VIDUR RAMDIN, directeur de communications du Fonds de Solidarité Africain : « Les jeunes Mauriciens ne doivent pas avoir peur d’aller en Afrique »

Notre invité de cette semaine est un Mauricien qui est directeur de communication et de marketing du Fonds de Solidarité Africain (FSA), basé au Niger. Dans l’interview qui suit, il revient sur son parcours, explique la raison d’être du FSA et partage son expérience de jeune Mauricien travaillant en Afrique.
Commençons par les présentations : qui êtes-vous, Vidhur Ramdin ?
— Un Mauricien, né et grandi à Montagne-Longue, un village du nord de l’île. J’ai fait mes études d’abord à l’école primaire, puis au collège Manrakhan, tous deux situés dans mon village. Puis, pour le HSC, je suis allé au MGI avant de m’inscrire à l’Institut de Technologie, de l’université de Maurice, pour mon premier degré sur le tourisme et le management hôtelier. Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai été embauché par le collège Universal de Rivière-du-Rempart en 2006 comme enseignant tout en suivant des cours à l’Institut de Technologie pour une maîtrise en tourisme et marketing. Par la suite, j’ai été embauché comme chef de département au collège Friendship, en 2008, tout en continuant à faire, en parallèle, mon MBA à distance avec l’université de Sikkim, en Inde. Après l’obtention de mon masters, j’ai été embauché, en 2011, par la Banque Mondiale pour gérer un programme concernant 600 PME à Maurice et à Rodrigues.
Donc, il ne faut pas obligatoirement vivre dans les régions urbaines et fréquenter des star schools et star colleges pour faire de bonnes études et obtenir un emploi intéressant ! En quoi consistait le programme de la Banque Mondiale sur les PME locales ?
—Il consistait à faire une évaluation sur la résilience des PME mauriciennes après la crise économique mondiale des années 2000. J’ai étudié le sujet et écrit plusieurs rapports dessus pendant deux ans avant d’être embauché par l’université Amity, de l’Inde, comme responsable de communication et de marketing pour sa branche mauricienne et dans la région, et en même temps j’ai donné des cours sur le tourisme à l’université de Maurice, au MIE, entre autres. Et puis, en mai 2015, je suis tombé sur une offre d’emploi dansWeek-Enddu Fonds de Solidarité Africain qui recrutait un directeur en communication et marketing, le job que j’exerçais déjà. Je me suis renseigné sur cet organisme et j’ai soumis ma candidature et on m’a téléphoné pour une interview. J’ai étésélectionné pour un examen et une interview à Niamey au Niger. Quand j’ai eu cet appel, j’ai eu peur.
Pourquoi? Vous ne connaissiez pas l’Afrique ?
— Comme beaucoup de Mauriciens, je ne connaissais du continent africain que l’Afrique du Sud et quelques pays anglophones de l’Ouest, pas l’Est et ses pays majoritairement francophones. J’ai eu d’autant plus peur parce que quand j’ai lu un rapport des Nations unies, j’ai découvert que le Niger était un des pays les plus pauvres d’Afrique, où l’espérance de vie ne dépassait pas 55 ans, avec des infrastructures primaires et un niveau d’éducation très bas, comme l’accès à la santé et un très fort taux de corruption. Je me suis d’abord demandé pourquoi j’allais quitter une bonne situation à Maurice pour aller faire un véritable saut dans l’inconnu, puis je me suis dit:pourquoi ne pas essayer? J’ai fait vingt heures de voyage pour arriver à Niamey, la capitale, et découvert le Niger, pays d’Afrique en plein désert du Sahel enclavé entre l’Algérie, la Libye, le Tchad, le Nigéria, le Bénin, le Burkina Faso et le Mali, avec une population à 98 % musulmane. J’ai subi un véritable choc géographique et culturel et découvert un pays totalement différent de Maurice à plusieurs niveaux. Nous sommes une petite île et c’est un des plus grands pays d’Afrique. Nous sommes anglophones et le Niger est un pays francophone où tout est en français. Je suis allé passer l’examen et l’interview et le lendemain j’ai été informé que ma candidature avait été retenue. Je suis rentré à Maurice, ai négocié le package et puis j’ai dû convaincre mon épouse et mes parents.
Ils n’étaient pas d’accord ?
