RAMESWURLALL BASANT ROI, Gouverneur de la Banque de Maurice : « Les perspectives d’une croissance forte et soutenue restent difficiles »

Les perspectives d’une croissance forte et soutenue de l’économie mauricienne restent difficiles, soutient le gouverneur de la Banque de Maurice (BoM), Rameswurlall Basant Roi, dans une interview accordée en début de semaine au Mauricien. Tout en appelant à une amplification des politiques visant à améliorer le climat d’investissement, le gouverneur, commentant les observations de la récente mission du FMI, affirme que la BoM a pris des mesures suffisantes pour préserver et protéger la stabilité financière du pays. Rameswurlall Basant Roi revient également sur les péripéties entourant l’affaire BAI et estime que l’épisode du spectre de cette affaire « nous hantera encore pendant un moment ».  
Le rapport préliminaire de la récente mission du FMI dans le cadre des consultations sous l’Article IV fait état de plusieurs défis à relever ou « policy options » à considérer pour que l’économie mauricienne puisse améliorer sa résilience. Comment évaluez-vous ces défis ? 
 
Le rapport préliminaire souligne quatre défis majeurs : le maintien de la stabilité financière, la modernisation du cadre de la politique monétaire, le maintien de la compétitivité de l’économie mauricienne et la création d’un espace budgétaire adéquat.
Permettez-moi d’abord et avant tout de souligner que le comité de stabilité financière présidé par le ministre des Finances, qui est également le Premier ministre, est pleinement fonctionnel. Les secteurs vulnérables de notre secteur financier sont examinés avec une attention particulière accordée aux activités des entreprises du « Global Business », à l’évolution des “non-performing loans” dans les livres des banques et à d’autres facteurs susceptibles d’affecter la stabilité financière. La BoM a pris des mesures suffisantes pour préserver et protéger la stabilité financière. 
En ce qui concerne la modernisation de notre cadre de politique monétaire, je dois dire que c’est un domaine sur lequel la BoM a travaillé depuis 2015. Vous vous souviendrez que j’ai mentionné en 2015 qu’il y a un décalage entre le“Key Repo Rate” et les taux d’intérêt du marché. Le cadre sur lequel nous avons déjà travaillé aurait déjà été mis en place s’il n’y avait pas eu ce problème croissant d’excédent de liquidités. La persistance de l’excès de liquidités est un obstacle à la mise en oeuvre effective du nouveau cadre de politique monétaire. 
I do not wish to harp on the same string again and again on the question of competitiveness. Competitiveness is more a story about the quality of human capital than one about fiscal and monetary policies. Let me briefly put it as follows: the foremost characteristic of a winning nation is the quality of its education system. If you ask a Japanese, a Korean or a Singaporean, « what is the key to your success? » you will spontaneously be told that it is the uniformly high standard of education throughout the country. We seldom realize that the world has already moved from the “Age of Information” to the “Age of Intelligence”. The existing base of knowledge allows us to dream up ideas that we have not dreamt up before. Our children must be taught cognitive skills. This must be our focal point. We cannot get out of the middle-income trap without robust brain power. No doubt, educated tigers get rich faster than other in the world today.
Par ailleurs, notre budget courant s’est développé de façon démesurée au cours des dernières années. La charge de l’état providence est devenue très lourde. Il existe de nombreuses options disponibles pour créer de l’espace fiscal. Je suis favorable à une combinaison de la réduction des charges de l’état providence et à l’amélioration de la croissance, ce qui se traduira par des niveaux de revenus plus élevés. Compte tenu de la situation budgétaire, quelle que soit l’option choisie, if faudra qu’il y ait une volonté politique exceptionnelle.
Comment la BoM compte-t-elle procéder pour prévenir un approfondissement du déficit des comptes courants de la balance des paiements dans le moyen terme??
Un déficit des comptes courants pour une économie typique comme Maurice est souvent causé par un gonflement de la demande globale, qui mène à un niveau d’importation plus élevé, une augmentation soutenue du prix mondial du pétrole, un recul temporaire de ses performances à l’exportation ou une combinaison de ces facteurs ou d’autres facteurs similaires. Le déficit est financé par l’utilisation des réserves de change de la banque centrale ou par des emprunts extérieurs. En d’autres termes, le déficit est à l’origine des entrées de capitaux. Pour rétablir le solde des comptes courants dans cette situation spécifique, les décideurs recommanderaient une dépréciation de la monnaie locale.
Par opposition à la situation qui précède, je suis d’opinion que les entrées de capitaux ces dix dernières années sont la cause même de notre déficit courant. Bien que les entrées de capitaux ont maintenu la demande dans l’économie, ils ont en même temps affecté nos performances à l’exportation, la force de la roupie étant l’un des nombreux facteurs responsables. Cette situation a entraîné un déficit soutenu des comptes courants. Cela veut dire que le niveau des taux d’intérêt à Maurice doit être maintenu bas comparé aux taux d’intérêt sur nos principales devises étrangères afin de contrôler les entrées de capitaux qui alimentent la demande.
Le FMI a remis à jour ses prévisions concernant l’économie mondiale, indiquant que la reprise est en train de se raffermir. Quel impact anticipez-vous pour l’économie mauricienne??
 
