Le jour où j’ai découvert que je vaux $1 million

Connaissez-vous Saint-Christophe-et-Niévès (en anglais Saint Kitts and Nevis)? Non? Pas vraiment? Vous ne saviez même pas qu’il y avait sur la planète un pays portant ce nom?
Et pourtant, nous sommes aujourd’hui directement relié à lui. Alors «Pou pa mor kouyon», comme le chante notre bluesman Eric Triton, voici les faits.

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Située dans les Petites Antilles, dans la région des Caraïbes, Saint-Christophe-et-Niévès est une île de 261 kilomètres carrés, abritant 52 329 habitants. Ayant acquis son indépendance du Royaume Uni en 1983, ce pays sera, en 1984, le premier à donner la possibilité d’acheter son passeport. Pour lequel il suffit, en ce moment, de débourser $250 000. Une démarche visant, officiellement, à trouver des fonds pour soutenir l’industrie de la canne à sucre, et financer le développement de l’industrie touristique. «La carotte? Des impôts inexistants, un passeport qui permet de voyager sans visa dans plus d’une centaine de pays, dont ceux de l’Europe, et une administration peu tatillonne sur l’origine des fonds. Le succès est total: les milliardaires affluent, la croissance décolle, les plages de sable blanc se couvrent d’hôtels de luxe et les caisses de l’Etat débordent de dollars», écrit Beatrice Mathieu dans un article publié par le magazine économique L’Expansion dans son édition du 2 avril 2018.

Au cours des années, d’autres petits États insulaires comme la Dominique ou la Barbade lui ont emboîté le pas. La crise du début de 2010 va amener certains pays du sud de l’Europe à suivre la même voie. Au Portugal, pour €500 000 d’investissement dans l’immobilier ou €1 million dans une entreprise avec obligation de créer 10 emplois, le pays délivre depuis peu un certificat de résidence, qui peut ouvrir un accès à la nationalité au bout de 5 ans. Procédure beaucoup plus directe et rapide par contre à Malte ou à Chypre. Contre un investissement immobilier de $2,5 millions, ce dernier offre sa nationalité en quelques mois, voire, pour les plus pressés, quelques semaines en rajoutant «quelques sous». Depuis 2013, Chypre a ainsi gagné plus de €4.5 milliards. Venant d’investisseurs de Chine, du Moyen Orient et de l’ancien bloc soviétique.

«En Chine, où des milliers de nouveaux «ultra-riches» apparaissent chaque année, l’opération anti-corruption menée d’une main de fer par le président Xi Jinping a miraculeusement dopé le marché de ces vendeurs de passeports» écrit Béatrice Mathieu. De Russie affluent aussi bien ceux qui craignent de se retrouver du jour au lendemain en délicatesse avec Vladimir Poutine, que les membres d’une puissante mafia.
D’après les dispositions annoncées jeudi dernier dans le discours du budget par le Premier ministre et ministre des Finances Pravin Jugnauth, Maurice va donc aussi émuler Saint-Christophe-et-Niévès. En offrant la possibilité d’acheter non seulement, pour une durée donnée, le passeport mauricien en échange de $500 000, mais carrément la citoyenneté mauricienne, permanente, pour $1 million.

Money, Money, Money…
Passons sur «l’effet waow» qu’il peut y avoir à se dire que notre «petite» citoyenneté mauricienne, que nous cherchons pour certains à échanger pour des citoyennetés plus «internationales», puisse aujourd’hui valoir la bagatelle de $1 million (quelque Rs 35 millions).

Passons sur l’ironie qui veut que la vente de notre citoyenneté soit aujourd’hui proposée par le gouvernement du ministre-mentor Anerood Jugnauth, celui-là même qui mit farouchement des bâtons dans la détention de la double nationalité il y a quelques années. Après tout, c’est ce même homme, alors Premier ministre, qui déclara que «moralite pa ranpli vant»…

La question plus fondamentale qui se pose est bien de savoir quel intérêt il peut y avoir pour quelqu’un de posséder la citoyenneté mauricienne.

Cela pourrait être pour des raisons de survie. Réalité dont témoigne la crise des migrants qui affecte le monde, avec par exemple l’épisode de l’Aquarius et ses centaines de migrants empêchés d’accoster en Italie cette semaine, ou encore plus près de nous, les naufragés comoriens qui tentent de rejoindre Mayotte. Mais ce ne sont clairement pas les damnés de la terre que nous avons l’intention d’accueillir…

Pour faciliter la mobilité? On peut sérieusement douter de la capacité de notre passeport à offrir cela, quand on voit, chaque jour, à quelles tracasseries sont soumis les ressortissants mauriciens désireux de se rendre rien qu’à La Réunion, notre supposée île-sœur…
Ne tournons pas autour du pot. Partout, ces programmes aussi baptisés «Cash for Passport» permettent à leurs bénéficiaires d’échapper à l’impôt en toute tranquillité, de blanchir de l’argent sale, voire de protéger des activités terroristes, à tout le moins d’échapper à l’extradition en cas de démêlés avec la justice de leur pays d’origine. Plusieurs scandales mettant en scène des trafics divers, avec assassinats à la clé, entachent depuis le début de cette année certains de ces nouveaux «citoyens» notamment à Saint-Christophe-de-Niévès et au Portugal.

Beau programme pour inaugurer 50 ans d’indépendance…
Alors que notre gouvernement tergiverse encore à reconnaître la dénomination «mauricien» dans notre Constitution pour se porter candidat aux élections législatives, comment allons-nous négocier cette vente de notre citoyenneté et ses conséquences? Question sans prix…

 

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