PERSPECTIVES SOCIO-ÉCONOMIQUES : Sous le signe de l’essoufflement

À peine un mois après la présentation à l’Assemblée nationale du budget 2017-18 par le Premier ministre et ministre des Finances, Pravind Jugnauth, des signes d’essoufflement dans les principaux secteurs de l’économie se font sentir. À tel point que Statistics Mauritius a dû procéder à un rajustement à la baisse des prévisions pour les principaux secteurs, à l’exception du tourisme, qui devra accueillir cette année quelque 1 350 000 visiteurs, soit 10 000 de plus que les estimations initiales du début de l’année. Un facteur économique qui devient de plus en plus préoccupant demeure la performance du secteur des exportations, avec une baisse de recettes de 10,7% pour le premier trimestre de cette année comparativement à l’année dernière. Avec les effets du Brexit, le divorce entre Londres et Bruxelles, les exportations de Maurice sur le marché britannique a piqué du nez de janvier à mars derniers, avec une baisse de 22,4%.
En parallèle, avec la campagne pour la partielle à Belle-Rose-/Quatre-Bornes (N°18), susceptible de démarrer à n’importe quel moment, le gouvernement compte mettre les bouchées doubles pour « tenter de bien caler l’exécution du budget. » Ainsi, même si le chef du gouvernement sera en mission officielle cette semaine au sommet de l’Union africaine, une Special Cabinet Meeting, sous la présidence du Premier ministre suppléant, Ivan Collendavelloo, a été convoquée pour demain après-midi en vue d’étudier les dispositions du Draft Finance Bill. L’adoption du Finance Bill, donnant force de loi aux mesures préconisées dans le budget 2017-18, devra intervenir avant les prochaines vacances d’hiver de l’Assemblée nationale.
Par ailleurs, les dernières données publiées par la Banque de Maurice indiquent que le gouvernement et le secteur privé sont logés presque à la même enseigne au chapitre de l’endettement. À la fin de mai dernier, les crédits alloués par les banques au secteur privé, comprenant des prêts, des découverts et autres facilités, se montent déjà à Rs 343,3 milliards. Avec le montant de la dette publique prévu dans le budget, l’économie mauricienne se trouve endettée à hauteur de quelque Rs 650 milliards, soit un peu plus de 120% du PIB, l’un des rares paramètres en progression, alors que des signes d’affaiblissement, se font déjà sentir ailleurs.
La performance des export oriented enterprises pour la période de janvier à mars n’est guère réconfortante, même si des mesures ont été annoncées dans le budget pour insuffler un nouveau boost aux exportations, dont le coup de pouce fiscal (réduction de la Corporate Tax) aux exportateurs. Les recettes d’exportations pour le premier trimestre sont descendues sous la barre des Rs 10 milliards, précisément Rs 9,4 milliards. Par rapport à la période correspondante en 2016, ce chiffre constitue une régression de 10,7%, alors que la comparaison est encore plus défavorable au dernier trimestre de l’année dernière. La baisse s’avère être plus conséquente, soit de 16,1%.
Le signe le plus inquiétant est la baisse des recettes sur les principaux marchés d’exportation, constitués de la Grande-Bretagne, de la France, des États-Unis et de l’Afrique du Sud. À eux seuls, les quatre pays représentent 50% des recettes pour Maurice. Mais ils ont tous donné des signes négatifs en ce début d’année. Les effets conjugués du Brexit et de l’évolution du taux de change de la livre sterling et de la roupie ont pesé lourd dans la balance, avec une contraction de 22, 4% d’un trimestre correspondant à l’autre pour les exportations vers la Grande-Bretagne. À ce rythme, Maurice pourrait être appelée à write off plus de Rs 1 milliard de la valeur des exportations sur ce marché cette année. La performance par rapport aux États-Unis n’est pas différente, avec une baisse de 25,4% pour janvier à mars de cette année comparativement à la période correspondante en 2016. L’Afrique du Sud se pointe avec une réduction de 24,8%, à l’exception de la France, où le glissement de 5,7% paraît moins conséquent.
Clignotant au rouge
Les filières d’exportation qui présentent les plus de difficultés sont la confection et le textile, avec une réduction de Rs 1,2 milliard, soit 21,6% de moins, et les conserves de poisson avec une baisse de Rs 585 millions (20,7% ). L’un des rares points positifs au tableau reste que les net exports sont de Rs 3,6 milliards pour le premier trimestre et un ratio des exportations de 38,5%, soit sensiblement le même que l’année dernière.
Mais déjà, un autre clignotant s’est mis au rouge. Les chiffres de la Banque de Maurice révèlent une aggravation du déficit des comptes courants pour le premier trimestre, soit le double de ce qu’il était au début de 2016. Le déficit est passé de Rs 2,5 milliards à Rs 5 milliards d’une année à l’autre. Par rapport au PIB, ce déficit est de 4,6% contre 2,5% précédemment. Avec un constat d’une baisse de 6% de la valeur des exportations d’une année à l’autre et une hausse de 10% des importations, la Banque de Maurice soutient officiellement que « the deficit on the goods account widened to Rs 19.5 billion in the first quarter 2017, from Rs 14.4 billion rupees in first quarter 2016, reflecting a lower value of exports combined with an increasing value of imports. »
De leur côté, les dernières analyses de Statistics Mauritius arrivent difficilement à contrebalancer ces effets négatifs même si la dernière édition des National Accounts pour 2017, publiée officiellement, vendredi, note que « after removing the price effect estimated at 1,9%, GDP at market prices is forecasted to grow by around 3,9% in 2017, higher than the 3,8% growth in 2016. In light of information gathered on key sectors of the economy, performance observed in the first quarter of 2017 and policy measures announced in the budget 2017/2018, GVA at basic prices is expected to grow by 3,7% in 2017, higher than the 3,6% growth in 2016. » Comme pour répondre aux prévisions pessimistes de 3,1% cette année de l’agence de notation internationale FitchGroup.
