Judiciaire – Poursuite : la Private Prosecution : un recours alternatif complexe

Me Yousouf Mohamed, SC : « Le DPP doit obligatoirement en être informé »

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La “Private Prosecution” intentée par Me Kailash Trilochurn contre sir Anerood Jugnauth, qui a été rejetée à la demande du Directeur des poursuites publiques (DPP), a marqué l’actualité récemment. Ce recours alternatif, qui veut qu’un citoyen ou une organisation se sentant lésé intente des poursuites de son propre chef pour obtenir justice, semble complexe, alors que certains légistes soutiennent que les dispositions de la loi sur ce sujet sont claires. Que signifie une “Private Prosecution” et quelles sont les procédures relatives ?

Une “Private Prosecution” est décrite comme une poursuite intentée non pas par une “prosecuting authority” mais par une tierce personne ou une tierce compagnie se sentant lesée et voulant obtenir justice. Il n’y a pas de définition précise de la “Private Prosecution” sous la juridiction mauricienne mais les procédures relatives sont diversement expliquées dans nos lois. A commencer par l’article 72(3) de la Constitution, qui précise que c’est le DPP qui a le dernier mot pour décider si cette poursuite privée a sa raison d’être. « The Director of Public Prosecutions shall have power in any case in which he considers it desirable so to do -(a) to institute and undertake criminal proceedings before any court of law (not being a court established by a disciplinary law) ;(b) to take over and continue any such criminal proceedings that may have been instituted by any other person or authority ; and (c) to discontinue at any stage before judgement is delivered any such criminal proceedings instituted or undertaken by himself or any other person or authority. » L’article 5 (1) de la Criminal Procedure Act est aussi explicite en ce qui concerne les pouvoirs attribués au DPP lorsqu’une “Private Prosecution” est logée. « Where an aggrieved party or his representative intends to institute a prosecution, he shall produce before a Judge an information duly prepared, together with a certificate endorsed on it, under the hand of the Director of Public Prosecutions, specifying that he has seen such information and declines to prosecute at the expense of the State the party charged for the offence named in the information. »

Le DPP, Me Satyajit Boolell, fait état du sujet dans la 32e édition de sa Newsletter. Me Satyajit Boolell avait indiqué que, selon la pratique, le “Private Prosecutor” doit en informer le DPP « dans un délai raisonnable avant que l’affaire ne soit entendue afin qu’il puisse exercer ses pouvoirs constitutionnels ». Un jugement prononcé, le 20 octobre 1994, par l’ancien chef juge, Rajsoomer Lallah et les juges Ariranga Pillay et Eddy Balancy, dans le cas Nizam Edath-Tally contre l’ancien ministre Michaël Glover, fait mention des procédures suivant une “Private Prosecution”. La Cour suprême avait statué que le pouvoir d’un individu à entrer une “private prosecution” est sujet aux pouvoirs investis au DPP à donner son aval ou à rejeter la poursuite.

Les cas

Le recours à la “private prosecution” n’est pas chose fréquente à Maurice. Le cas qui a été le plus sujet aux débats et qui a apporté une plus grande compréhension dans ce domaine de la loi est celui de Jeewan Mohit, qui avait fait appel devant le Conseil privé de la reine pour contester le rejet de sa “private prosecution” par le DPP, après que sa demande de révision judiciaire a été rejetée par la Cour suprême. Le jugement rendu par cinq lords du Judicial Committee of the Privy Council, le 25 avril 2006, fait état des pouvoirs conférés au DPP. Le Privy Council avait, par ailleurs, accordé l’appel à Jeewan Mohit, donnant des indications précises sur les paramètres à suivre lorsque l’affaire serait entendue à nouveau en Cour suprême.

Il y a aussi eu la “private prosecution” logée par Me Yatin Varma au tribunal de Moka en 2015 contre un membre du conseil d’administration de l’ICAC, Me Shakilla Jhungeer. Il reprochait à l’avocate d’avoir divulgué des informations confidentielles obtenues dans le cadre de l’enquête instruite contre Me Satyajit Boolell dans le dossier des Pas géométriques de Palmar. Le DPP avait réclamé et obtenu un “discontinuance of proceedings” (arrêt des procédures) dans ce cas.

Idem pour la “private prosecution” logée par Me Kailash Trilochurn le 12 août 2018 contre SAJ, cette fois-ci en cour intermédiaire. Me Kailash Trilochurn reprochait au ministre mentor d’avoir tenu des propos embarrassants et insultants à son égard, lors d’une conférence de presse en direct, le 12 septembre 2016, en marge de la polémique sur les honoraires de Rs 19 millions payés à l’avocat pour représenter l’ICTA dans un litige contre la compagnie Emtel. Le représentant du DPP a réclamé un “discontinuance of proceedings”, qualifiant cette “private prosecution” d’illégale, du fait que la cour intermédiaire ne peut écouter que des affaires pénales initiées par le DPP. Me Yousouf Mohamed, SC, est catégorique sur ce cas : « C’est une erreur fatale commise par Me Trilochurn en logeant une “private prosecution” en cour intermédiaire. Quand une “private prosecution” est logée, elle ne peut être faite en cour intermédiaire mais en cour de district et le DPP doit obligatoirement en être informé. C’est au DPP par la suite de décider si le procès peut être pris ou d’y mettre un terme ». Me Yousouf Mohamed trouve ainsi que la démarche de Me Trilochurn, en plus de son intention d’avoir recours à une révision judiciaire, est « null and void ».

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