Enn tigit pli tipti ki bondie…

La mafia a-t-elle infiltré le fonctionnement même de la République de Maurice de façon très inquiétante ?
Ce n’est pas nous qui l’affirmons, c’est le Premier ministre du pays en personne. Ironie : c’est lors d’une ‘National Clean-up Campaign of Motorways’, à Vacoas, dimanche dernier, 26 février, que Pravind Jugnauth a tenu ces saisissants propos.
On pourrait déjà épiloguer sur le fait qu’un Premier ministre soit en train de donner un coup de main pour ramasser des ordures balancées sur nos autoroutes par des automobilistes peu soucieux de l’environnement. Sans doute Pravind Jugnauth a-t-il voulu donner là l’image d’un Premier ministre qui n’hésite pas à se retrousser les manches et à être activement sur le terrain.
Mais son choix de « terrain » ne peut qu’interpeller alors même que le pays qu’il est censé diriger est soumis à l’urgence extrême qu’il énonce lui-même.
Interrogé par la presse sur « l’affaire Franklin » alors qu’il s’affairait donc à ramasser des ordures sur nos routes, le Premier ministre a eu ces propos : « Je suis très très inquiet quand je vois combien cette mafia-là a de l’influence sur certaines personnes dans certaines autorités, certaines institutions. Les choses deviennent un peu plus claires sur la nature de leur influence ».
N’importe qui d’autre aurait tenu ces propos aurait aussitôt été taxé d’anti-patriotisme par le pouvoir en place. De fait, les leaders politiques de l’opposition se sont aussitôt saisis de ces propos pour mettre en exergue le tort que cette déclaration ne peut manquer de causer à la réputation internationale du pays, avec toutes les répercussions qui sont susceptibles d’en découler. Parce que là, ce n’est pas le quidam dan kwin laboutik qui le dit. C’est le Premier ministre et ministre de l’Intérieur du pays. Et l’on ne peut, perplexe, que se demander s’il a pleinement mesuré la portée de ses paroles. A quel point elles mettent en cause sa propre direction des affaires du pays, lui-même qui est aux commandes de ce pays depuis 2019. Et quelles commandes. Un pouvoir tellement omniscient et tentaculaire que toutes les demandes de réformes de notre système politique ne cessent d’insister sur la nécessité vitale de changer un système qui concentre autant de pouvoirs entre les mains d’un seul et unique homme, le Premier ministre.
Celui-ci a clairement pensé tirer là un capital politique. Dans le reste de sa déclaration, outre de dire qu’il veillera à ce que la loi soit respectée, il affirme ainsi, sur un ton polémique, que « nous allons voir qui a vraiment la conviction politique de combattre la mafia de la drogue, et qui cherche à se mettre dans leur camp et à soutenir et aider ces présumés-criminels ».
Mais n’est-ce pas un peu court ?
Chaque jour, nous sommes un peu plus ensevelis sous les informations qui filtrent sur les ramifications, protections, couvertures, avantages, connections, clairement, les pouvoirs exponentiels dont disposent des personnes appartenant à la mafia de la drogue. La police n’est pas en reste dans cette mise en cause. Et la dernière déclaration tonitruante du commissaire de police ne vient pas arranger les choses.
Le cas Franklin, qui est sorti et rentré à Maurice sans être autrement inquiété alors même qu’il est sous le coup d’une condamnation à La Réunion pour trafic de stupéfiants, cristallise le fait que de gros trafiquants de drogues dures se baladent en toute impunité chez nous. Ce que l’on ne peut que mettre en miroir avec l’arrestation de l’activiste politique Bruneau Laurette en novembre dernier, la police affirmant avoir trouvé 42kg de haschich dans le coffre de la voiture de cet homme qui se savait pourtant considéré comme ennemi n°1 par le pouvoir en place depuis qu’il avait réuni plus de 100 000 manifestants dans les rues de la capitale en août 2020, et qui a fait quelques jours avant son arrestation de graves allégations sur des complicités mafia-police… Quatre mois après son arrestation, il a finalement été libéré lundi dernier sous des conditions d’une sévérité que l’on n’a pas souvenir d’avoir vue chez nous.
