Frédéric Bontems, ambassadeur de France : « Le défi pour moi est de réussir à améliorer une relation déjà excellente »

Le nouvel ambassadeur de France, Frédéric Bontems, qui est en poste depuis le début du mois, explique dans cette première interview accordée à Le-Mauricien sa volonté « d’améliorer une relation qui est déjà excellente ». Il présente les relations entre la France et Maurice comme étant confiante, chaleureuse et équilibrée. Frédéric Bontems compte une trentaine d’années de carrière dans la diplomatie française. Spécialiste du développement, il a aussi été étroitement associé à l’organisation de la COP 21, qui a débouché sur l’accord de Paris. Il est aussi été envoyé spécial de la France au Sahel, où la situation connaît actuellement une dégradation.

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Vous avez été très actif à votre arrivée à Maurice et avez déjà rencontré tous les dirigeants du pays. Dans quel esprit abordez-vous votre mission à Maurice ?
J’ai eu un grand privilège. Je suis arrivé à Maurice un lundi soir et le mardi matin, j’ai été reçu par le président de la république pour lui présenter mes lettres de créance. J’ai le sentiment que c’est presque un record de présenter les lettres de créance officielles le lendemain ou quelques heures après l’arrivée dans l’île. Cela témoigne de la très grande qualité de nos relations bilatérales.

J’ai en effet rencontré le président de la république, le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères, et partout j’ai eu le sentiment qu’il y avait entre la France et Maurice une relation confiante, chaleureuse et équilibrée. J’ai travaillé dans les régions d’Afrique où la relation avec la France est plus compliquée. Elle est marquée par un passé avec ses éléments extrêmement positifs et importants qui ont forgé une communauté de destin, mais également avec des éléments plus compliqués à gérer, susceptibles parfois de créer une forme de tension. Ici, ce n’est pas le cas; je sens une relation équilibrée et confiante.

Dans un premier message diffusé depuis votre arrivée à Maurice, vous placez celle-ci dans un contexte international et régional particulier. Pouvez-vous nous en parler ?
Nous sommes confrontés aux mêmes enjeux qui sont devenus plus globaux. Ils sont régionaux ou ceux de l’Afrique ou du monde. En Afrique, nous relevons aujourd’hui une forme de compétition de puissances avec, en particulier, le rôle de la Russie, et nous le voyons très particulièrement dans la partie sahélienne, dont je m’occupais précédemment, avec une forme d’emprise à travers le groupe Wagner, et qui peut avoir un rôle de déstabilisation bien au-delà de cette région. Nous voyons également les enjeux sur un mode de compétition normale et plus conforme aux pratiques internationales avec un certain nombre de puissances émergentes, comme la Chine, l’Inde, la Turquie et autres, qui essaient de jouer un rôle plus important que par le passé en Afrique.

Maurice n’est pas à l’écart de ces grands courants des relations interétatiques. Au-delà de cela, et plus fondamentalement, il y a des défis mondiaux qui sont les mêmes pour Maurice, l’Afrique ou la France. Je pense au réchauffement climatique et à la préservation de la biodiversité, qui sont des équations lourdes et d’autant plus sensibles à Maurice, qui est un petit Etat insulaire et est beaucoup plus affectée par le changement climatique.
D’autres problématiques globales existent, telles que les réflexions au niveau international pour refonder le multilatéralisme et essayer de promouvoir un ordre financier mondial prenant mieux en considération les besoins des États. Ce que la France a essayé de faire au mois de juin dernier avec le sommet pour le financement mondial afin de voir comment nous pourrions améliorer les choses. Nous évoluons donc dans un environnement compliqué sur lequel nous sommes côte à côte pour essayer de trouver une solution.

