Maurice a franchi une nouvelle étape vers l’ouverture totale des frontières avec ce qu’on qualifie dans les milieux gouvernementaux d’ouverture maîtrisée. La pandémie de COVID-19 nous a permis de mieux comprendre la méthode Jugnauth, qui plaît à certaines personnes et en exaspèrent d’autres. Il s’agit d’avancer par étapes. “Tipa, tipa”, méthode qui consiste à éviter, à tort ou à raison, de prendre des décisions brusques. Nous l’avons expérimentée avec la levée de l’état d’urgence sanitaire, qui a été effectuée graduellement, mais aussi lors du naufrage du Wakashio, à la suite duquel le gouvernement avait pris tout son temps pour réagir, provoquant l’exaspération de toute la population.
Cette fois, la même méthode est appliquée pour l’ouverture des frontières. Il est vrai qu’à ce sujet, Pravind Jugnauth se retrouve entre le marteau et l’enclume. D’un côté, la population a la frousse d’une deuxième vague de la pandémie, et de l’autre, les réalités économiques sont telles que le gouvernement ne peut opérer en autarcie. D’un côté, donc, il doit écouter la population, car un retour au confinement, comme c’est le cas dans plusieurs pays européens, dont la France, lui serait fatal. Le gouvernement sait que sa principale capitalisation politique, et pas des moindres, est le maintien pendant plusieurs mois de Maurice comme pays “COVID Free”. Aussi, le moindre faux pas ramènerait le compteur à zéro pour le pays.
De l’autre côté, les opérateurs économiques, en général, sont à bout de souffle. Ils sont asphyxiés par la fermeture des frontières durant ces sept derniers mois. Entre mars dernier et début octobre, Maurice a en effet connu les pires moments de l’histoire moderne. Les mois de mars, avril et mai, soit au plus fort de la pandémie, ont été particulièrement éprouvants pour toute la population, et pour l’économie du pays en général. Le bilan économique et social pour cette période est d’ailleurs catastrophique. La croissance économique a accusé une baisse de l’ordre de 13% et des milliers de travailleurs se sont retrouvés sur le carreau et sont au chômage. Certains parlent ainsi de 70 000 chômeurs, et d’autres de 100 000. Sans compter les pertes de revenus de l’ordre de Rs 58 milliards, faute de revenus dans des secteurs clés comme le tourisme et l’exportation, mais aussi les effets collatéraux sur d’autres secteurs de l’économie, à l’instar du commerce et de la restauration.
Le gouvernement use de psychologie pour préparer la population à une évitable ouverture. « Frontier pa kapav res ferme eternelman », lance ainsi le Premier ministre. Alors que ses multiples porte-parole font comprendre que les autorités ont une meilleure compréhension du coronavirus et qu’un “worse case scenario” est déjà prêt, tout laisse croire qu’une fois l’expérience de l’ouverture maîtrisée fin octobre, une ouverture contrôlée à la manière de l’Afrique du Sud sera proposée, en attendant que la situation s’améliore dans le monde.
Pour le moment, ce sont surtout les ressortissants mauriciens et les étrangers qui résident à Maurice, en sus d’un certain nombre de touristes courageux disposés à passer 15 jours en quarantaine, qui pourront rentrer au pays, pour essayer ensuite d’appliquer un protocole plus flexible pour accueillir autant de touristes que possible en novembre et décembre. Il semblerait que la durée maximum de six mois pour un visa de séjour à Maurice pourrait être étendue par le gouvernement.
Durant ce dernier trimestre, l’attention sera retenue d’une part par la politique avec la reprise du Parlement dans un mois. L’opposition pouffe d’impatience pour interpeller le gouvernement sur de nombreux dossiers importants, notamment dans le cadre de l’entrée en vigueur de la présence de Maurice sur la liste des juridictions à hauts risques dans le secteur financier par la Commission européenne, mais aussi sur le naufrage du Wakashio, l’accident du Tug Sir Gaëtan et toute une série de scandales ayant marqué le pays ces dernières semaines.
On ne sait encore sous quelle configuration l’opposition se présentera au Parlement et le sort qui sera réservé à la proposition faite par le MMM la semaine dernière de conclure une alliance PTr-MMM-PMSD. Les principaux concernés n’ont en effet pas réagi durant la semaine. Le point de vue du PMSD et du PTr est cependant attendu avec intérêt à l’issue de la réunion triangulaire prévue aujourd’hui.
Jean Marc Poché