Le FMI s’est montré plus confiant dans ses dernières prévisions publiées en juillet 2017, notant une intensification de l’activité économique au dernier trimestre de 2016 et au premier trimestre de 2017, notamment dans les pays avancés. Pour comprendre l’impact sur l’économie mauricienne, certains facteurs doivent être considérés, tels que les tendances politiques, les rivalités entre grandes puissances et les incertitudes persistantes qui caractérisent les marchés en général. Ce qui semble être une indication de la reprise de l’économie mondiale peut paradoxalement avoir un impact important sur notre économie. Sur le plan domestique, l’économie, selon moi, aurait pu mieux faire. Les perspectives d’une croissance forte et soutenue restent difficiles car les investissements privés continueront d’être entravés par l’incertitude qui découle des conditions économiques mondiales. Les exportations peuvent connaître une hausse en fonction de l’amélioration de la demande extérieure à moyen terme, mais elle ne sera pas suffisante pour permettre au pays d’atteindre une croissance de l’ordre de 4% ou plus. Il est donc important d’amplifier les politiques visant à améliorer le climat d’investissement.
 
Dans l’édition de mai 2017 du Monetary Policy and Financial Stability Report, la BoM réaffirme que la croissance économique 2017 devrait se situer dans la fourchette de 3,8% à 4%. Maintenez-vous toujours cette estimation à ce jour??
 
Les prévisions du PIB de l’ordre de 3,8% à 4,0% ont été rendues publiques à l’issue de la réunion du comité de politique monétaire en mai 2017. Ce taux a par la suite été publié dans le rapport susmentionné. Ces projections sont fondées sur une série d’hypothèses clés, notamment l’évolution du taux de change, la contribution des secteurs sur la croissance du PIB, l’investissement public, l’exportation et la politique monétaire accommodante au cours de l’année 2017. Même si la banque centrale peut instaurer un environnement économique favorable par le biais du taux de change ou du taux d’intérêt, l’évolution de certaines hypothèses peut être parfois démesurée, échappant à la banque centrale. Un écart sur les variables clés tels que l’investissement public ou la contribution des secteurs rendra inexactes les projections macroéconomiques établies par la banque centrale. Lors de la dernière conférence de presse du comité de politique monétaire, j’avais mentionné que le taux de croissance de 3,8-4,% serait atteint seulement si l’investissement public prévu est réalisé. Cependant, vu l’évolution de l’investissement public et privé, le climat défavorable attribuable aux développements extérieurs et l’impact adverse de l’appréciation de la roupie sur nos exportations, je dirais qu’il est probable que nous revoyons prochainement notre estimation de la croissance 2017.
 
Avez-vous des craintes concernant l’évolution du déficit budgétaire et de la dette publique??
 
Ce serait imprudent pour l’ensemble des décideurs politiques de ne pas s’inquiéter du déficit budgétaire et de la dette publique. Depuis plusieurs années, le déficit budgétaire s’est accentué et s’est traduit par une hausse de la dette publique. Pendant de nombreuses années, le budget courant a augmenté énormément. Ce volume traduit ainsi un impact limité sur le choix de la politique fiscale.
Le niveau de dette, qui est au-dessus de 50% du PIB, est évidemment une cause d’inquiétude. Cela a manifestement une implication pour la politique monétaire. Dans le courant des années 80, la dette du secteur public avait à un certain moment atteint un taux de 73% du PIB. Le problème a été résolu sans mal par la réalisation d’un taux de croissance particulièrement élevé de l’économie pendant plusieurs années successives. Si on entend résoudre le problème de la dette sans douleur, la seule issue de sortie demeure la réalisation d’un taux de croissance élevé sur plusieurs années successives.
 
Quelles sont vos observations concernant l’endettement des ménages??
 
