Malenn Oodiah : « Le Financial Crime Commission Bill s’attaque aux piliers de notre démocratie »

Dans un entretien accordé à Le-Mauricien en fin de semainen dernière, Malenn Oodiah, observateur politique et social, tire la sonnette d’alarme sur les risques que représente la Financial Crime Commission pour les piliers de la démocratie à Maurice. Il estime que les garanties données par le Premier ministre, Pravind Jugnauth, que les pouvoirs du DPP ne seront pas affectés ne sont que théoriques. Il craint que cette structure légale soit utilisée comme une tronçonneuse  contre la démocratie et les opposants politiques dans la perspective des élections générales prévues pour l’année prochaine.

- Publicité -

Avez-vous été surpris par le fait qu’un parlementaire de l’opposition, en l’occurrence Mahend Gungaparsad, ait cité un de vos commentaires dans son intervention dans le cadre des débats sur le FCC Bill mardi dernier ?

Effectivement, un ami avait attiré mon attention à ce sujet. C’est toujours bon de voir que nous sommes entendus. En fait, il a repris l’extrait d’un texte que j’ai mis sur ma page Facebook. J’en ai rédigé trois sur ce projet de loi. Dans un premier texte, j’avais parlé de coup d’Etat constitutionnel parce que cette législation s’attaque aux piliers de notre démocratie, à savoir la séparation des pouvoirs et l’indépendance des institutions stratégiques. À mon avis, c’est l’aboutissement d’une série d’initiatives prises par le régime avec le commissaire de police pour s’attaquer au Directeur des Poursuies Publiques.

L’État de droit et la séparation des pouvoirs constituent les bases de notre démocratie. Il est inacceptable qu’on puisse s’attaquer à la Constitution qui garantit les droits fondamentaux et la liberté fondamentale. Lorsque j’ai vu ce qui s’est passé durant la semaine, j’ai constaté que beaucoup de personnes qui se sentent interpellées par cela dont les membres des partis politiques parlementaires et extraparlementaires, les corps de métiers et les citoyens concernés, ont réagi vivement. Il y a eu une levée de boucliers. C’est un bon signe. Les gens ont pris conscience et manifestent leur mécontentement contre cette législation. Nous avons un Parlement où l’alliance au pouvoir détient une majorité et un Speaker, qui ne fait pas honneur à l’esprit de démocratie parlementaire et un président de la république qui se manifeste très peu.

À bien y réfléchir, il y a une confrontation entre deux camps. D’un côté Pravind Jugnauth, avec des prétentions autocratiques et ses acolytes qui poussent vers l’adoption du FCC Bill et, de l’autre, les forces de l’opposition parlementaire et extraparlementaire dans son ensemble qui refuse la mort de la démocratie.

À première vue, cette législation vise à mettre de l’ordre dans la situation présente où plusieurs institutions mènent séparément la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent…

Théoriquement, c’est une législation qui regroupe tout au sein d’une institution pour s’attaquer à la corruption et toutes ses déclinaisons. Lorsqu’on dilue le pouvoir du DPP et soutient le commissaire de police dans ses attaques contre le DPP, on doit se poser des questions. La police est là pour faire des enquêtes et appliquer les législations, mais elle n’est pas responsable de l’administration de la justice. Elle doit opérer dans les paramètres prévus par la Constitution.

Tout le monde pense que celui qui est pressenti pour être à la tête de cette institution est le directeur actuel de l’ICAC. Ce qui veut tout dire. Nous savons comment il gère l’ICAC et est perçu comme étant à la solde du Premier ministre. S’il était nommé par une institution indépendante comme cela se fait dans le cas du DPP, nous aurions compris. Mais il est nommé par le Premier ministre après consultations avec le président de la république et le leader de l’opposition. Nous savons qu’en fin de compte le choix du Premier ministre est final.

Nous ne pouvons pas ignorer que le Premier ministre a, lors de la présentation du texte de loi, affirmé que les dispositions de cette législation n’affectent nullement les pouvoirs du DPP…

J’attire votre attention sur le communiqué diffusé par le DPP concernant la réponse du Premier ministre à une interpellation impliquant une décision de son bureau qui avait décidé de ne pas aller de l’avant avec une poursuite. Dans le communiqué, le DPP explique clairement sa position de son bureau. Il a aussi exprimé de sérieuses réserves au sujet des dispositions du FCC Bill sans entrer dans les détails. Le Premier ministre donne toujours des garanties mais il y a une différence entre ce qui est dit et ce qui est pratiqué.