— Ils étaient très réticents. Vous savez, je viens d’un petit village, j’avais un bon emploi à Maurice que j’allais quitter pour aller travailler dans un pays d’Afrique, dont ils n’avaient jamais entendu parler. Puis je me suis renseigné auprès du représentant local du FSA, qui travaille au ministère des Finances, j’ai beaucoup discuté avec mon épouse et mes parents et finalement j’ai pris la décision d’accepter la proposition, après avoir fait des contrepropositions sur le package. Mes propositions ont été acceptées et j’ai pris mon poste en février de cette année. J’ai également découvert que la température — il n’y a qu’une saison au Niger : l’été — peut atteindre les 50 degrés et avoir des répercussions directes sur le rythme de la vie et du travail.
Vous avez mieux supporté le choc culturel pour votre deuxième séjour au Niger ?
— Oui. J’ai été aidé et soutenu par l’équipe du Fonds qui compte desfonctionnaires venant de différents pays d’Afrique et aussi par la communauté des expatriés qui travaillent au Niger. Petit à petit, nous avons créé le département de communication et de marketing, commencé à faire des programmes, mis au point et publié une newsletteren français et en anglais, ce qui est nouveau pour l’institution. D’ailleurs, je crois pouvoir dire que le fait que je suis bilingue a été un avantage pour moi.
Qu’est-ce que ce Fonds de Solidarité Africain, dont on ne parle pas beaucoup à Maurice, comme du Niger d’ailleurs?
— Le Fonds de Solidarité Africain a été créé par la France en 1975 pour aider les pays membres à se développer économiquement dans tous les secteurs et il est entré en opération en 1979. Les pays membres sont Le Bénin, le Burkina Faso, le Burundi, le Centreafrique, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Guinée-Bissau, le Mali, l’île Maurice, le Rwanda, le Sénégal et le Tchad.
Comment se fait-il que Maurice soit membre du FSA, mais pas Madagascar ou les Comores qui sont également des pays francophones et qui ont besoin de soutien économique pour leur développement ?
— Ce sont des considérations géopolitiques qui ne relèvent pas de ma compétence. Tout ce que je peux vous dire, c’est que Maurice fait partie du fonds depuis ses débuts. Il est possible que le FSA n’ait pas beaucoup de membres du fait qu’ils doivent payer une quotité tous les ans. En tant qu’Etat, Maurice a bénéficié de l’aide du FSA en deux occasions : pour la construction du Bulk Terminal,en 1982, et pour des projets NHDC, en 2002. Le FSA est une agence multilatérale de garantie, reconnu par la Banque centrale de Maurice et son produit phare c’est d’aider les PME à réaliser leurs projets. Je vous donne un exemple : un entrepreneur qui veut, disons agrandir son entreprise, doit donner une garantie aux banques pour obtenir un prêt. Si le FSA trouve que le projet est valable, il peut le garantir auprès de la banque, et ce pour des montants dépassant le million d’euros.
Qu’est-ce que les PME mauriciennes doivent faire pour avoir accès au FSA ?
— Tout organisme ou particulier d’un des pays membres peuvent avoir accès au FSA en remplissant les conditions bien évidemment. Les pays membres utilisent le FSA pour leurs projets de développement et bénéficient, comme les particuliers, d’un très faible taux d’intérêt qui ne dépasse pas les 2 %. Nous travaillons avec les banques des 14 Etats membres et pouvons trouver des banques pour soutenir des projets de développement. Les projets sont étudiés par nos différents départements avant d’être envoyés au conseil d’administration. Ce sont des avantages que les PME mauriciennes devraient utiliser. Elles n’ont qu’à envoyer leurbusiness plan sur notre site où ils seront transmis aux départements concernés pour analyse par nos experts et si le projet est viable le fonds peut chercher les garanties et les banques pour le faire démarrer.
Pourquoi est-ce que les entrepreneurs mauriciens n’ont pas fait appel à ce fonds ?
— A cause d’un manque de communication du FSA lui-même et, possiblement, des autorités mauriciennes. Toujours est-il que le FSA est mal connu, ce qui explique la création de son département de communication et de marketing. Pour les entreprises et les entrepreneurs mauriciens qui regardent du côté de l’Afrique, le FSA peut serévéler une porte d’entrée importante dans leur démarche. Je crois que l’attitude de Maurice envers le FSA est en train de changer. C’est pour que cette raison que lors de la dernière assemblée générale, tenue au Sénégal en juillet, Maurice, à travers le représentant du ministre des Finances a invité le FSA à tenir sa prochaine conférence de directeurs à Port-Louis en novembre prochain. Les négociations pour la tenue de cette réunion à Maurice sont en très bonne voie. Maurice semble décide à utiliser les ressources du FSA. Pour plus de renseignements il suffit de taper l’adresse suivante sur internet : www.fondsolidariteafricain.org.
