Super contagion

“Covid hits one of the last uninfected places on the planet”.
Ce titre de l’agence Associated Press, ce vendredi 28 janvier, attire notre regard. Il aurait pu concerner Rodrigues.

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Mais l’article signé Nick Perry et Sam Metz concerne les îles Kiribati. Comme Rodrigues, ce territoire a fermé ses frontières dès que le Covid-19 a commencé à se répandre à travers le monde en 2020. Ce qui lui a permis de rester Covid-free pendant presque deux ans.
Ce n’est qu’en janvier de cette année que les Kiribati ont commencé à rouvrir, autorisant la Church of Jesus Christ of Latter-day Saints à affréter un avion pour ramener 54 citoyens. La majorité d’entre eux sont des missionnaires Mormons qui avaient quitté les Kiribati avant la fermeture des frontières, pour aller répandre ailleurs leur foi. Toutes les précautions avaient apparemment été prises : les passagers, qui devaient être vaccinés, ont été testés à trois reprises aux Fidji, et placés en quarantaine avec des tests additionnels à leur arrivée au pays. Cela n’a apparemment pas suffi.

Plus de la moitié des passagers se sont par la suite révélés positifs au Covid, et le virus s’est répandu dans la population, avec quelque 181 cas positifs à vendredi. Amenant le gouvernement à déclarer l’état d’urgence, avec couvre-feu et confinement de ses quelque 120 000 habitants.

De leur côté, les îles Tonga sont restées longtemps Covid-free après avoir maintenu leurs frontières fermées. Mais en octobre 2021, un missionnaire revenant du continent africain en passant par la Nouvelle Zélande fut répertorié comme premier, et jusqu’ici seul cas positif de l’archipel. C’est pour cette raison que le gouvernement des Tonga a demandé que l’aide dont l’archipel a besoin après l’éruption volcanique et le tsunami dévastateurs du 15 janvier dernier soit juste déposé par les avions et navires étrangers, sans aucun contact avec les locaux. Pour ne pas rajouter la pression de l’épidémie sur les ravages déjà existants.

A terme toutefois, il sera impossible d’empêcher le Covid, avec ses variants plus contagieux, de pénétrer les Tonga ou tout autre communauté à travers la planète, dit Helen Petousis-Harris, experte en matière vaccinale de l’Université de Auckland en Nouvelle Zélande.

Ainsi les îles Samoa, jusqu’ici protégées, ont imposé cette semaine un confinement à leurs 205 000 habitants, après que 15 passagers venant d’Australie ont été testés positifs, contaminant le personnel soignant qui s’est occupé d’eux.

Et voici que Rodrigues, dont Maurice vantait jusqu’ici le statut covid-free depuis mars 2020, n’est finalement pas épargnée non plus. Le fait que le premier cas déclaré jeudi dernier, une femme de 37 ans, n’avait entrepris aucun voyage ces derniers temps indique bien une contamination locale. Et le fait que près de 300 cas ont été recensés dans les 48 heures qui ont suivi, avec une majorité de cas asymptomatiques, indique bien que le virus est présent depuis quelque temps à Rodrigues.

Il reviendra maintenant de déterminer comment le Covid s’est introduit à Rodrigues, qui a longtemps résisté à la réouverture de ses frontières. Maintes fois annoncée puis renvoyée, cette réouverture était inévitable, pour des raisons tant humaines qu’économiques. La réouverture s’est de fait effectuée de manière très contrôlée à compter du 14 janvier dernier.

On ne peut pas dire que le protocole officiel n’ait pas été contraignant. Ainsi, seules les personnes détenant un schéma vaccinal complet étaient autorisées à s’y rendre. Également obligatoires tests antigéniques 5 à 7 jours avant la date d’embarquement, test PCR effectué au maximum 24heures avant le départ, contrôle de température au départ de Maurice et à l’arrivée à l’aéroport de Plaine Corail, quarantaine obligatoire de 7 jours dans des hôtels désignés aux frais du voyageur, test PCR effectué au jour 7. Au final, le protocole prévoyait que ceux pour qui ce test est négatif seraient autorisés à quitter l’hôtel, que toute personne trouvée positive serait transférée au Centre de traitement de Mont Lubin pour une période minimale de 10 jours, que les cas contacts resteraient en quarantaine pour une périoe supplémentaire de 7 jours avec test PCR au 14ème jour.
ça c’est pour le protocole officiel. Après, il y a la réalité des choses…

