30 ans de militantisme — Ali Jookhun : « Le chantier du respect des droits des handicapés est énorme »

« L’encadrement et l’accompagnement des parents d’enfants en situation de handicap à Maurice sont inexistants ! »

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Il attend impatiemment la présentation du Disability Bill au Parlement. Entre-temps, lui ne reste pas les bras croisés. Depuis 1993, quand naissent Umraana et Irfaana, ses jumelles, aujourd’hui décédées, Ali Jookhun prend son baton de pèlerin et entreprend la dure besogne de militer pour le respect des droits des personnes handicapées. Une tâche ardue et rude qui l’amène à se frayer sa place au sein des associations et des comités nationaux et internationaux. Mais il n’est pas de ceux à se taire face aux injustices. Il marque cette semaine ses 30 ans d’engagement en faveur des droits des personnes en situation de handicap.

« Cela fait des années qu’on nous promet le Disability Bill. Jusqu’ici, rien. La ministre Fazila Jeewa-Daureeawoo a laissé entendre que ce sera chose faite à la rentrée parlementaire. Mais entre-temps, que fait-on ? Restons-nous les bras croisés ? » demande Ali Jookhun. La combativité, c’est ce qui a forgé la carapace de cet homme. « Mon rôle de travailleur social, de militant pour le respect des droits des personnes handicapées, qu’il soient des enfants, des ados, des adultes ou des vieilles personnes, c’est de dénoncer les injustices. Je salue également les progrès et les avancées, quand il y en a. Je ne suis pas négatif et nihiliste » , affirme-t-il.

Cependant, nuance-t-il : « je ne peux pas me taire et faire comme si tout allait bien dans le meilleur des mondes quand il y a des choses qui ne vont pas. Ce n’est pas ma nature. Chacun son mandat. Le mien, en tant qu’activiste et militant des droits des personnes en situation de handicap, c’est de montrer la voie, de participer à l’élaboration d’une meilleure société où tout le monde, les handicapés comme les autres, se sent en totale sécurité et confort. »

Celui qui mène ce combat depuis 30 ans « bénévolement, sans prendre un sou », poursuit: « pour qu’à Maurice nos personnes vivant en situation de handicap soient respectées et qu’elles puissent vivre décemment, il y a un chantier énorme qui nous attend. Il y va de la volonté politique, tout comme il faut un engagement citoyen massif. »

Membre fondateur et président de l’association U-Link, vice-président de la Down Syndrome Association et membre de la Special Education Needs Authority (SENA), Ali Jookhun ne s’attend nullement à accueillir des enfants handicapés. Quand naissent Umraana et Irfaana, ses jumelles, en 1993, elles sont atteintes d’une infirmité cérébrale. « La première et peut-être plus importante étape dans la vie des parents d’enfants handicapés, c’est l’acceptation. Comprendre et accepter que nos enfants ne soient pas comme les autres. Qu’ils sont venus au monde avec cette particularité. Que ce soit le Down Syndrome, l’autisme ou autre chose. Cette étape d’acceptation donne de la force aux parents et les armes pour affronter ce qui les attend », explique-t-il.

Toutefois, reconnaît-il, à Maurice, rien ne prépare les parents à pareil choc. « Pas de Counselling, pas d’écoute ni de dialogue, pas de partage, au niveau des services de santé, quand les parents sont en phase d’attendre un enfant. C’est là, pourtant, qu’un premier travail doit absolument être fait. »

« Pourquoi tant de discriminations ? »

Aucun parent, souligne-t-il, ne rejettera son enfant. « L’encadrement et l’accompagnement des parents d’enfants handicapés sont primordiaux. Outre la phase grossesse et naissance, le plus dur est à venir. Sans aide et soutien, sans une structure avec un personnel formé et qualifié, ces parents sont largués. Livrés à eux-mêmes, ils ne savent pas comment élever un enfant qui présente des problèmes. Il est essentiel, à mon sens, d’investir et de s’engager dans ces domaines. Les personnes en situation de handicap sont des citoyens à part entière. Pourquoi discriminer et ne pas leur offrir un traitement adapté à leurs besoins ? »

Pareillement, soutient Ali Jookhun, avec le vieillissement de la population à Maurice, cela deviendra un gros problème pour nombre de parents d’ici quelques années. « Nous entendons souvent des parents demander : qu’adviendra-t-il de mon enfant quand je ne serais plus là ?. C’est un problème important », laisse-t-il échapper. Le travailleur social propose de fait la création de structures d’accueil et d’accompagnement à ces enfants/adultes, dont les parents seront décédés. « Ce seraient des espaces de vie aménagés avec ce qu’il faut de logistique et d’infrastructures afin de permettre à ces personnes de continuer à vivre dans des conditions décentes, comme lorsque leurs parents étaient vivants. »

S’agissant des aides financières, Ali Jookhun est d’avis qu’un Medical Board doit être habilité dans ces cas précis. « Un comité médical intervient quand une personne est atteinte de pathologies et de maladies. Le handicap n’est pas une maladie. On ne guérit pas de l’autisme ou d’une paralysie. Il faut comprendre que cette personne vivra toute sa vie avec ça et, ainsi, agir en ce sens. L’aide doit être sur une base régulière, et non renouvelable sur deux ans. C’est totalement illogique ! »

Si Umraana et Irfaana ont quitté ce monde, en 1999 et 2001, cela n’a pas pour autant dissuadé Ali Jookhun à ranger son bâton de pèlerin. « J’ai commencé cette aventure et ce n’est pas demain que j’arrêterais de me battre pour cette cause. Aussi longtemps que je respirerais, j’aurais à cœur le bien-être des personnes en situation de handicap », dit-il.

Apprendre des autres

Il s’est donc engagé dans plusieurs associations, locales, régionales et internationales, qui lui permettent d’amener de l’avant ses idées. « J’apprends énormément des rencontres avec les travailleurs sociaux étrangers, aussi bien qu’avec les personnes handicapées d’ailleurs. Je ne finis pas d’apprendre et de découvrir mille façons pour changer et améliorer leur vie. »

D’où sa demande aux autorités : « Quand il y a des projets de constructions de bâtiments, sur papier, il y a le respect pour les espaces alloués aux personnes en situation de handicap, avec des rampes, etc. Mais quand le projet est réalisé, il n’y a rien ! Comment est-ce que ces personnes se déplaceront s’il n’y a pas d’accessibilité ? Où sont les autobus Low Floor avec possibilité d’entrer pour ces personnes ? »
Idem pour les hôtels, par exemple. « Les touristes qui vivent avec des handicaps ne peuvent pas venir parce qu’ils ne pourront pas accéder à ces établissements. Et pourtant, Maurice dépense énormément parce qu’il s’agit d’un pays à vocation touristique ! » regrette-t-il.
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etant un regard sur les trois décennies écoulées, Ali Jookhun termine : « Il n’y a pas de victoires ni d’échecs dans la vie des parents d’enfants en situation de handicap. Il y a la continuité. Il y a la vie auprès de ceux qu’on aime, et le combat permanent pour améliorer leur qualité de vie. »

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