Caudan Arts Centre – exposition jusqu’au 2 mai : Bouleversantes Blessures

Pour sa deuxième exposition solo, qui survient 18 ans après la première, Rishi Seeruttun présente 23 tableaux qui mettent en lumière « l’art du brûlage », dont il serait en passe de devenir maître pour parler « de la condition humaine, environnementale et des conflits », et surtout des moments difficiles qui ont jalonné sa vie et qui « continuent d’être présents ». Mais « ce n’est pas fini; il y en aura d’autres », dira-t-il au Mauricien, qui l’a rencontré cette semaine au Basement du Caudan Arts Centre. Wounds sera visible jusqu’au 2 mai.

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Du jeans auquel il met le feu, il en a fait sa signature. Formé à l’université de Maurice en Textile Technology, à l’École des Beaux-Arts du Mahatma Gandhi Institute et au National Handicraft Centre, Rishi Seeruttun a développé une maîtrise quasi parfaite des matières choisies pour son expression artistique – du jeans, de la peinture, des produits chimiques, dont il souhaite garder le secret et le feu. Le tout sur un fond de bois, du contreplaqué plus précisément ; une fois l’œuvre terminée, il la lave pour éliminer tout excédent de produits.

Cela fait 30 ans que Rishi Seeruttun a commencé à peindre sur du jeans. « Tout simplement, parce que je n’avais pas assez d’argent pour acheter des canevas à l’époque. » Et le feu est entré brutalement dans sa vie une semaine avant son mariage. « Ma maison avait pris feu. Tous les tissus que j’avais stockés avaient été brûlés. Je me suis assis et je les ai regardés. Je me suis dit qu’au lieu de les jeter, je vais en faire quelque chose et c’est là que l’idée m’est venue. »

S’appuyant sur des notions scientifiques apprises au cours de sa formation en Textile Technology, il en fait une force artistique. « Je prépare d’abord le tissu et la peinture à laquelle je rajoute du produit chimique. Ensuite, j’y mets le feu. Il est important de tout bien doser. S’il y a trop de produits, le tissu risque de cramer ; s’il y a trop peu, il n’y aura pas de réaction. Parfois, je reviens dessus avec un chalumeau pour apporter des précisions, selon ce que je veux montrer. »

S’il n’est pas en mesure de dénombrer la quantité d’éléments utilisés pour la présente œuvre, constituée de neuf pièces carrées ou rectangulaires et 14 circulaires, il précise que cela s’est fait à mesure avec du jeans usé récupéré. « J’ai commencé par mes jeans. Quand mon petit stock s’est épuisé, j’ai fait appel à des amis. Je n’utilise que du vieux jeans. »

Une poche de jeans éventrée d’où coule le sang figure sur le carton d’invitation. Un symbolisme fort, qui dérange même parfois, pour traduire la fragilité d’un être qui semble fort de l’extérieur. « Le jeans est un des textiles le plus dur qui puisse exister. Et là, il n’est que façade ! On peut voir l’impression que quelqu’un est très fort mais on ne sait pas ce qui se passe à l’intérieur. »

Ce tissu éventré reviendra de part et d’autre dans son œuvre, comme un fil rouge. “Scars”, conçu à partir d’une paire de jeans portée par une victime de viol, traduit la violence perpétrée malgré la robustesse du tissu et la fragilité de l’être qui a perdu “son innocence” à travers cet acte. On le retrouvera aussi dans le tableau intitulé “Nobody hurts me like I do”. Un travail concrétisé après celui de “De battre mon cœur s’est arrêté”, qui a fait suite à une crise cardiaque vécue par l’artiste. « J’ai compris que je devais améliorer la qualité de ma vie en adoptant une bonne hygiène. Malgré cela, je n’ai rien fait. Je sais que je suis malade mais je continue à mener la même vie qu’avant. Ce travail (ndlr : Nobody hurts me like I do) est représentatif de mon for intérieur : les mouches représentent les impuretés que je continue à attirer. » Pourtant, il est tout à fait conscient qu’« il faut souvent se recadrer pour avancer ». Une idée qu’il transmet au visiteur à travers “So many ships in the high seas” et que ce dernier aura déjà rencontrée avec le tableau “Rescue me”. « Si je ne me sauve pas, qui le fera ? » lance-t-il en toute conscience.

Rishi Seeruttun est en perpétuel mouvement de réflexivité et d’exploration technique et artistique. « Chaque pas que je fais en est un nouveau qui me fait avancer », laisse-t-il entendre. Il met un point d’honneur à parler de l’évolution de son travail avec l’incorporation de l’impression numérique “direct to print” et l’utilisation du plastique.
Troublé par le chaos et la destruction, l’art devient exutoire pour Rishi Seeruttun. « Cela me soulage. Cela n’arrête pas. J’ai toujours travaillé sur ma vie. D’ailleurs, il faut qu’il se passe quelque chose pour que je puisse travailler. J’exorcise mes démons à travers l’art. »

En brûlant d’abord, et en lavant ensuite.
Ainsi, dans certains œuvres, il laisse parfois entrevoir une lueur d’espoir : la petite porte blanche dans “The Art of self destruction-Broken”, qui renverrait aux dialogues entre nations qui auraient pu mettre un terme aux guerres ; la solidarité et l’amour familial avec “Il était un… ”, en référence à « Il était un petit navire », mais où avec sa famille, il encadre un de ses enfants souffrant d’une maladie génétique rare et ils avancent comme un seul corps ; ou encore avec le diptyque “Résonnances I” et “Résonnances II”, qui rappelleraient la fuite des migrants dans des embarcations de fortune, aux périls de leurs vies, avec çà et là, quelques poissons « symboles de liberté ».

Des références bibliques sont également explorées par l’artiste pour, par moments, dénoncer « des conflits dans le couple ». Il invite à une réflexion sur « les origines ». Car, dit-il « on ne sait pas ou cela commence, on ne sait pas ou cela va finir ».
L’ensemble de son œuvre relève d’un magnifique travail artistique et technique qui repose sur une réflexion profonde. Le résultat peut cependant être dérangeant pour le visiteur. Bouleversant même!

Wounds a bénéficié du soutien financier du National Art Fund. Un catalogue d’exposition édité par Nextart Factory l’accompagne. L’exposition est donc visible au Basement du CAC, jusqu’au 2 mai. L’entrée est gratuite.

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