Service public – La MBC : du caveau au caniveau

  • Lorsque le biographe des Jugnauth se montre d’une inqualifiable indélicatesse

Des images de deux dames à l’intérieur du caveau du Père Laval disant leur grand bonheur à la suite du prononcé des Law Lords sur l’affaire MedPoint et faisant les éloges du Premier ministre. C’est ce qu’il nous a été donné de voir au journal télévisé de la MBC du lundi 25 février. C’était un des très nombreux témoignages recueillis par le service audiovisuel public en ce jour de double célébration pour le MSM, la fermeture définitive du dossier judiciaire de Pravind Jugnauth et la victoire obtenue sur les Chagos devant la Cour internationale de justice suivant une saisine personnellement portée par Sir Anerood Jugnauth.

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C’est dès le lendemain même de cette inqualifiable indélicatesse de la MBC que le porte-parole du diocèse de Port-Louis réagissait. Le père Gérard Mongelard indiquait dans un communiqué que, tout en reconnaissant le droit à toute personne d’exprimer son point de vue sur le verdict du Privy Council, il avait néanmoins constaté que de nombreux fidèles, de même que des Mauriciens d’autres sensibilités religieuses, ont exprimé leur indignation face à « l’instrumentalisation de ce lieu de culte qui leur est si cher ».

Cela alors même que la MBC n’avait obtenu aucune autorisation pour procéder à la prise d’images à l’intérieur même du caveau du Père Laval. Le porte-parole du diocèse, qui semblait bien perplexe sur le « sens de cette démarche journalistique » de la MBC, s’est d’ailleurs interrogé pour savoir s’il fallait aller jusqu’à l’intérieur du caveau pour obtenir des témoignages. Le prêtre n’a pas manqué d’inviter les journalistes du service public à « davantage de discernement dans l’exercice de leur métier et au respect de la pratique religieuse et des lieux de culte ». Ces propos du père Mongelard ont été repris vendredi par le cardinal Maurice Piat lors de la présentation de sa lettre pastorale en prévision du carême chrétien qui démarre le mercredi 6 mars. Il a qualifié de « regrettable » l’intrusion des journalistes et des caméras de la MBC.

Communication à la soviétique et à la Corée du Nord

Cette affaire a braqué, sans jeu de mots, les caméras sur un « journaliste » en particulier, Ajagen Koomalen Rungen, qui était à la manette et sur tous les fronts en ce lundi 25 février. Comme, fort de la protection dont il jouit auprès du Sun Trust et du clan Jugnauth, le biographe autoproclamé s’est senti libre de travailler sans filtre et sans encadrement professionnel, si tant est que ce mot ait un sens à la MBC. Week-End, sous le titre « La MBC peaufine sa stratégie de propagande accélérée » évoquait dans son édition du 17 juin 2018 les recrutements manifestant « un glissement confirmé du service audiovisuel public vers les bonnes années de communication à la soviétique et à la Corée du Nord ».

Nous écrivions ceci l’année dernière : « Parmi les vedettes nouvellement arrivées, Ajagen Rungen qui ne bouge jamais sans son chauffeur préféré, puisque, lorsqu’il a quitté Radio Plus pour la MTPA, il n’a pas abandonné son fidèle collaborateur qui, lui, s’improvise video editor. Le biographe de SAJ et de Lady Jugnauth vient d’être recruté comme producer, sans qu’il y ait eu d’appel de candidatures public en interne pour le poste et que des employés avec dix ans d’expérience attendent toujours une promotion ». Le gros incident de lundi dernier au caveau n’a fait que confirmer ce que nous dénoncions il y a des mois. Ajagen Rungen qui, décidément, aime la lumière, s’est fait connaître depuis quelques années déjà. C’est dès 2004 qu’il se faisait publiquement remarquer en étalant son amour pour son toutou baptisé – excusez du peu -Beethoven. Ne disait-il pas alors que « j’éduque mon compagnon, je le comble de câlins chaque jour, je le nourris avec une alimentation saine, je veille sur sa santé, et je lui témoigne sans cesse mon affection »? Il racontait, tout aussi ému, que le chien est « scrupuleusement brossé, régulièrement promené, soigné et vacciné par un vétérinaire ». Encore jeune et doté d’une voix plutôt improbable que l’on reconnaissait entre tous, il intervenait sur toutes les radios pour commenter l’actualité ou signaler un dysfonctionnement. Sa voix était devenue tellement familière que même des journalistes commençaient à s’intéresser à ce personnage et à l’interroger.

