Selon que vous serez puissants…

«Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir », écrivait Jean de La Fontaine dans Les Animaux malades de la peste. Cette fable écrite en France au XVIe siècle vient d’être illustrée en cette fin de l’an 2022 dans la République de Maurice. Une République qui, de plus en plus, par les agissements de ceux qui la dirigent, mérite le surnom de « bananière ». Pour ceux qui l’ignoreraient, l’expression « république bananière » est « utilisée pour qualifier, de manière polémique ou satirique, toute forme de régime politique considéré comme autoritaire, dictatorial ou corrompu. » Voici un résumé de l’affaire qui incite fortement à penser que Maurice est en train de se faire une place de choix dans cette catégorie très particulière de républiques. L’affaire en est une de détournement de fonds commis par un banquier au préjudice d’une société à travers une banque et le montant de la fraude est de Rs 3 millions. Le banquier, qui est par ailleurs fils de celui qui devait devenir l’actuel commissaire de police, est reconnu coupable par la Cour intermédiaire et condamné à 12 mois de prison en février 2018. Il fait appel de la sentence, ce qui lui évite de purger sa peine, mais l’appel est rejeté. Il demande alors à la Cour suprême l’autorisation de faire appel du jugement au Privy Council, ce qui lui évite de purger sa peine le temps de la procédure. En novembre de l’année dernière, la Cour suprême, présidée par la cheffe juge, rejette la demande de recours au Privy Council. Le condamné décide alors de faire appel directement au Privy Council, ce qui suspend, une fois de plus, l’application de sa condamnation à 12 mois de prison.

- Publicité -

Tout en disant vouloir faire appel directement au Privy Council, le fils du commissaire fait une demande pour la grâce présidentielle à la Commission de pourvoi en grâce. Présidée par un ancien chef juge, cette commission reçoit plus d’une centaine de demandes par mois et se réunit chaque quinzaine pour les étudier avant de soumettre ses recommandations au président de la République. Alors que les dossiers concernent en général des personnes déjà emprisonnées et que cela prend des mois et des années pour les étudier, celui du fils du commissaire de police est traité avec une vitesse stupéfiante, disent ceux qui connaissent le fonctionnement de la commission. La demande faite après le rejet de la Cour suprême, le 18 novembre, est étudiée et une recommandation soumise au président qui l’avalise le 20 décembre en faisant usage de sa prérogative d’accorder une grâce présidentielle. Et quelle est la recommandation expresse avalisée, non moins expressément par le président de la République ? La peine de 12 mois de prison ferme est commuée en une amende de Rs 100 000 et Rs 5 000 pour les frais de la cour. Amende et frais payés quelques jours seulement après l’obtention de la grâce présidentielle. Il aura fallu moins d’un mois pour que le dossier soit traité et la recommandation soumise et approuvée. Et dire qu’il y a des grincheux qui osent dire que la justice prend trop de temps à Maurice ! La justice, peut-être, mais certainement pas la Commission de pourvoi en grâce.

L’affaire, la procédure et surtout son dénouement suscitent des tonnes de questionnements. Est-ce le fait qu’il soit le fils de son père qui a valu à M. Dip ce traitement rapide — d’autres disent préférentiel ? Est-ce qu’en recommandant au président de commuer la peine de prison en amende, la Commission de pourvoi en grâce n’a pas cassé le jugement de la Cour intermédiaire, confirmé par la Cour suprême ? Est-ce qu’en graciant un condamné pour détournement de Rs 3 millions et en modifiant sa peine de 12 mois de prison en une amende de Rs 100 000 la commission et le président de la République n’ont pas envoyé une sorte d’encouragement aux détourneurs de fonds et autres blanchisseurs d’argent ? Est-ce que, comme le prétend une rumeur persistance, la Commission de pourvoi en grâce avait déjà soumis une demande pour le frère d’une ancienne députée impliqué dans des affaires de drogue, demande qui a été avalisée par le président de la République ? Aucune de ces questions, plus que pertinentes, sur le fonctionnement de la commission, n’obtiendront de réponses, comme l’a révélé la démarche entreprise par le parti Linion Pep Morisien. Ce parti a écrit au président de la République pour lui demander de bien vouloir confirmer la grâce de M. Dip et la modification de sa condamnation à 12 mois de prison en amende de Rs 100 000. En fin de semaine, le président fait parvenir une réponse à Linion Pep Morisien. Pour l’informer que sa lettre avait été référée à la Commission de pourvoi en grâce. Savez-vous que de par la loi cette commission n’a aucune justification à donner sur les motifs qui l’ont incité à faire ses recommandations à la vitesse grand V ? Paraphrasons Jean de La Fontaine pour conclure : À Maurice, si vous êtes un fils de avec les contacts qu’il faut, les présidents — de la République et de la Commission de pourvoi en grâce — pourront transformer une condamnation de 12 mois de prison en une amende de Rs 100 000.

Dans notre République, on peut faire ça !

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour