En marge de la Fête du Travail : Maurice Curé, un personnage énigmatique

Le Dr Maurice Curé a marqué l’histoire du pays pendant la période 1919-1967. Il est resté pour certains un personnage énigmatique. S’il n’avait pas été le fondateur du Parti Travailliste et le père du syndicalisme mauricien, il aurait été relégué par d’autres aux rangs des réactionnaires. Moonindra Nath Varma dans « Profiles of Great Mauritians » décrit le Dr Curé comme une calamité publique, tant l’action politique de celui-ci semblait conservatrice et antidialectique.

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Il existe dans les faits deux phases distinctes de la vie politique de Curé. La première commence avec l’épisode de la rétrocession de l’île Maurice à la France (1919-1921) et le combat anticapitalisme de Curé (1935-1941). Le 1er Mai 1941, en effet, il abandonne la direction du Parti Travailliste entre les mains d’Emmanuel Anquetil. La seconde phase débute à partir de 1947 et prend fin en 1967.

Pendant cette période, il a agi beaucoup plus en tant qu’individu tantôt manipulé par les forces en présence (l’épisode du Parti Travailliste des Travailleurs, son retour au sein du Parti Travailliste en 1963); tantôt prenant des positions qui n’engageaient que lui-même (sur la Constitution de 1947, le rapport Banwell).

Durant cette seconde phase c’était beaucoup plus un homme aigri, dépassé par les événements, coupé de la lutte des classes et de la dialectique du combat anticolonial qui parlait et qui agissait. Quand il se porta candidat indépendant contre le Parti Travailliste aux élections de 1967, il avait 81 ans.

Le Dr Curé, appartient dans une certaine mesure aux travailleurs et il est de notre devoir, à l’occasion du 50e anniversaire du 1er Mai 1938 de contribuer à cerner le personnage qu’il était pendant la première phase de sa vie politique.

L’épisode rétrocessioniste

Notre histoire a été marquée par une première démarche à la fin du dernier siècle pour le rattachement de Maurice à l’Empire de l’Inde. C’était l’époque où ce pays était notre principal importateur de sucre. En 1948, la classe possédante à travers Le Cernéen de NMU propose l’union de Maurice avec l’Afrique du Sud pour échapper à la menace communiste.

Enfin en 1967 le PMSD de Duval propose l’intégration de Maurice à l’Angleterre. Toutes ces démarches avaient des motivations politiques et économiques bien spécifiques. Pourtant, et cela sans raisons valables, l’épisode de l’auto-détermination sur la rétrocession de Maurice à la France est expliqué différemment. Voyons les faits.

L’opposition de l’Action Libérale d’Eugène Laurent contre l’hégémonie économique et politique des grands propriétaires sucriers groupés derrière le Parti de l’Ordre d’Henri Leclézio ne prit pas la dimension de révolution bourgeoise attendue. Le conflit de classes pour un partage de pouvoir politique entre la bourgeoisie libérale et l’oligarchie sucrière, exprimée contre la Constitution de 1885 et contre la concentration du pouvoir économique entre les mains d’un petit groupe de barons sucriers se termina en une révolte qui secoua la société mauricienne en 1911.

Curé n’a pas été l’instigateur du mouvement rétrocessionniste. Il n’a été qu’un fervent activiste. D’ailleurs ce projet datait de 1909 et avait été repris dans des années 1912-13 quand un document sur la proposition, produit pas Action Libérale fut publié. Notre tâche est donc de savoir si, comme l’expliquent les historiens, la démarche de ce mouvement n’avait qu’une seule motivation: un retour à la source et à la culture française.

Front Populaire

Il faut retenir certains faits. Le mouvement rétrocessionniste avait agi juste après la première guerre mondiale. Dans le monde l’impact de cette guerre était grand. La révolution russe de 1917 aussi. Aux Etats-Unis le président Wilson parlait du droit des peuples à l’autodétermination. En France c’était l’euphorie nationaliste avec le retour à la France de l’Alsace et de la Lorraine.

Sur le plan économique la France était en pleine récession. Le franc subissait des dévaluations répétées. Le chômage était important. La grande grève de mai 1920 avait ébranlé la base économique de la société capitaliste française. La CGT avait marqué une grande victoire syndicale avec l’introduction de la journée de huit heures.

C’était aussi l’époque de l’expansion du parti et de l’idéologie communiste et du grand débat sur la proposition de Lénine pour que les socialistes se retrouvent au sien de la Ill e internationale. C’était surtout le grand débat sur le marxisme et le socialisme de Jaurès. Débat mené à l’époque par Léon Blum qui avait pris la direction du mouvement socialiste après l’assassinat de Jaurès en 1914 et qui devait en 1930 constituer le premier gouvernement socialo-communiste du Front Populaire. Voilà la toile de fond.

A l’île Maurice la situation était différente. La situation économique était plus florissante que jamais avec le boom sucrier de 1920 qui générera des revenus de Rs 250 millions. C’était aussi le temps de la consolidation économique des petits planteurs.

Quant à l’oligarchie sucrière elle était depuis longtemps acquise à l’Angleterre, principal acheteur du sucre mauricien. Sur le plan politique elle avait bénéficié des concessions constitutionnelles importantes dans l’esprit de l’accord de de Caën (1810), Abercombie et de le traité de Paris de 1814. Elle était contre la rétrocession parce que cela allait à l’encontre de ses intérêts politiques et économiques.

La démarche de Laurent, Enouf, Abbardie et de Curé, n’était-elle pas une démarche tactique dans la mouvance de la lutte de classes contre l’oligarchie sucrière.

Deux classes
Le retour de Curé à la politique active en 1947, avec la nouvelle Constitution, n’est pas une coïncidence. Il se perd cependant entre les nouvelles forces bourgeoises. Les nouveaux dirigeants de la bourgeoisie libérale avaient pour noms E. Millien, R. Rault, G. Forget, S. Ramgoolam, R. Seeneevassen, Dupré, Roy….

Les deux classes de la bourgeoisie libérale se regroupent avec l’entrée de Ramgoolam au sein du Parti Travailliste le 1er Mai 1951. Objectivement donc la démarche de Curé ne doit pas être considérée comme étant une qui soit contraire dans le fond aux aspirations de la classe politique d’alors.

En effet le Parti Travailliste a guidé la classe ouvrière vers la révolution objective contre le système capitaliste. Il entreprit finalement à compléter le travail que l’Action Libérale avait commencé avant la première guerre mondiale.

Alors! Comment accepter que l’histoire soit sévère envers celui qui fonda parti Travailliste et qui fut le père du syndicalisme mauricien? Curé un homme profondément progressiste. C’est un fait. Mais c’est aussi un fait qu’entre 1935 et 1941 il mobilisait et conscientisait la classe ouvrière contre le capitalisme et aidait à créer des syndicats et un parti politique pour que la lutte des travailleurs soit organisée et structurée.

Alain Laridon

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