Ce sont aussi des questions qui sont à l’agenda du sommet des BRICS en Afrique du Sud en ce moment…
Nous ne sommes pas aujourd’hui sur une vision trop unipolaire des relations internationales. Il y a beaucoup d’acteurs, et il y a un certain nombre d’initiatives. Il s’agit de voir concrètement ce que cela signifie. Quels sont au-delà des déclarations d’intentions les effets concrets de ce qui est fait? Lorsque nous regardons ce que nous avons essayé de promouvoir au niveau français depuis quelques années, qu’il s’agisse de réagir par rapport à la pandémie de Covid, qui fait partie des défis auxquels nous sommes tous confrontés, ou les dispositifs de sécurité que nous avons mis en place, notamment avec Maurice. Il y a eu des soutiens financiers permettant à l’économie mauricienne de se montrer plus résiliente par rapport aux impacts de la pandémie.

Nous avons porté au niveau international les réflexions sur le financement des économies affectées par la pandémie, dont une augmentation des droits des tirages spéciaux (DTS) et la réaffectation des quotas des pays développés pour les pays en développement. Il y a aussi le financement que nous pouvons apporter via l’Agence française de développement. Nous avons essayé à chaque fois d’avoir des réponses extrêmement concrètes, pratiques. Nous espérons que les pays émergents réunis au sein des BRICS pourront apporter le même type de réponse. Nous ne l’avons pas beaucoup vu jusqu’à présent. J’espère que nous verrons des manifestations concrètes.

Vous êtes à Maurice, qui se présente comme le carrefour entre l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Est-ce que vous l’inscrivez dans un contexte de stratégie indopacifique ?
Maurice appartient géographiquement et politiquement au continent africain. Elle est membre de l’Union africaine, bien naturellement. Elle est un acteur essentiel de la zone de l’océan Indien et au sein de la Communauté de l’océan Indien. Maurice est également acteur de l’Indopacifique, tant l’histoire de l’île et son peuplement, très largement d’origine indienne, ainsi que son positionnement sur les routes maritimes stratégiques en direction de toute la zone du pacifique.

C’est la même chose pour la France. Nous sommes présents ici à travers La-Réunion. Nous sommes présents dans le Pacifique, ne serait-ce que via la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. Nous souhaitons jouer un rôle qui soit celui de la stabilisation dans une zone du monde soumise à de fortes tensions. C’est un des sujets sur lesquels nous essayons de travailler de manière très proche avec Maurice.

Quelle sera votre approche en ce qui concerne les relations bilatérales avec Maurice ?
Je suis confronté ici à un défi compliqué, à savoir d’améliorer des relations bilatérales qui sont déjà excellentes. Nous le voyons sur le plan économique. Les entreprises françaises sont largement présentes et investissent fortement. L’Agence française de Développement est un acteur extrêmement important du financement des politiques publiques mauriciennes et, très prochainement, nous aurons l’occasion de faire quelques annonces dans ce domaine qui démontreront que nous souhaitons nous positionner fortement aux côtés du gouvernement mauricien pour faire face à des défis importants.

Nous le voyons également sur le plan politique et géostratégique. Maurice fait partie des pays qui ont voté aux Nations Unies pour soutenir l’intégrité territoriale de l’Ukraine et ont dénoncé la guerre de la Russie contre ce pays. C’est un point sur lequel nous nous retrouvons totalement et sur lequel nous avons des discussions politiques, ce qui montre l’alignement entre nos approches. Il y a aussi la présence des 15 000 à 20 000 Français à Maurice, et les Français représentent 40% des touristes qui viennent à Maurice chaque année. Nos relations sont excellentes, confiantes, amicales et ouvertes.

Je voudrais cependant essayer de les porter au-delà. Mes prédécesseurs, dont Florence Caussé-Tissier, ont beaucoup travaillé dans ce sens. Je peux m’appuyer sur ce qu’elle a réalisé et sur des outils tels que l’Institut français de Maurice, qui joue un rôle extrêmement important. Ce que nous essayons de faire ici, c’est finalement d’illustrer une relation entre la France et les pays africains qui soit résolument tournée vers le futur, vers une volonté de se mobiliser ensemble sur les défis qui vous affectent comme ils nous affectent, et d’inventer ensemble des solutions pour ces nouveaux problèmes.