Toutefois, la révision à la baisse des projections de croissance sectorielle et de l’évolution des investissements privés par Statistics Mauritius appelle davantage à la prudence contre tout optimisme exagéré. En ce qui concerne les investissements, il faudra s’attendre à un ralentissement dans le camp du secteur privé. Une progression de 2,8% du private sector investment est à l’ordre du jour, soit presque la moitié de ce qu’elle était l’année dernière.
Un des obstacles sur la voie du secteur privé se résume au niveau d’endettement accumulé. Avec un montant de Rs 343,3 milliards à la fin de mai dernier contre Rs 326,3 milliards en mai de l’année dernière, les opérateurs du secteur privé ne sont pas moins endettés que le gouvernement. Sont venues se greffer à cet état des lieux les prudential measures entérinées par la Banque centrale pour assurer un meilleur contrôle de l’endettement des secteurs économiques comme la construction et le tourisme.
De ce fait, la part du secteur privé dans les investissements devra techniquement baisser. « The share of private sector investment is expected to decrease to 72.6% from 74.4% in 2016 and that of the public sector, to increase to 27.4% from 25.6%. Excluding aircraft and marine vessel, the share of private sector investment would be 74.1% and that of the public sector, 25.9% », confirme la dernière édition des National Accounts, alors que la nouvelle commission sur l’économie de Business Mauritius, présidée par Gilbert Gnany, Chief Stratgey Officer du MCBGroup, s’est réunie pour la première fois en fin de semaine dernière pour dégager la meilleure stratégie possible dans la conjoncture politico-économique, loin de dégager le feel-good factor tant recherché.
Les allocations de crédits au secteur privé aux principaux segments économiques se déclinaient comme suit au 31 mai dernier :
Construction : Rs 88,6 milliards, dont Rs 77,5 milliards de prêts, soit Rs 3 milliards de plus qu’à pareille époque l’époque l’année dernière ;
Tourisme : Rs 40,4 milliards, dont Rs 17,3 milliards de prêts, avec le chiffre global en régression comparativement aux Rs 47,1 milliards de mai 2016 ;
Services financiers : Rs 34,3 milliards, dont Rs 25,9 milliards en prêts, soit une augmentation de Rs 7 milliards en une année
Ménages : Rs 28,6 milliards, dont des loans de Rs 22,3 milliards, marquant le pas avec la politique restrictive frappant cette clientèle bancaire ;
Manufacturier : Rs 21,6 milliards avec des prêts de Rs 8,2 milliards, contre des crédits bancaires de Rs 20,7 milliards l’année dernière et ;
Agriculture : le statu quo avec Rs 20,6 milliards.
Dans cette perspective, le gouvernement place de gros espoirs sur la mise à exécution des projets dans le secteur public pour relancer la machinerie des investissements. Un rebond substantiel de 12,8% est annoncé, notamment trois fois la performance de l’année dernière. Le gouvernement caresse l’ambition d’injecter Rs 22,1 milliards sous forme d’investissements en 2017, même si des doutes subsistent quant à sa capacité en vue de mettre à exécution des projets d’envergure. La construction est présentée comme un secteur porteur avec une croissance de 21,9% dans la filière de non-residential building, même si une contraction de 2,6% est envisagée pour les constructions résidentielles. « On the other hand, non-residential building is forecasted to rebound by 21,9% and « other construction work » to recover in 2017 with a growth of 15%. This is based on an expected acceleration of investment projects that were delayed in 2016 coupled with new investment projects that would start in 2017 », affirme Statistics Mauritius. Avec l’espoir d’ouvrir le chantier de métro express entre Curepipe et Port-Louis en deux phases en septembre prochain, soit déjà avec six mois de retard sur le calendrier préétabli, il sera difficile de croire qu’il pourra doper suffisamment les investissements en vue de réaliser les 5,3% envisagés cette année contre 3,7% l’année dernière.
Au chapitre des différents secteurs économiques, Statistics Mauritius a réajusté le tir sur la base des données enregistrées lors du premier trimestre comme suit :
Agriculture : des projections de 0,2% contre des initiales de 2,3% en raison d’une production sucrière inférieure de 30 000 tonnes cette année, soit 360 000 tonnes seulement pour la coupe, qui vient de démarrer ;
Manufacturier : progression sous la barre de 1%, soit 0,8% au lieu de 1,1% de mars dernier en raison d’une contre-performance dans le seafood hub et la confection ;
Électricité et eau : prévisions revues à la baisse à 3,8% compte tenu de la réduction dans la génération d’énergie électrique au cours du premier trimestre ;
Foncier et immobilier : 3,2% au lieu des 3,4% ;
Tourisme : une croissance relevée de 4,1% à 4,7%, avec une hausse dans le nombre de touristes passant à 1 340 000 cette année ;
Commerce : un taux de 3%, soit le même que l’année dernière ;
Transport : 3,8% ou légèrement inférieure à la performance de 2016 ;
Tic : 6%, soit sensiblement le même que l’année dernière et ;
Services publics : en hausse à 3% au lieu des 2,3% de 2016, à condition que les recrutements annoncés dans le budget 2017-18 se concrétisent.
En tout cas, la publication de la troisième édition des National Accounts le 29 septembre prochain devra confirmer ces tendances pour le reste de l’année….

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