Revenons à votre installation à Niamey. Vous découvrez donc ce qu’est un pays africain …
— En arrivant, j’ai découvert l’Afrique, mais aussi ses différences avec Maurice. J’ai découvert que nous avons la chance d’être un petit pays, une île avec un climat tempéré, avec un bon niveau économique, un système éducatif et de santé qui fonctionne bien, même si les Mauriciens les critiquent. Au Niger, il fait 50 degrés, le système de santé et d’éducation sont à des années lumière de ce que nous connaissons à Maurice. Je me suis fait des amis dans le monde des expatriés, notamment avec le personnel des ambassades de l’Inde, du Pakistan, de l’Allemagne.
 Et les Nigériens, vous ne les rencontrez pas ? Ce ne serait pas une attitude un peu colonialiste ?
— Pas du tout. Disons qu’au départ j’avais une certaine frayeur par rapport à ce que j’avais lu sur le pays. Puis je me suis installé etj’ai rencontré les Nigériens avec qui je travaille, nous avons noué des liens et ils m’ont expliqué comment vivre dans leur pays, comment faire pour résister à la chaleur, pour s’alimenter. Pour ma part, le samedi je donne des cours d’anglais à des jeunes. Mais je dois reconnaître que l’adaptation a pris du temps. Le climat est différent, le pays est immense, la culture est différente, c’est un des plus grands pays d’Afrique, mais un des plus pauvres aussi. Et paradoxalement, c’est un pays pauvre dont le sous-sol est très riche. Il a de l’uranium, du gaz naturel, de l’or, du pétrole. En travaillant au Niger, j’ai le sentiment d’aider à construire l’Afrique de demain, puisque la mission fondamentale du FSA est d’aider ses quatorze Etats membres à se développer.
Quel est le principal problème économique du Niger ?
— Le manque d’éducation, ou son faible niveau, est, à mon sens, responsable de la situation économique, tout comme le problème de la santé au Niger. Et puis au niveau des affaires il y a une certaine lenteur provoquée par la paperasse, les procédures, mais les choses sont en train de changer, un peu lentement comparé à Maurice, mais elles changent. Le franc CFA qui est utilisé par plusieurs pays d’Afrique donne une certaine stabilité. Il y a aussi la corruption qui, selon le dernier rapport des Nations unies, est très élevée. Au niveau politique, après beaucoup de coups d’Etats et de changements de régime dans le passé, la situation semble s’être stabilisée.
Nous connaissons très peu le Niger, mais est-ce que les Nigériens connaissent Maurice ?
— Oui, ils connaissent Maurice à travers son tourisme et surtout ses sportifs grâce aux Jeux d’Afrique. Comme à Maurice les Nigériens reçoivent les chaînes de télévision satellitaires qui retransmettent les sports et les jeux d’Afrique de football.
On dit à Maurice qu’il faut aller en Afrique et en même temps qu’il est trop compliqué pour le faire. Lequel de ces deux discours est exact ?
— Les deux. C’est un continent qui connaît un taux de croissance de 6 %, un PIB en augmentation et beaucoup de secteurs prometteurs. C’est compliqué par un énorme manque d’information, on ne sait pas où en trouver. Comment et vers quel pays exporter les produits mauriciens, avec quelles entreprises faire des alliances en tenant compte de leurs spécificités et de leurs caractéristiques tant géographique, politique qu’économique ? Il existe beaucoup d’opportunités, mais il faut savoir les rechercher pour en profiter. Il faut développer l’information sur les pays africains, pas seulement ceux qui sont membres du FSA, mais l’ensemble des pays du continent, leurs institutions, leurs entreprises, leurs besoins en main-d’oeuvre et leurs intérêts pour des partenariats.
Pour vous, et pour reprendre un slogan connu, l’Afrique est le continent de l’avenir ?
— Définitivement. En tant qu’employé du FSA, j’ai eu l’occasion de me rendre dans plusieurs pays du continent, dont le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Maroc, entre autres. Ce sont des pays qui avancent un peu plus vite que d’autres, mais je suis convaincu que dans dix ans les autres pays auront rattrapé leur retard et que l’Afrique sera transformée à tous les niveaux. Déjà la politique aérienne africaine a été modernisée et les déplacements entre pays deviennent plus faciles ou, plutôt, moins compliqués. La Chine, l’Inde et le Japon sont impliqués dans différents projets de développement, dont ceux des infrastructures et de la technologie de pointe. Et je ne mentionne pas les compagnies américaines et européennes qui sontdéjà sur le terrain. Au niveau économique, « the place to be is Africa ». Les Mauriciens ont leur place dans ce continent en mutation : il faut qu’ils dépassent le sentiment de peur de l’inconnu — que j’ai ressenti —, prennent des risques et se lancent. L’Afrique a besoin de cadres formés dans pratiquement tous les secteurs, dont certains où Maurice s’est déjà distingué, comme le tourisme, l’hôtellerie ou les technologies informatiques.