Pour retrouver la liberté conditionnelle, Bruneau Laurette a donc dû verser deux cautions de Rs 1 million chacune, signer une reconnaissance de dette de Rs 50 millions, doit avoir en permanence sur lui un téléphone portable que la police s’est chargée d’équiper d’un GPS, ne doit pas s’approcher de nos côtes de moins de 500 mètres, doit se rapporter à la police deux fois par jour, et n’a pas le droit de quitter son domicile entre 20h et 5h. Et, poussant le “professionnalisme” jusqu’au bout, la police est venue inspecter la maison de sa compagne où il a choisi d’habiter à sa sortie de prison. ça oui, direz-vous, on ne badine pas avec la loi à Maurice…
Si le bureau du Directeur des Poursuites Publiques a d’abord signifié qu’il comptait faire appel de la décision de la magistrate d’accorder la liberté à Bruneau Laurette à ces conditions ultra-strictes, il est revenu quelques jours plus tard sur cette annonce, signifiant qu’il n’objecterait pas et que Bruneau Laurette pouvait être libéré. Ce qui a provoqué l’ire de notre commissaire de police. Alors que son fils venait à peine de bénéficier d’une grâce présidentielle réduisant sa condamnation de 12 mois de prison pour détournement de fonds à Rs 100 000 d’amende, suprême et superbe grâce, le chef de la police s’est dare dare fendu d’un communiqué furibard où il s’attaque directement au DPP. Et qualifie sa décision de « evil precedent ».  Evil. Le mot fait frémir.
Le collapse de nos institutions n’a jamais été aussi évident. Car voilà un commissaire de police qui, faisant fi du principe de séparation des pouvoirs censé régir une démocratie, s’arroge le privilège d’attaquer une décision du DPP avec une virulence débridée. Pour tout autre citoyen, cela équivaudrait à un contempt passible d’arrestation. Pire : le communiqué vengeur du commissaire de police est émis par le Government Information Office… S’il y avait encore une possibilité de contester ceux qui affirment que la police mauricienne ne maintient pas la distance nécessaire vis-à-vis du gouvernement au pouvoir, les concernés semblent s’être chargés d’en apporter eux-mêmes la preuve…
Alors que les signes de panique se multiplient, alors que des journalistes sont convoqués et interrogés under warning, alors que des manifestants sont arrêtés, le surgissement du discours dieu-diable dans la sphère publique et officielle doit nous alerter.
A peine libéré, Bruneau Laurette a martelé son allégeance à « Dieu ». S’exprimant en des termes qui apparentent son combat politique et social à une sorte de mission divine. Cela lui appartient. Mais il serait légitime de s’en préoccuper. Quand cette fois un commissaire de police, représentant d’une institution démocratique, vient parler de « précédent démoniaque », on a tout lieu de s’inquiéter.
L’activation de ce paradigme n’est jamais loin chez nous. Lorsque certains sentent le terrain leur glisser sous les pieds, la réaction est toute trouvée : c’est là que surgissent les attaques ethnico-religieuses (qui sont en plein déferlement ces jours-ci sur les réseaux sociaux à travers faux profils et sites qui « s’éclipsent » aussitôt leurs attaques lancées), c’est là que l’on se pare de l’arme du combat divin. Et cette arme-là est à double tranchant : si certains peuvent estimer qu’il leur est légitime, face à l’adversité, de se placer sous sa protection, l’usage offensif que peuvent en faire d’autres n’est jamais loin. Et quand on sait, à travers l’histoire, les abus qui n’ont cessé d’être perpétrés au nom de dieu, on se dit, diable, que la vigilance est plus que jamais de mise…

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