(Tribune) Amendements à l’IBA Act : qui sème le vent récolte le tempo !

Jean-Luc Mootoosamy

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Difficile de désigner un gagnant. Ce qui est certain, c’est que le public, la radio et la démocratie ont perdu l’avantage dans une lutte qui va se poursuivre. Sur le champ de bataille de l’ « Independent Broadcasting Authority (Amendment) Bill » gisent quelques leçons apprises à considérer avant le prochain défi, celui de l’introduction, annoncée par voie de poisson-pilote, d’un “Conseil de presse”. La première leçon — consternante — c’est que la majorité gouvernementale et certains membres de l’opposition ont démontré une méconnaissance totale du fonctionnement d’une radio privée. Quand on pense que le gouvernement reproche à certaines antennes de dire n’importe quoi… Et n’allez surtout pas chercher un semblant d’espoir auprès de ceux qui ont exercé dans une radio et sont aujourd’hui parlementaires. Le “Hansard” de l’Assemblée nationale leur rappellera le niveau de leur expertise. Ce sera toujours utile pour un futur entretien d’embauche.

Et que dire du summing up du Premier ministre ? Que peut-on espérer quand le “Leader of the House” ose comparer la durée de permis d’opération d’une radio privée à celles de 16 autres secteurs incluant la « discharge of effluent in a wastewater system » ? Les rédacteurs de son discours se sont peut-être laissé inspirer par le « représentant du gouvernement », Dick Ng Sui Wa, qui s’est fait un prénom la veille du vote lorsque, dans une tirade délibérément surjouée, il a comparé le renouvellement de couverture d’assurance d’un véhicule à celle d’un permis de diffusion radiophonique. Pour le Premier ministre et le “représentant” de son gouvernement, la relation intime entre le public et une radio serait de même facture qu’avec un assureur ou une entreprise gérant les eaux usées…

En fait — et “personne n’est dupe”, pour paraphraser Pravind Kumar Jugnauth —, le but de l’opération n’était certainement pas de démontrer une connaissance du secteur audiovisuel, mais surtout de voter cet amendement, même s’il est inutile dans un environnement technologique dynamique où les modes de diffusion évoluent. Voter vite, faisant fi du ridicule, et s’assurant d’une absence de contestation dans les rangs gouvernementaux. Voter, sans prendre en considération la moindre proposition de personnes qui se sont exprimée et qui voient plus loin sur les conséquences de cet amendement, sans considérer le risque pour notre image à l’international. Et finalement, la cloche a sonné, comme un jingle de radio mal réglé, les députés se sont levés avec leurs reniements, le Speaker a fait sa besogne, la lame est tombée, la surexcitation de la majorité a dégouliné.

Cet amendement a certes réjoui le chef qui a rassuré une frange de l’électorat qu’il câline et qu’il ne veut surtout pas perdre. Il y a aussi d’autres heureux — ça reste entre nous, j’ai mes sources — dans l’opposition qui avaient tout intérêt à ce que Pravind Kumar Jugnauth commette une nouvelle grossière erreur. Mais ce qui étonne, c’est que le gouvernement prenne le pari d’un prix politique important à payer et un risque d’implosion si l’opposition commence à marquer trop de points. En effet, si vraiment Top FM est la radio menacée, ce n’est pas simplement à un média que cet amendement s’attaque, mais à son public. Et qui écoute Top FM ? Seulement des électeurs gagnés à la cause de l’opposition ? Il suffit de se déplacer dans les régions rurales, de s’attarder dans des boutiques, de discuter avec des citoyens pour voir que le profil de l’auditeur est multiple et touche toutes les couches sociales particulièrement en milieu rural.

Par ailleurs, cet amendement a aussi provoqué une union d’un soir qui n’était pas prévue, et certainement pas souhaitée. Quand les deux radios privées avec la plus forte audience cumulée du pays font antenne commune, c’est une réelle onde de choc, car c’est surtout l’union d’un public large, qui a d’ailleurs fait exploser les compteurs sur Facebook. C’est un public attentif, participatif, qui a su faire le tri entre des boîtes à tapage et des arguments polis.

Au final, lors des débats, le public aura entendu beaucoup d’arguments politiques, beaucoup d’informations légales et tout ceci n’est pas toujours digeste. Les Mauriciens mériteraient aujourd’hui de savoir comment se poursuivra leur relation avec les radios privées. Si une antenne commune de toutes les radios n’était pas possible, une déclaration commune, la publication d’un engagement commun des radios privées indépendantes serait aujourd’hui importante pour le public. Et ce serait à l’intention des déçus comme des heureux qui ont toute leur place toujours toute leur place sur ces antennes. Les radios peuvent faire confiance aux auditeurs. Et s’il faut le répéter, seul le public a droit de vie et de mort sur une radio. Ce public est aussi constitué d’électeurs.

La liberté d’expression à Maurice a su s’adapter aux caprices des princes. Elle a le temps en sa faveur. Il y a 30 ans, le rappeur français Mc Solaar offrait une formule qui sied aujourd’hui parfaitement au contexte mauricien. Ce serait bien d’y réfléchir : qui sème le vent récolte le tempo !

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