L’endettement des ménages exerce une influence sur la stabilité financière. Les prêts “non-performants” ont connu une hausse récemment. La menace à la stabilité financière a été enrayée grâce à un arsenal de mesures macro-prudentielles établi par la banque centrale. Les consommateurs ont accès à un large éventail de facilités de crédit, soit les cartes de crédit ou les ventes à tempérament. Les mesures de la BoM à elles seules ne suffiront pas à contenir les frénésies d’achats constatées sur le marché. Dépenser plus que ce que l’on gagne est un vice et pas une vertu. Les consommateurs doivent réaliser que l’argent emprunté avec joie devra être remboursé péniblement après. Dans la gestion du budget ménager, un comportement responsable, plutôt qu’une attitude de parieur, est une discipline que l’on s’impose et la banque centrale ne peut pas faire grand-chose à ce sujet.
 
La croissance des crédits au secteur privé a été sur la courbe descendante au cours de la seconde partie de 2016. Diriez-vous que le niveau d’endettement de nos entreprises, en particulier des grosses boîtes, est encore inquiétant ?
 
En effet, le taux de croissance du crédit semble avoir perdu son élan dans la seconde période de 2016. Certaines entreprises ont levé des fonds par l’émission d’obligations. Le processus de “désintermédiation” dans le secteur bancaire coïncide avec le développement du marché financier. Le taux de croissance des crédits bancaires semble avoir freiné, mais cela ne s’applique pas à l’ensemble du marché. Davantage de concurrence dans la levée de fonds est favorable pour notre système financier. Certaines entreprises sont sur le point de rembourser leurs dettes aux banques. Par conséquent, nous n’avons pas observé de dommage considérable sous la forme d’une hausse des prêts “non-performants” des entreprises. 
 
Quelle est la note que vous attribuerez à notre secteur bancaire en termes de solidité financière ?
 
Les banques maintiennent des « capital adequacy ratio » bien supérieurs au minimum requis. La force du système bancaire mauricien telle que vous la percevez aujourd’hui, est le reflet de plusieurs années d’efforts soutenus de la BoM visant à améliorer le cadre de réglementation et de supervision du système bancaire. La Banking Act et la Bank of Mauritius Act sont en cours de refonte en vue de consolider le cadre régulateur. Un Deposit Insurance Scheme est en préparation. Une loi concernant le National Payment devrait bientôt être une réalité, ce qui permettra de mettre davantage l’accent sur les éléments relatifs à la stabilité financière. En bref, l’accent prononcé sur la réglementation de l’industrie bancaire porte ses fruits en matière de résilience et de stabilité financière.
 
Lors d’un forum réunissant des banquiers et dirigeants d’institutions financières de l’Afrique francophone, vous aviez évoqué les risques liés au blanchiment de capitaux et le défi de la cyber sécurité, les retombées d’une utilisation de plus en plus poussée de la technologie sur l’industrie bancaire, entre autres. Qu’est-ce qui vous préoccupe le plus ?
 
Votre question requiert une longue réponse. Mais je serai bref. À la lumière des forces correctives en action à travers tous les centres financiers à travers le monde, le blanchiment de l’argent sale est le fléau que je redoute le plus. Ayant été témoin de ce qui s’est produit au sein des industries financières dans certaines parties du monde, je me suis dit qu’après ma nomination en tant que Gouverneur de la BoM en janvier 2015, notre juridiction doit faire tout son possible, peu importe ce qu’il en coûte, afin de préserver et de protéger sa crédibilité et son intégrité. Au cas contraire, les conséquences seraient catastrophiques. Dans un monde sujet à des flots massifs de capitaux transfrontaliers rendus encore plus aisés par la technologie, le coût de la conformité bancaire et financière a grimpé de façon phénoménale. Notre industrie financière n’a d’autre choix que d’accepter ce surcoût, sinon le prix à payer pour la non-conformité sera la sentence de mort pour les acteurs du secteur. 
 
Vous faites souvent allusion à l’affaire BAI dans vos allocutions. Les malheurs de ce conglomérat vous ont sans doute beaucoup marqué. Est-ce que le pays avait la possibilité d’éviter un tel épisode ?
 
