La main sur le volant

Si notre planète a de tout temps eu à faire face aux calamités naturelles, certaines ayant même poussé à l’extinction d’espèces, celles-ci auront toujours trouvé leur origine dans des bouleversements d’ordre géologique, climatique, voire climato-géologique, si ce n’est lorsque l’espace et Dame Malchance nous auront envoyé des météorites. De tout temps, oui, sauf depuis quelques décennies, où un nouveau facteur est venu compliquer la donne, à savoir l’humain, ou, pour être plus précis, les activités humaines. Avec pour résultat d’induire le changement du climat en cours.

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Avec notre entrée dans l’ère industrielle, nous nous serons en effet lancés dans une course effrénée vers le progrès et le développement, ce qui nous aura demandé beaucoup d’énergie. Or, c’est justement l’énergie qui est au cœur du problème. Car jusqu’à l’heure, les sources les plus utilisées (encore aujourd’hui à plus de 80%) sont d’origine carbonée. Et l’on connaît l’incidence de ces composés volatils une fois « consommés » sur le système Terre. Le bon sens voudrait donc que l’on réduise notre impact, voire carrément que l’on le stoppe. Le souci, c’est que nos sociétés sont (toutes) construites autour du capital, et plus exactement sur la croissance. Facteur inventé d’ailleurs de toutes pièces par Sapiens pour justifier son besoin, là aussi croissant, de « création de développement ».

Face au dilemme du changement climatique, et contre lequel l’on ne peut rien (la chimie est ce qu’elle est, et une molécule de dioxyde de carbone ou de méthane aura toujours des effets délétères dans notre haute atmosphère), nos têtes pensantes se triturent les méninges afin de trouver « La » parade qui pourrait nous éviter le désastre tout en conservant intact le système. Ce qui, dans la conjoncture, est totalement impossible. Mais ce qui paraît comme une évidence aura cependant pris beaucoup (trop) de temps pour atteindre les hautes sphères décisionnelles. Y compris au niveau de l’élite économique, qui commence à peine à comprendre que leur sacro-saint modèle n’est pas immuable. Et mieux encore : qu’il se doit de bouger.

Raison pour laquelle l’on assiste aujourd’hui à la prise en compte de la possibilité de s’orienter vers une décroissance mondiale, certains experts et économistes allant même jusqu’à en étudier son possible impact. Ce qui n’avait jamais été fait jusque-là, alors que le concept a déjà plus de 50 ans. Et, chose étonnante, comme l’atteste d’ailleurs un article publié le mois dernier dans Economic Systems Research, un modèle de décroissance ne serait pas une mauvaise chose en soi.

Certes, hormis quelques politiques n’ayant rien compris à l’affaire, nous savions déjà que la décroissance ne signerait aucunement un retour à l’âge de pierre, mais en mesurer des effets positifs semblait jusqu’ici exclu du champ du possible des experts en économie. Ainsi, grâce à un modèle de simulation informatique ont-ils pu en déduire que des « réductions rapides des émissions (carbone) » dans un pays riche (l’Australie, dans le cas de cette étude) seraient non seulement possibles dans des scénarios de croissance réduite ou nulle, mais que cette réduction pourrait même s’opérer avec la décroissance « plus rapidement que dans pratiquement tous les scénarios d’atténuation les plus ambitieux décrits dans la base de données des scénarios du 6e rapport d’évaluation du GIEC ». Et ce, bien entendu, sans avoir à « trop toucher » à notre économie de marchés.

Si tout cela semble plutôt réjouissant, il nous paraît important de tempérer cet excès d’enthousiasme. En premier lieu parce qu’il ne s’agit que d’une étude, et qu’une étude n’aura jamais réussi à convaincre des armées d’imbéciles. En outre, si l’on peut afficher notre satisfaction de cette prise de conscience, celle-ci arrive un peu tard. D’autres économistes, à l’instar de l’expert en risques systémiques Arthur Keller, ont déjà démontré que la décroissance n’était plus envisageable. Et ce, principalement du fait que, tout comme la croissance (ou les modèles verts impliquant des « transitions »), la décroissance implique des paliers, et que pour atteindre nos objectifs climatiques, cela prendrait donc trop de temps. Temps dont nous manquons !

Pour résumer, en l’état, la décroissance n’est pas/plus une option. Le mur est désormais trop près de nous et rétrograder ne nous permettra pas de nous le prendre, avec tous les dégâts que cela implique. Quant au demi-tour, s’il est toujours théoriquement possible, les chances que l’on opère à temps la manœuvre semblent rédhibitoires. Il faut dire aussi que trop de monde se dispute le volant !

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