Il importera de déterminer la véracité ou non de certaines allégations et dénonciations à l’effet que des officiels venus de Maurice étaient exemptés de ce protocole. Cette exemption a d’ailleurs été avérée au moins dans un cas, lié au déplacement de la Commission électorale début janvier dans l’île en vue de l’enregistrement le 22 janvier des candidats pour les élections devant servir à constituer l’Assemblée régionale de Rodrigues, prévues pour le 13 février prochain. Et si ce cas a, selon les affirmations officielles, été strictement encadré par des tests PCR quotidiens, reste à savoir s’il n’y en a pas eu d’autres.

Quoi qu’il en soit, il est évident que Rodrigues n’aurait pas pu rester hermétiquement fermée pendant des années encore, et qu’il semblait inévitable que tôt ou tard, le Covid finisse par y faire son entrée. La question maintenant est de savoir ce que nous avons fait par rapport à cette menace hélas devenue réalité.

La récente maladie du Chef commissaire Serge Clair, qui vient d’annoncer sa décision de se retirer, met clairement en lumière la situation déficitaire du système de santé à Rodrigues. Certes, il n’est pas forcément envisageable de mettre en place des soins de pointe dans une île de 44 000 habitants. Mais il n’est pas possible pour tous, comme pour Serge Clair, de bénéficier d’un transport aérien express pour Maurice en cas de maladie.

Et il reste à savoir si nous avons réellement mis à profit ces deux années où Rodrigues a été maintenue à l’abri du Covid pour muscler un service de santé souvent décrié. Hier, alors que les Rodriguais se pressaient pour se faire dépister, la Flu Clinic de Mont Lubin s’est révélée dans l’incapacité de les recevoir, et de nombreuses personnes ont dû repartir sans test après avoir fait la queue et s’être côtoyées pendant plus de trois heures.

Il est intéressant de noter qu’en 1854 et 1856, des épidémies de choléra ayant fait plus de 7 000 morts à Maurice, le secrétaire d’Etat pour les Colonies suggère que Rodrigues serve de station de quarantaine pour les malades. Mais le projet se révèle si coûteux qu’il est abandonné. Ce n’est que peu après qu’Edward Messiter, nouvellement nommé administrateur, fera aménager à Rodrigues le premier hôpital pour les pauvres et les marins en détresse.

Parfois appelée « la Cendrillon des Mascareignes », Rodrigues a longtemps été affectée par une sorte de «surdité » du pouvoir central mauricien lorsqu’il s’agit du développement de ses infrastructures. Depuis l’autonomie acquise en 2002, les Rodriguais ont pu davantage prendre leur vie politique en main, mais beaucoup dépend encore d’un gouvernement central mauricien qui peut sembler peu enclin à considérer pleinement les Rodriguais et leurs besoins.

On ne peut le nier : il existe, historiquement et jusqu’aujourd’hui, une forme de défiance des Rodriguais par rapport au pouvoir central à Maurice. C’est bien pour cela qu’il n’est pas indifférent de s’assurer que cette population n’ait pas le sentiment que les conditions entourant sa protection et sa santé sont outrepassées par Maurice avec une totale inconsidération.

Dans le même temps, la magistrate en charge de la Cour de Moka vient de rendre son rapport sur l’enquête préliminaire sur l’affaire Kistnen, en pointant du doigt de graves dysfonctionnements dans la façon dont l’enquête policière a été menée, concluant qu’il y a clairement homicide là où la police a conclu au suicide.

Dans le même temps, on s’achemine, dans deux jours, vers le recomptage des votes dans la circonscription n°19 pour les élections de novembre 2019, après que la Cour a conclu à des dysfonctionnements dans le processus de comptage.

Quand la contagion des dysfonctionnements gagne ainsi un pays, sa santé démocratique ne peut qu’inspirer les plus vives craintes…

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