J’ai personnellement été partie prenante de plusieurs occasions de résolution de crise au sein du secteur financier. La crise du marché des devises en 1997 et en 1998, la faillite de la MCCB, la révocation de la licence bancaire de la Delphis Bank et les soucis de confiance qui en résultèrent, l’épisode électrique MCB-NPF et la MPCB battant de l’aile. Tout cela m’a donné une pléthore d’occasions pour gérer des crises au sein d’un marché comme le nôtre. Sans vantardise aucune, je peux légitimement dire que j’ai résolu avec succès des crises survenues dans le cadre de mon mandat en tant que Gouverneur de la BoM. L’argent des déposants a été protégé. C’est un fait indéniable.
La Bramer Banking Corporation Limited faisait partie d’un groupe gigantesque. Contrairement à d’autres faillites survenues dans le pays, la Bramer Bank avait atteint une dimension différente de celle des précédentes banques qui avaient échoué. Le rapport nTan sur le groupe BAI est extrêmement révélateur. Toute personne rationnelle et raisonnable – ayant de surcroît une compréhension des principes financiers et bancaires élémentaires et qui a lu et compris le rapport publié ou parcouru le rapport principal avec ses 10 000 pages d’annexes — ne peut conclure autrement que la révocation de la licence de cette banque aurait dû avoir été effectuée bien avant. En fait, la Bramer Bank avait été « bailed out in a disguised manner » bien avant décembre 2014 par la BoM grâce à de l’injection de liquidités. La BoM aurait dû avoir fait preuve de fermeté et de responsabilité. Lorsqu’un régulateur se permet d’être tolérant, cela coûte éventuellement extrêmement cher.
Les compagnies listées à la Bourse de Maurice ont une obligation de divulgation et sont sujettes à un examen public. Vous vous souviendrez sans doute que la défunte BA Investment avait demandé et obtenu sa radiation de sa cotation de la Bourse de Maurice. Peu importe la raison sous-jacente de l’arrêt de la cotation, les investisseurs auraient dû avoir interprété correctement cette démarche.
En tant qu’instance régulatrice, il ne faut jamais octroyer un permis d’opération à une institution au sein de laquelle une seule personne ou un groupe de personnes liées ont une influence dominatrice. La graine d’une autodestruction est plantée au moment même où la licence est octroyée.
Les autorités régulatrices ne doivent pas s’appuyer aveuglément sur les travaux des auditeurs externes. La véracité des histoires contées par les auditeurs externes doit être remise en question de temps à autre. Entre autorités régulatrices et auditeurs externes, il doit y avoir un dialogue constant et constructif sur les institutions financières soupçonnées de méfaits.
Importantly, resolution of a financial crisis must be conducted imperatively by someone or a group of officers fully conversant with the business of regulation and supervision of financial institutions from within the regulatory authority and not by anyone from outside the authority. Financial crises resolution compellingly has to be spearheaded by a level-headed officer, not by a hot-headed, wrong-headed or swell-headed person. One of the first rules of financial crisis resolution is to refrain from being loud-mouthed. If need be, the regulator must speak but sparingly; he must not over-speak and make tall promises without having taken full cognizance of the size of liabilities of the failed institutions in excess of their assets. Avoid indulgence in senseless blame game. It’s not the moment for the person in charge of the resolution to tell colourful lies through both corners of his mouth at the same time, fabricate fake news and bluff his way through. It’s also not the moment to make people believe that he is gifted with the impossible capacity to pack the whole world in a tiny mustard seed. Only a genie is gifted with this proverbial capacity. It’s certainly not advisable for the crisis manager to bounce wildly in all directions like excited molecules in an overheated-balloon. In the final analysis, irrespective of hurdles that are usually expected, he is judged by whether he produced an outcome that is a win-win position, a win-lose position or a lose-lose position for the society as a whole. Schoolyard politics does not help in effectively resolving financial crises.
 
 L’affaire BAI est-elle vraiment derrière nous??
 
En ce qui concerne la Bramer Bank, le problème a été géré en une semaine sans tambour ni trompette et cela sans qu’aucun déposant ne perde de l’argent. La défunte banque est maintenant chose du passé. Vu au travers du prisme de la transparence et de la bonne gouvernance, l’épisode de la BAI semble figé. Il est connu dans le milieu des liquidateurs des entités en faillite que les actifs doivent être vendus le plus rapidement possible. Plus l’on retarde la vente des actifs, plus grands sont les risques de voir les prix de vente descendre plus bas que la valeur réelle sur le marché. Dans le cas spécifique d’une banque, et de la révocation de sa licence, un liquidateur est immédiatement nommé et des conditions sont rattachées à sa nomination. En ce qui concerne la vente des actifs de la défunte banque, le liquidateur agit indépendamment de l’autorité qui l’a nommé. Normalement, l’autorité ne dicte pas au liquidateur sa ligne d’action. Toutefois, ce dernier est tenu de fournir au régulateur un rapport à intervalles réguliers. Les principes et le mode d’action ont été étonnamment différents dans le cas du groupe BAI. Je pense que c’est la raison pour laquelle le spectre de l’épisode BAI nous hantera pendant encore un moment.

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