Ces taux de croissance, ces PIB, ces opportunités que vous détaillez sont-ils accessibles à tous les Africains ?
— Le partage équitable des richesses est un gros problème de l’Afrique. L’extrême pauvreté et l’extrême richesse existent, mais les choses sont en train de changer, même si cela prendra du temps.
Le Niger est-il affecté par cette maladie mauricienne qu’on n’arrive pas à éradiquer : le communalisme ?
— Non, parce que là-bas, comme je vous l’ai déjà dit, 98 % de la population a la même religion, l’Islam. Cette appartenance religieuse plus que majoritaire donne aux Nigériens un fort sentiment d’appartenance à leur pays. Et puis le fait que la majorité des habitants est pauvre augmente, à mon avis, ce sentiment de cohésion.
Le Niger est un pays musulman, comment vit-on l’extrémisme islamique à Niamey ?
— Ilfaut savoir que Boko Haram est né au Niger avant d’être exporté vers d’autres pays au-delà des frontières. Depuis que je suis au Niger, il y a eu des actes de terrorisme isolés dans le pays, mais aucun dans la capitale où la présence de l’armée est très visible. Tous les Nigériens que j’ai pu rencontrer se disent musulmans avec fierté et ajoutent que le terrorisme ne fait pas partie de leur religion. Ils condamnent sans réserve le terrorisme islamique sous toutes ses formes.
Combien de temps allez-vous rester au Niger ?
— J’ai un contrat à durée indéterminé et je pourrai travailler jusqu’à l’âge de la retraite. J’ai déjà eu des propositions de certaines institutions internationales. Mais pour le moment, je vais me consacrer à mon travail au FSA et réaliser une série de projets, dont certains concernent l’île Maurice, avant d’envisager de changer de métier ou d’employeur.
Et quand allez-vous rentrer à Maurice ?
— Je n’ai pas l’intention de considérer cette possibilité pour le moment.
Pourquoi ?
— J’ai 33 ans, j’ai fait de bonnes études, j’ai des diplômes et une expérience professionnelle. Pour me permettre d’atteindre ce niveau, mes parents se sont sacrifiés. Est-ce que vous pensez qu’avec mes compétences, je pourrais obtenir un travail du même niveau que celui que j’ai au FSA à Maurice, sans un backing ethnique, politique et culturel ? Je ne le crois pas et c’est pour cette raison que je n’envisage pas de revenir à Maurice. Pour le moment.
Est-ce que ce n’est pas désespérant d’entendre un jeune de 33 ans, formé, dire qu’il n’envisage pas de revenir à Maurice ? Notre pays n’a-t-il pas besoin de la contribution de ses citoyens comme vous pour avancer ?
— Je suis fier d’être Mauricien et de voir le quadricolore flotter dans le ciel du Niger. Mais je connais aussi les réalités de mon pays. Je sais que malheureusement ici, on ne peut pas devenir directeur d’un département à 33 ans sansbacking, sans soutien. Peut-être que les choses changeront, et je le souhaite, et là je pourrais envisager de revenir à Maurice.
Comment allons-nous construire notre pays si les gens comme vous disent qu’ils pourraient, peut-être, revenir un jour ?
— Il faut que mon pays et son système changent pour me donner la possibilité d’utiliser mes compétences et mon expérience afin de l’aider à se construire, à s’améliorer. Sans cette opportunité, comment est-ce que je pourrais aider à construire le pays ?
Vous êtes de nombreux jeunes Mauriciens à penser comme ça ?
— Pendant dix ans, j’ai donné des cours dans les différentes institutions éducatives du pays et j’ai eu comme élèves des jeunes universitaires. Je sais qu’il est difficile de trouver un emploi qui réponde à leurs compétences. C’est pour cette raison que je leur dis : si vous ne trouvez pas dutravail à Maurice, n’ayez pas peur de relever le défi et de prendre le risque de venir en Afrique. Nous, Mauriciens, sommes différents et nous pouvons faire la différence en Afrique. Ici, nous avons la compétence et la formation, mais pas les opportunités. Vous croyez que si j’avais l’opportunité d’avoir un emploi équivalant à celui que j’ai à la FSA, j’aurais quitté Maurice et ma famille pour aller travailler au Niger ?

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