Sa vre zom !

Voilà donc un Premier ministre, celui de Maurice-c’est-un-plaisir, qui, lors de la séance de questions parlementaires cette semaine, a répondu à une question d’un député de son gouvernement en détaillant ce qui a été retrouvé lors de la perquisition au domicile de l’ancien Premier ministre, Navin Ramgoolam, en 2015. Des billets de banque, dollars américains, euros, livres sterling et autres, totalisant Rs 230 millions. Pour cela, l’ex-Premier ministre est poursuivi.

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Mais l’actuel Premier ministre ne s’arrête pas là. Avec une délectation quasi jouissive, il ajoute qu’en sus des sommes d’argent et des parfums, des stimulants sexuels ont également été trouvés. Et il donne des détails extensifs avant de conclure d’un air grivois : « Un Casanova endurci n’aurait pas imaginé un tel cocktail ». Tout cela devant un Speaker qui ne bronche pas devant ce Premier ministre qui, de par son ton même, fait pénétrer le scabreux dans des milliers de foyers mauriciens avec la retransmission en direct des travaux parlementaires.

La vie privée d’un homme politique relève-t-elle de l’intérêt public ? Jusqu’à quel point ?
En France, la presse s’est longtemps montrée assez  « frileuse » par rapport à la vie privée des hommes politiques. Une sorte de déférence, pour ne pas dire d’omerta, a longtemps entouré les informations ayant trait à la santé des chefs d’Etat, qu’il s’agisse de la maladie de Jacques Chirac ou du cancer de Pompidou comme celui de Mitterrand.
Aux Etats Unis, la vie intime d’un Président a été étalée au grand jour avec l’affaire Monica Lewinsky. Une jeune Californienne qui défraye la chronique en 1998-1999 lorsqu’il est rendu public que lors d’un stage effectué à la Maison Blanche, elle a eu des relations sexuelles avec le président Bill Clinton, allant jusqu’à une fellation sous un bureau.

Interrogé sous serment à ce sujet, le Président Clinton commence par nier. Un mensonge qui lui vaut une procédure de destitution, qui sera finalement bloquée par le Sénat.
On peut aussi parler de l’affaire Dominique Strauss-Kahn, devenu en 2007 directeur général du Fonds monétaire international (FMI), mis en cause en mai 2011 dans une affaire d’agression d’une femme de ménage de l’hôtel où il est descendu à New York. Une arrestation hyper médiatisée, un scandale international, qui se solde par un accord financier impliquant le versement de plus d’un million de dollars à la plaignante. Et qui met fin à sa carrière politique, alors qu’il était donné grand favori pour être le candidat du Parti socialiste aux élections présidentielles de 2012.

La Cour Européenne des Droits de l’Homme a, depuis 2012, rendu une série d’arrêts visant à permettre de mieux définir les limites des sphères privée et publique en ce qui concerne les hommes politiques. Pour tenter de trouver un équilibre entre l’article 8 de sa Déclaration qui porte sur le droit à la protection de la vie privée, et l’article 10 qui concerne le droit à la protection de la liberté d’information. Et depuis quelques années, à travers le monde, une nouvelle jurisprudence tente de se mettre en place autour de l’exposition de la vie privée des personnalités politiques. Criminalisée lorsqu’il s’agit de dévoilements intolérables et n’apportant rien à l’intérêt général. Mais acceptée si cela apporte aux électeurs un éclairage important sur la personnalité et les pratiques de ceux qui briguent leur suffrage, ou si cela est susceptible d’exposer des informations qui éclairent des éléments relevant de la sphère politique et publique.

La question, à chaque fois, revient : le citoyen n’est-il pas en droit d’exiger un certain degré de connaissance de la vie privée de ses élus, par exemple lorsque cela concerne la santé d’un Président, et donc sa capacité à gouverner le pays ? Le citoyen n’a-t-il pas un droit de regard sur l’intimité de ses dirigeants si ceux-ci ont des pratiques qui ne sont pas en cohérence, voire en totale opposition, avec les idées et valeurs qu’ils disent défendre?
Par définition, on peut considérer que l’homme politique est un être public. Mais cela veut-il dire que l’on doit tout savoir de lui, de sa sexualité au nom de sa maîtresse, en passant par la couleur de son slip ?