Votre première participation à une cérémonie officielle – à savoir l’atelier de travail sur l’adaptation aux effets du changement climatique –, donne le ton sur l’intérêt que vous portez aux questions environnementales…

J’ai été très heureux d’avoir eu l’occasion d’ouvrir avec le ministre de l’Environnement des ateliers de réflexion sur la problématique de l’adaptation aux changements climatiques à Maurice. C’est une action soutenue par l’Agence française de Développement. C’est extrêmement emblématique de ce qu’on essaie de faire. Nous ne sommes pas là pour dire ce qu’il faut faire et donner des solutions. Nous sommes confrontés en France à des défis extrêmement importants. Ces défis sont les mêmes à Maurice, à savoir gérer l’impact du changement climatique, faire face à la perte de la biodiversité, faire face à toutes les tensions en matière hydrique, et l’idée est de mettre ensemble nos expériences, de comparer nos savoirs, de regarder quels sont les défis auxquels nous sommes confrontés et quelles sont les politiques que nous essayons de mettre en place.

À partir de là, nous pouvons imaginer des solutions. Port-Louis et Paris n’ont pas les mêmes solutions. Le fait d’en discuter nous fait avoir l’esprit plus large. Un élément à prendre en considération est que toutes ces politiques d’adaptation aux changements climatiques doivent aussi être des politiques sociales. Elles concernent les luttes contre les exclusions, contre le fait que l’impact du changement climatique n’affecte pas tout le monde de la même manière.

À Maurice, cela affecte tout un chacun ainsi que tous les secteurs, que ce soit l’agriculture, le tourisme, la pêche, etc. Il est important de réfléchir ensemble sur la manière dont on peut travailler avec les plus affectés afin de minimiser cet impact et améliorer leurs conditions de vie.

J’ai été heureux de partager ces réflexions parce que dans mes fonctions précédentes, j’ai été entre 2013 et 2016 directeur du développement durable au ministère français des Affaires étrangères. Ce sont les équipes que j’encadre pour une large part qui ont conduit la négociation qui a permis d’aboutir à l’accord de Paris, à la COP 21. Je me souviens des émotions lorsque l’accord a été validé. Nous avions eu le sentiment du devoir accompli, mais aussi une sorte de vertige devant l’ampleur de ce qui restait à faire.

Nous continuons toujours de réfléchir sur la mise en œuvre de l’accord de Paris. Où en sommes-nous ?

Je crois que sur le climat, il y avait deux ou trois illusions. L’une d’elles était d’imaginer que la conclusion d’un accord sur le climat à la COP 21 allait en tant que tel résoudre le problème et que l’accord était une fin en soi. C’était une erreur. Ce serait aussi une erreur de dire que cela n’a rien changé et ne servait à rien.

Cette conférence a permis de mettre en place un outil à la fois diplomatique et juridique qui permettra au fil du temps, à travers un processus de négociation, qui sera toujours très long, compliqué et difficile, de ramener les choses sous contrôle progressivement. Nous n’avons pas beaucoup de temps devant nous. L’urgence est là. Il faut que cette pression soit suffisamment forte afin que nous restions sur les trajectoires compatibles avec un maximum de 2 °C, voire moins, de réchauffement, et le temps est maintenant compté.

Votre mission à Maurice a aussi une dimension régionale du fait que Maurice est membre de la Commission de l’océan Indien et a des relations bilatérales fortes avec La-Réunion.
Je suis frappé par la qualité des échanges entre Maurice et La-Réunion. D’ailleurs, à chaque fois que cela a été nécessaire, la France, par le biais de La-Réunion, aura répondu présente lorsqu’il fallait surmonter une difficulté. Nous avons la chance d’avoir la France comme voisine de Maurice et d’avoir à La-Réunion des ressources et des infrastructures permettant de faire un certain nombre de choses au niveau de la région et de se mobiliser, comme cela a été le cas pour le naufrage du MV Wakashio. Nous l’avons vu sur d’autres enjeux, notamment pendant le Covid, et chaque fois que c’était nécessaire, l’île sœur peut se mobiliser et elle le fait.

