Noyades et disparitions en série en mer : Semaine noire dans nos eaux

Quatre disparus, Agnès Descombes, Damien Deruisseau, Teeshal Conhye et Sadeseven Thandrayen, depuis dimanche Après Jean Rabot, Doorgesh Conhye et Giles Philip Ward morts noyés dimanche, le corps d’un jeune adolescent repêché hier à “Bassin Loulou” à Pailles

La semaine a été dramatique à Maurice. En l’espace de sept jours, cinq noyades et trois disparitions en mer ont été enregistrées. La série noire a démarré dimanche dernier. En fin de cette journée, l’on comptait trois noyés — Jean Rabot, 70 ans, Doorgesh Conhye, 29 ans, et un touriste, Giles Philip Ward, 55 ans, et trois disparus — Agnès Descombres, 27 ans, Damien Deruisseau, 28 ans, et Kinal Conhye, 18 ans. Et au courant de la semaine, le bilan s’est alourdi. Sadaseven Thandroyen, vu en difficulté dans l’eau à Pomponette vendredi, est porté disparu. Hier, le corps d’un adolescent de 15 ans a été repêché de “Bassin Loulou” à Pailles. Des drames qui ébranlent des familles et suscitent nombre d’interrogations. Ces drames auraient-ils pu être évités ? Les plages étaient-elles surveillées ? Y avait-il des panneaux ou des barrières alors que la mer était déchaînée ?

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Une mer agitée, des vents forts, une alerte météo, des interdictions parfois bravées et des consignes souvent non respectées… En sept jours, ce sont pas moins de huit personnes dont les corps ont été retrouvés sans vie ou qui sont toujours portés disparus dans les eaux du pays. Jeudi dernier, à Savinia, Le Souffleur, c’est à une mer démontée que nous avons fait face. Des houles de deux mètres viennent s’écraser sur les rochers. Le spectacle est impressionnant. Mais l’atmosphère est lourde. Sur place, un petit groupe de personnes. Elles scrutent la mer. Certaines un peu plus près des rochers, d’autres de l’autre côté des rochers. Mais ce n’est pas le spectacle qui les fascine. Au contraire. Elles s’attardent sur chaque point, chaque petit détail qui pourrait donner signe de vie. Ces personnes, ce sont les proches de Damien Deruisseau et Agnès Descombes, qui ont disparu depuis dimanche.

L’espoir des proches
Depuis une semaine, pour les proches de ces deux jeunes, le temps s’est arrêté. La disparition des jeunes amoureux qui étaient partis camper avec des amis a plongé leurs familles et leurs proches dans une terrible angoisse. Depuis, chaque jour, ils reviennent sur place et scrutent l’océan et gardent espoir. Ils se passent les jumelles pour que chacun puisse regarder de plus près. Pas un bruit dans l’air. Tous sont plongés dans la réflexion. Lorsqu’on se parlent, on chuchote. Un peu plus loin, une jeune fille enlace une femme et jette sa tête sur son épaule. Les larmes coulent. Plus loin encore, sur un rocher, une autre jeune femme a la tête posée sur ses deux genoux. Elle est anéantie. Personne ne souhaite témoigner. La douleur et l’angoisse sont trop palpables. C’est aussi l’incompréhension. Mais l’espoir est là. “Dites à vos lecteurs de prier pour nous”, nous ont demandé les parents des deux jeunes disparus.

« Pas facile de plonger »
Des opérations de recherches se poursuivent. Les gardes-côtes indiquent qu’ils sont sur place tous les jours depuis le drame de dimanche. “Mais la mer est démontée. Ce n’est pas facile de plonger”. “N’êtes-vous pas équipés ?” demande-t-on. “Nous ne pouvons pas plonger dans des vagues aussi hautes. Ces vagues font plus de deux mètres. Pa pou kapav”, disent les éléments de la National Coast Guard. Cependant, le bateau des gardes-côtes effectue plusieurs sorties par jour pour scruter les eaux proches de Savinia. Il ne peut toutefois pas se rapprocher des rochers ici-bas. Encore une fois, parce que la mer est trop démontée. Les gardes-côtes attendent qu’elle se calme.