La référence ici n’est pas anodine. Car il est bien évident que le Premier ministre mauricien tente ici de tisser une suite de ce qui a déjà été attaché à son prédécesseur. Une suite de ce qui fut désigné il y a des années comme la « Macarena Party » d’Albion, où il fut question de parties pas si fines en compagnie de mineures dans un campement, et de slip noir retrouvé sur la plage… Ici, Pravind Jugnauth tente clairement de faire passer le message que l’ex-Premier ministre qui aspire à le remplacer est demeuré une bête de sexe à laquelle on ne peut se fier…

On peut considérer que parler de la vie privée des hommes politiques est justifiable et nécessaire lorsque ce qui se passe dans leurs vie privée a des conséquences sur la sphère publique. Ainsi, si un ministre a une relation privée avec un trafiquant de drogue qui aurait bénéficié de faveurs du gouvernement où ce ministre exerce.
Mais entre transparence au service de la démocratie et voyeurisme excessif, la ligne peut être et est souvent vite franchie. A l’heure du règne de l’image, avec le triomphe de la télé-réalité et l’explosion d’Internet, ce que certains appellent la « peopolitique » a envahi l’espace public.

Il y a quelques années, l’ex-député socialiste Arnaud Montebourg avait estimé que « la peopolisation est un outil de diversion qui tend à remplacer les vrais débats autour des questions de société. Une sorte d’opium du peuple. On raconte la vie des politiques comme dans un vaudeville. On parle mariage, divorce en masquant les problèmes réels. J’y vois une dérive très préoccupante de la démocratie », s’alarme-t-il.
Dans ce jeu souvent pervers et malsain le grand perdant est bien la démocratie.

A moins que la démocratie ne s’astreigne à ne pas se laisser enfumer et à fonctionner au-delà. C’est notamment ce que dit l’affaire Sarkozy. Alors que certains se focalisaient sur « Sarkozy et ses femmes », la justice a œuvré sur le reste. On l’a vu 17 mai dernier, lorsque la cour d’appel en France a confirmé les peines prononcées le 1er mars 2021 contre l’ex-Président de la République. L’ex-homme fort de la droite a en effet été condamné à trois ans de prison, dont un an ferme à exécuter sous bracelet électronique, pour corruption et trafic d’influence. Une sanction totalement inédite, contre laquelle son avocate a immédiatement annoncé qu’elle allait «former un pourvoi en cassation » pourvoi qui suspend pour l’heure son emprisonnement et l’interdiction des droits civiques de trois ans également prononcée à l’encontre de Nicolas Sarkozy, ce qui le rend inéligible.

La Cour d’appel a en tout cas estimé que celui qui fut président de 2007 à 2012 «s’est servi de son statut d’ancien président pour servir son intérêt personnel, un dévoiement qui exige une réponse pénale ferme». Nicolas Sarkozy sera par ailleurs rejugé en appel dans quelques mois dans une affaire de financement illégal de sa campagne présidentielle de 2012, pour laquelle il avait été condamné à un an de prison ferme en septembre 2021.
Le Premier ministre mauricien, lui aussi, est actuellement suspendu à la décision que prendra le Privy Council en juillet prochain concernant le financement de sa campagne en 2019. C’est dire s’il y a d’autres enjeux que les excitants et calmants de son prédécesseur.
Mais alors que nous sommes confrontés à des défis inédits au niveau politique, économique, social, climatique, nous nous repaissons dans une « culture du pénis » où être un « vrai homme » consiste à se répandre sur des performances sexuelles, devant des députés, femmes comprises, qui ricanent grivoisement.
Comme si grandir n’était qu’une affaire de taille…
SHENAZ PATEL

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