Pour moi, le FCC Bill est un outil à double tranchant qui peut être utilisé contre la démocratie. Nous avons l’impression qu’avec l’approche des élections, le Premier ministre veut désespérément et à tout prix garder le pouvoir. C’est visiblement une démarche désespérée et le FCC Bill est une arme qu’il ajoute à son arsenal de guerre pour ne pas perdre les élections. Il semble qu’il ne va reculer devant rien… Il veut en finir avec toutes les oppositions pour régner en autocrate. Ses garanties ne sont que théoriques. Il est difficile de lui faire confiance. Nous verrons dans la pratique.

Dans ses discours publics pour justicier la présentation de ce texte de loi, le Premier ministre fait régulièrement référence aux coffres de Navin Ramgoolam et des dollars qui s’y trouvent. Comment voyez-vous cette démarche ?

Je parle avec beaucoup de personnes. Lorsqu’on parle des coffres de Navin Ramgoolam qui datent de 14 ans déjà, on me rappelle le nombre de scandales liés à la corruption qui ont secoué le pays depuis. Certains pensent que les Rs 220 millions trouvées dans ces coffres sont enn la mone dite. Ce n’est rien à comparer avec les richesses accumulées par certains, notamment durant la pandémie du Covid-19.

C’est vrai que cela avait un impact psychologique de voir les billets déversés de ses coffres-forts. Il y a eu son arrestation et des affaires en Cour. Mais tout cela fait partie d’un vrai problème qu’est le financement des partis politiques avec des dons faits en public et en privé. Il ne faut pas oublier que le Sun Trust aussi a bénéficié de dons.

Au Parlement, on parle des dons reçus par le MMM. Mais tous les partis sont concernés. Il est temps de mettre de l’ordre dans le financement des partis politiques. Personne ne croit qu’il y a un Monsieur Propre au niveau du MSM et que tous les autres sont des corrompus.

S’il cible le Dr Ramgoolam, c’est parce qu’il pense qu’il est le seul à pouvoir le battre lors des prochaines élections générales. Le Premier ministre est conscient de cela et va continuer à tirer l’artillerie lourde sur son adversaire principal et son principal challenger. Ce qui m’amène à dire que la FCC est une tronçonneuse pour massacrer la démocratie, la séparation des pouvoirs, les libertés et les droits fondamentaux.

Les élections électorales sont proches. Nous pouvons donc nous attendre que la campagne soit très dure…

Ce sera une campagne très dure où tous les coups seront permis d’autant plus que, comme je le disais plus haut, le gouvernement est désespéré. Face au gouvernement, il y a deux oppositions formelles, à savoir l’alliance PTr/MMM/PMSD d’une part, et Linion Moris, qui s’est engagé dans des activités politiques. Les autres partis de l’opposition ne feront pas le poids. On ne sait pas ce que la mise en œuvre de la FCC engendrera comme réaction.

Malheureusement, pendant ce temps, nous oublions tous les grands problèmes du pays, que ce soit le changement climatique, la situation économique et sociale. Nous oublions tous les bouleversements qui secouent la planète dont les guerres et la recomposition de l’ordre mondial avec la fin d’un cycle de 500 ans d’hégémonie occidentale. Nous parlons de l’émergence du Sud global. Face à cette hégémonie occidentale, nous avons des autocrates, des dictatures qui ne croient pas à la démocratie. Tout cela impactera le pays d’autant plus qu’on est au cœur de la géopolitique dans l’océan Indien. Je souhaite que nus ne devenions le vassal d’aucun pays.

Un vœu pour cette fin d’année et un souhait pour l’avenir…

L’avenir est rempli de gros nuages mais en même temps il y a beaucoup de forces, dont la jeunesse qui s’oppose au désespoir. Elle se mobilise, prend des initiatives et propose des orientations. Je m’inscris dans la dynamique de l’espoir, y compris pour la démocratie.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -