement, Reza Uteem, qu’il est possible que les leaders de l’alliance, ou de l’entente de l’opposition, puissent mettre de côté leurs égos surdimensionnés pour travailler ensemble ?

Je connais tous ces leaders et forcément, Paul Bérenger plus que les autres, et je sais qu’au fond, ce sont des grands patriotes. Qu’importe la dimension de leurs égos, ils n’hésiteront pas à faire les compromis nécessaires dans l’intérêt supérieur de la nation. L’espoir de tout un pays repose sur ces dirigeants qui doivent trouver une solution pour en finir avec un gouvernement corrompu et incompétent.

Pourquoi est-ce que les autres partis de l’entente ne participent aux koz kozé ?

Tout ce dont Bérenger parle avec Ramgoolam est répercuté dans le BP du MMM mais aussi aux leaders de l’Entente qui se rencontrent régulièrement.

Il a été dit dans le cadre de la réunification des forces de l’opposition – actuellement en cours –  que Xavier-Luc Duval devrait rendre le poste de leader l’opposition à Arvind Boolell. Votre opinion sur cette question ?

Je pense qu’il ne faut pas se laisser influencer par des petits détails mais plus nous préoccuper du bigger picture. S’il existe une alternative au pouvoir en place et qu’il passe par le regroupement de toutes les forces de l’opposition, la première des priorités est de l’organiser. L’allocation des postes de responsabilités est secondaire. La première question à résoudre est la suivante : est-ce que nous sommes d’accord pour travailler ensemble et sur quelle base, car il y a sujets sur lesquels tous les partis d’opposition n’ont pas la même analyse.

Un mot rapide sur la situation économique du pays qui est et va continuer à être difficile, selon les économistes.

Nous avons un ministre des Finances totalement irresponsable qui a décidé de prendre des milliards des réserves de la Banque centrale pour aider, à travers la MIC, les gros paltots et Air Mauritius à financer son déficit budgétaire. La conséquence directe est la dépréciation de la roupie de 20% qui provoque une flambée d’augmentations de prix.

On pourrait vous rétorquer que la situation serait pire si la MIC n’avait pas aidé les entreprises à payer les salaires.

Pardon, la MIC a “aidé” les gros paltots, pas les PME fragilisées et qui ne peuvent plus employer à plein temps. Si le gouvernement et son ministre ont à coeur l’intérêt des petits, pourquoi n’ont-ils pas demandé à la MIC de mettre dix des millards accordés aux gros paltots à la disposition des PME qui ne peuvent obtenir des prêts bancaires ? C’est ça que nous voulons changer : cette politique qui ne privilégie que les gros paltots en ne s’occupant pas des petites entreprises ! Nous voulons mettre fin à l’incompétence qui règne dans les corps paraétatiques où le gouvernement a nommé ses dimoun, des incompétents notoires.

Qui sont soutenus, pour ne pas dire autre chose, par des hauts fonctionnaires tout puissants.

Ce qui s’est passé l’année dernière et cette année au niveau du procurement de la Santé démontre qu’aujourd’hui, des fonctionnaires sont un des maillons essentiels dans la corruption à Maurice. Sans l’aide de fonctionnaires, on ne pouvait pas faire les fraudes qui ont été commises pendant la pandémie et, tout récemment, à la Santé. Mais ces fonctionnaires complices sont protégés puisqu’aucun de ceux qui étaient impliqués n’a été sanctionné.

Que pensez vous du renvoi des élections régionales à Rodrigues ?

Je ne connais pas la situation sur le terrain. Mais je comprends l’attitude des partis de l’opposition qui critiquent ce renvoi. Pourquoi a-t-on renvoyé les élections de deux semaines pour raison sanitaire, alors que personne ne peut prédire que l’épidémie prendra fin dans ce laps de temps ?

Après le recount de la circonscription no.19, des voix se sont élevées pour réclamer le démission du Commissaire électoral. Il paraît même que deux membres de l’opposition se sont affrontés durement sur cette question dans une émission de radio, vendredi. Quelle est votre opinion sur cet appel à la démission ?

Je vais faire attention à mes mots parce que je suis avocat dans trois pétitions électorales qui n’ont pas encore été terminées et, dans deux d’entre elles, nous avons demandé que le Commissaire électoral vienne déposer en Cour. Mais je vais faire un constat, que tous les Mauriciens ont déjà fait, d’ailleurs : il y a eu mardaye aux dernières élections et aujourd’hui, on a les preuves. Avant, on avait des spéculations mais aujourd’hui après le recount du no. 19 nous avons des preuves qu’il y a eu mardaye et pas des erreurs humaines. 73 bulletins qui disparaissent, c’est une fraude. 1 bulletin qui sort de la circonscription no. 1 pour se retrouver au no. 19, c’est une fraude. Pour moi, ce ne sont pas des actes isolés mais des actes calculés, prémédités, organisés. Si cela a pu arriver au no. 19, on peut craindre qu’il y a eu pire dans les autres circonscriptions. Et c’est là que je ne comprends pas. Si le rôle du Commissaire électoral et celui du président de la commission électorale est de dissiper le moindre doute sur le déroulement des élections, pourquoi refusent-ils de venir déposer en Cour ?

En venant vous voir, je pensais rencontrer le président d’un parti accablé par la démission surprise de Jenny Adibero, un de ses membres. Ce n’est absolument pas le cas. Est-ce que, paradoxalement, cette démission ne sert pas le MMM ?

Je pense que cette démission a créé plus de dégoût chez les Mauriciens pour le gouvernement et, bien sûr, l’opposition ne peut que s’en réjouir. Mais au-délà, ce qui m’attriste le plus c’est qu’aujourd’hui, beaucoup de politiciens ne font plus de la politique par conviction, mais par intérêt personnel. Comme je l’ai déjà dit : La politique est devenue un business kot bizin met for pou gagne fort.

Peut-on dire, pour conclure, que Jenny Adibero fit met fort pou gagne fort ?

C’est à elle de choisir la formule et le camp dans lesquels elle se sent à l’aise aujourd’hui.

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