“Nou pou plonze kouma nou gagn enn lokazion”, disent-ils. Il y a également l’hélicoptère ainsi que l’avion de la police qui effectue une série de survols pendant la journée, alors que des membres de la police régulière assurent de temps à autre des patrouilles sur les plans de la région sud au cas où les vagues auraient poussé les victimes vers le rivage. De temps à autre, les gardes-côtes s’entretiennent avec les familles de Damien Deruisseau et Agnès Descombes. Mais jusqu’aujourd’hui, pas de nouvelles. Reste que pour ces familles, la foi leur permet d’espérer. Sur les réseaux sociaux, un appel a été lancé aux bénévoles, à tous ceux qui ont des formations, de l’expérience, des équipements de recherche, et des permis de bateaux, drones etc., qui peuvent aider, en toute sécurité, à sillonner les côtes, incluant les personnes de bonne volonté prêtes à parcourir des plages à pied… pour aider les familles à retrouver Damien et Agnès. Le temps passe vite, mais l’espoir de les retrouver demeure…

Chez les Conhye, l’atmosphère est tout aussi lourde. D’autant que la famille a procédé lundi dernier aux funérailles de Doorgesh, 29 ans. Si le corps de ce jeune employé d’hôtel qui était parti faire une partie de pêche à l’Îlot Sancho dans le sud de l’île dimanche avec des amis a été retrouvé, celui de son petit frère Teeshal manque toujours. Les recherches se poursuivent, assurent la police et les gardes-côtes. Cependant, jeudi, lorsque nous nous sommes rendus également à l’îlot Sancho, l’ambiance contrastait avec celle de la plage de Savinia. À l’îlot Sanchot, pas de traces des gardes-côtes. Mais de nombreux pique-niqueurs, dont beaucoup d’enfants et de personnes âgées. Certains avaient d’ailleurs, face à la marée basse, traversé les rochers pour grimper sur l’île. Cela, alors que derrière, la mer était toujours houleuse.

Si nous n’avons croisé aucun garde-côte ou policier, l’hélicoptère de la police effectuait des patrouilles dans l’air. L’avion de la police, lui, passe dans la région deux fois par jour pour scruter la mer. Selon les gardes-côtes, “trouv extra bien depi avion-la”. Reste qu’à aujourd’hui, comme pour Damie Deruiseau et Agnès Descombes, aucune trace du jeune Teeshal Conhye.

Les plages du sud
Outre ces trois disparus de dimanche, les plages du sud ont fait un autre disparu jeudi. Il s’agit de Sadaseven Thandroyen, 73 ans, qui a disparu à Pomponette. C’est un pêcheur habitant la localité qui a indiqué avoir vu un homme se jeter à l’eau et a alerté la police. Les officiers de la National Coast Guard ont effectué des recherches, mais n’ont rien trouvé. Une opération a été montée et l’hélicoptère de la police déployé pour rechercher cet habitant de Beau-Bassin. D’autant qu’en procédant à la vérification des lieux, la police a constaté la présence d’une voiture inoccupée, le permis et la carte d’identité du propriétaire s’y trouvaient. Une paire de savates se trouvaient aussi sur la plage. La famille du septuagénaire a confirmé qu’il est sorti en voiture. Si certains évoquent la thèse du suicide, ses proches sont catégoriques, ils n’y croient pas. Sadaseven Thandrayen était en bonne santé et n’aurait, selon eux, aucun problème avec qui que ce soit. À hier, les recherches se poursuivaient sur place.

Dimanche dernier, la mer n’a pas fait de cadeau. Jean Alex Rabot, âgé de 71 ans, a connu une fin tragique. Cet habitant de Providence avait fait une sortie en famille à la plage de Belle-Mare. Il se serait effondré dans la mer suite à un malaise. Les gardes-côtes alertés l’ont sorti de l’eau, mais en dépit des soins prodigués, il avait rendu l’âme. À Flic en Flac, toujours dimanche, c’est une commerçante qui a fait la découverte d’un corps inconscient sur la place. Les gardes-côtes alertés l’ont conduit à la clinique, où son décès a été constaté. Selon le témoignage d’un touriste, la victime, Giles Philip Ward, un ressortissant britannique âgé de 55 ans, s’est retrouvé en difficulté en mer. Il a été secouru par ce touriste qui l’a mis sur son bateau pour le reconduire à terre et lui prodiguer les premiers soins en vain.