Il y a aussi la sécurité maritime qui fera l’objet d’une réunion à Maurice bientôt…
Il y a eu des groupes techniques qui se sont déjà réunis. Ce sont encore des enjeux qui sont communs entre les différentes îles de la région, notamment à La-Réunion. La France a un gros atout à travers des FADOI basés à La-Réunion qui permettent de jouer un rôle positif sur l’ensemble de la région. Nous sommes désireux de pouvoir travailler au niveau régional.

Au niveau bilatéral entre Maurice et La-Réunion, il y a la question épineuse de l’extradition que vous aurez à traiter…
C’est une surprise pour moi en arrivant ici de constater que des dossiers qui sont somme toute extrêmement ordinaires déclenchent une forme de passion politique très grande. Ces derniers jours, il y a eu l’extradition de Nono sur La-Réunion. C’est un processus classique qui n’appelle pas de remarques particulières. Cela fait partie de la coopération judiciaire entre États. Cela s’est fait sans difficultés particulières, avec une excellente coopération, à la fois des services judiciaires et des services de sécurité. Cet individu est aujourd’hui à La-Réunion et il sera jugé pour des délits d’infractions commises sur le sol français. Il purgera une peine. Il n’y a rien de mon point de vue qui soit très particulier. Il n’y a aucune tension diplomatique. Nous appliquons les règles des procédures applicables.

Dans le cadre de vos discussions avec les membres du gouvernement, l’idée d’un cabotage régional a été évoquée. Est-ce un domaine qui vous intéresse ?
J’ai entendu mes interlocuteurs m’expliquer qu’il y avait des projets de Maurice en la matière. C’est un problème économique compliqué. Nous avons vu pendant la période de Covid une tension au niveau mondial avec de gros besoins de transports internationaux, et pas suffisamment de bateaux. Nous sommes en post Covid aujourd’hui. Il y a plutôt une surcapacité sur le plan mondial. Les compagnies sont un peu dans le rouge pour revenir dans le vert après. Tout cela est cyclique et demande à la fois une très bonne connaissance du métier et d’avoir une capacité financière solide pour équilibrer cela dans la durée.

Je comprends que Maurice souhaite développer des capacités de cabotage pour le trafic régional avec Maurice comme hub. L’idée est intéressante, mais il faut voir ce qui se passe dans la région. Plusieurs pays ont la même stratégie. Madagascar est en train de s’équiper avec un port en eau profonde et la capacité pour jouer un rôle de hub. Nous regardons cela et nous restons à l’écoute du gouvernement mauricien en la matière.

Le mot de la fin…
Je voudrais revenir sur ce que je disais tout à l’heure. Le défi, pour moi, est de réussir à améliorer une relation qui est déjà excellente. La meilleure façon de le faire est que nous regardions ensemble dans la même direction. Le président de la république, Emmanuel Macron, a, à plusieurs reprises, expliqué qu’il voulait essayer de renouveler les relations entre la France et l’Afrique pour s’adresser beaucoup plus aux jeunes et à cette génération qui n’a pas connu le passé colonial, ni la période parfois complexe qui a suivi, mais qui sont beaucoup plus intéressés par les défis qui sont devant nous. Cela s’appelle le réchauffement climatique, la biotechnologie, l’intelligence artificielle, la réaction face aux grandes pandémies.

Nous vivons dans un monde fait de défis et d’opportunités. C’est cela qu’il faut qu’on regarde ensemble. Si jamais il fallait faire un souhait, c’est que dans trois ou quatre ans, nous puissions ensemble, Maurice et la France, mobiliser toutes les forces vives, regarder l’avenir et imaginer des solutions plus satisfaisantes pour la planète et qui puissent convenir à tout le monde.

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