Un pied déjà à la MBC

En 2007, à 18 ans, et en Form VI au Mauritius College, il narrait sa passion pour la radio. Très entreprenant, celui qui était décrit comme un « féru du micro » avait même approché la MBC pour filmer une cérémonie de prières. Un avant-goût probablement de l’épisode caveau. Toujours est-il que la MBC s’exécuta et qu’il eut droit à son reportage et même la couverture de la corbeille ménagère qu’il avait organisée tout seul comme un grand en recherchant des sponsors. Entre prière et corbeille ménagère, pas étonnant qu’on finisse au caveau. Lorsqu’on réussit à déplacer les caméras de la MBC pour une prière, pas étonnant qu’Ajagen Coomalen Rungen confie qu’il « caresse le rêve de devenir journaliste ou travailler comme animateur radio et peut-être même un jour devenir chef d’antenne». Il s’y emploie avec succès, puisqu’on le retrouve dans certaines émissions de Kool FM, pas « coule FM ».

Son entregent aidant, il atterrit au sein de la rédaction d’un hebdomadaire dominical. Son territoire de prédilection étant plutôt du côté des « people », il va à la rencontre de personnalités. Surtout celles qui sont au pouvoir ou qui y sont proches. En 2012, alors que c’est Navin Ramgoolam qui est Premier ministre, il choisit la soeur du chef du gouvernement Sunita Ramgoolam-Joypaul pour parler de la fête des Mères et de Lady Sushil Ramgoolam. « Maman doit être fière de Navin et moi », lui confiait l’interviewée. Devenu aussi animateur à Radio Plus, Ajagen Rungen trouve néanmoins le temps d’écrire. Son premier ouvrage sort le 26 mars 2015. Il a pour titre “SAJ de A à Z”.

Lors de son lancement par Ameenah Gurib-Fakim en présence du Premier ministre d’alors Sir Anerood Jugnauth, l’auteur n’hésite pas à dire que « c’est l’amitié entre lui et le couple Jugnauth » qui a rendu le bouquin possible.

« L’amitié entre lui et le couple Jugnauth »

Pour la petite histoire, le livre avait été lancé par celle qui n’était pas encore présidente de la République et il était parrainé par la BAI, qui devait être littéralement démantelée une semaine plus tard, soit le 1er avril 2015, et Air Mauritius, la compagnie qui pique du nez, plombé par son milliard de pertes. Trois mois plus tard, soit en juin 2015, Ajagen Koomalen Rungen remettait ça et lançait, cette fois, une autre biographie intitulée “Lady Sarojni Jugnauth, une femme exemplaire”.

Et c’est au même moment qu’il se voyait, comme par miracle, s’offrir un poste à la Mauritius Tourism Promotion Authority sous l’administration de Xavier Duval. Il entraîne avec lui son fidèle collaborateur Azeem Khodabux pour constituer ce qui était connu comme la cellule des réseaux sociaux. L’auteur, décidément prolifique, s’essaye au roman à l’eau de rose, et publie en mai 2017 « Cendrillon à l’île Maurice », décrivant les aventures de Cendrillon et de son prince Charles sous nos cieux tropicaux. C’est un autre membre du clan Jugnauth qui officie au lancement du livre, le ministre alors des Administrations régionales, Mahen Jhugroo, mais sont aussi présents Lady Jugnauth, les ministres Pradeep Roopun, Alain Wong, la PPS Roubina Jadoo-Jaunbocus et Sir Bhinod Bacha du PMO. Comme un livre ne vient jamais seul, un autre ouvrage est publié trois mois plus tard: un guide sur les réseaux sociaux en partenariat avec son collaborateur attitré, Azeem Khodabux.

Avec un tel bilan, bien qu’on ne sache pas ce qu’a été le sort en librairie de ses publications multiples, Ajagen Rungen ne veut plus rester à la MTPA lorsque Xavier Duval quitte le gouvernement. C’est fort de ses soutiens qu’il atterrit à la MBC, comme mentionné plus haut. Vu l’importance de son parrainage, il a tout le loisir de fonctionner sans filet jusqu’à ce qu’il se fasse prendre lundi dernier au caveau. Malgré la désapprobation générale, pas un mois d’excuse de la direction du service public et le « journaliste » est toujours pépère. On a bien regretté qu’il n’ait pas été de la montée en échelle télescopique de SAJ et de Lady Jugnauth à Grand-Bassin mercredi. A moins que la MBC n’ait eu peur de tomber dans le caniveau. Comme si elle n’y était pas déjà.

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