En fin de semaine, le bilan des noyades s’est alourdi. Le dernier fait en date remonte à hier, où le corps d’un adolescent de 15 ans a été repêché, cette fois à “Bassin Loulou” à Pailles. La mère du jeune homme avait alerté la police de sa disparition vendredi soir, car l’habitant de Pailles n’avait plus donné signe de vie depuis hier après-midi. Une autopsie était prévue hier pour déterminer la cause exacte de son décès qui vient prolonger la liste des victimes.Le PM s’appuie sur les alertes de la météo
28 noyades depuis janvier excluant les derniers en date

Le nouveau leader de l’opposition, Shakeel Mohamed, a sans doute été sensible aux récents drames qui ont touché les proches des victimes et des disparus en mer le week-end dernier en venant avec sa première Private Notice Question (PNQ) axée sur le Law & Order. À mardi pourtant, le nombre de victimes s’élevait à trois seulement pour dimanche et trois disparus. Mais avec sa PNQ, Shakeel Mohamed a contraint le Premier ministre, Pravind Jugnauth, de reconnaître les failles du système de surveillance sur les plages.

D’abord, en réponse à la PNQ de Shakeel Mohamed, plus particulièrement concernant le relevé des noyades entre le 1er janvier à ce jour, Pravind Jugnauth a révélé que 28 cas de noyade ont été enregistrés depuis le début de l’année. Ce qui exclut les drames de cette semaine cependant. En guise d’explications, le Premier ministre a évoqué la question de la sécurité en mer, surtout du fait des dangers liés au changement climatique. Mais si Pravind Jugnauth trouve dommage que plusieurs personnes aient perdu la vie en mer, il soutient que de mesures ont été prises pour prévenir de tels drames. Entre autres, a-t-il souligné, les avis de la météo s’agissant des grosses houles à Maurice, Rodrigues et Agalega. Pour appuyer ses dires, il cite l’avis de fortes houles émise le 13 avril pour la période du 13 au 16 avril.

Reste que sur les plages, en dépit des affirmations du chef du gouvernement à l’effet que des dispositions ont été prises par les gardes-côtes, de nombreuses personnes étaient à la mer, et certaines dans l’eau. Shakeel Mohamed a aussi contraint le Premier ministre de reconnaître que jusqu’aujourd’hui, l’annonce faite depuis 2018 par l’ancien Premier ministre sir Anerood Jugnauth pour la construction de tours de surveillance n’a toujours pas été concrétise. Assez décontenancé par ce rappel des faits, Pravind Jugnauth a tenté de répliquer en insistant sur le fait que le gouvernement avait fait « beaucoup plus » en introduisant des avertissements de grosses houles, et qui n’existaient pas auparavant. Il devait aussi avancer que “chacun doit assumer ses responsabilités”. Toujours est-il que les alertes météo ne suffisent pas. Surtout que nombre de jeunes n’écoutent pas la radio. Et passent à travers les annonces sur les réseaux sociaux.

Et si le Premier ministre, à d’autres interpellations supplémentaires, a donné la garantie que des dispositions sont prises dans les endroits à risque, force est de constater, lui a fait ressortir le leader de l’opposition, qu’à Savinia, Le Soufleur où des jeunes sont portés disparus, il n’y avait aucune indication concernant les dangers de baignade dans cette région. Encore une fois, pour noyer le poisson, Pravind Jugnauth a rétorqué que “chacun doit assumer ses responsabilités et tenir compte fes avertissements émis par les services météorologiques”. Et il en a profité pour alléguer que le leader de l’opposition s’engageait, à travers ces récents drames, dans la voie des cheap politics sur le dos des familles ayant perdu des proches.

Il n’empêche qu’il faut penser à élaborer un dispositif sur place qui sera un moyen de plus de sauver des vies humaines plutôt que de se réfugier derrière des méthodes qui ne sont pas suffisantes et ne marchent pas…

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