Mickaël Apaya : « Le dérèglement climatique est enclenché, nous devons vivre avec »

Mickaël Apaya, Chief Sustainability and Inclusive Development Executive du groupe Rogers, affirme dans cette interview que le dérèglement climatique est déjà enclenché et qu’il faudra vivre avec. Commentant la tenue de la COP28 à Dubaï en 2023, il estime que la reconnaissance des « pertes et dommages » constitue une avancée majeure. Il plaide également pour la création d’un cadre légal qui serait connu comme une loi de transition énergétique. « Si nous faisons cela correctement, nous serons vraiment résilients. Si nous ne l’accomplissons pas nous serons vulnérables face à toutes ces crises que nous connaissons », anticipe ce cadre du secteur privé.

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La COP28 à Dubaï continue à susciter des commentaires. Certains estiment que c’est un pas dans la bonne direction alors que d’autres soutiennent qu’elle n’a pas été à la hauteur des espérances. Qu’en pensez-vous ?
La décision d’organiser la Conference of Parties (COP) sur le climat aux Emirats-Arabes-Unis, producteur-exportateur important de pétrole et gros utilisateur des items pétroliers, a d’emblée donné lieu à des controverses. Toutefois, la définition de Conference of Parties veut que tout le monde en fasse partie. Malgré les controverses et tentatives de certains pays de boycotter la conférence, il a fallu accepter que les EAU fassent partie des Nations Unies et demeurent un acteur autour de la table. Cela a donc été une bonne chose de maintenir la conférence et de savoir comment intégrer tous ces pays dans une démarche de sortie des énergies fossiles.
Un des premiers accords conclus dès le début de cette conférence concernait les pertes et dommages. La création de ce fonds, refusée par les pays du Nord pendant longtemps, tient compte du préjudice causé par les changements climatiques sur les pays du Sud.
Un accord sur ce dossier avait capoté aussi bien lors de la COP26 que de la COP27. Le principe de pertes et dommages n’était pas reconnu. Tel est le cas désormais et c’est une grande avancée. Bien évidemment, il n’y a pas de modalités pour savoir comment créer le fonds, déterminer la contribution de chacun; et qui contribuent et qui bénéficient.
En 2015, à Paris, nous avions assisté à la création du Green Climate Fund (GCF), qui impliquait une promesse de 100 milliards de dollars par an. Le GCF n’a jamais obtenu le montant escompté. Ce qui démontre la complexité de la crise climatique. Ne faisons pas la fine bouche. Dans une COP organisée au sein d’un pays pétrolier, parvenir à déclencher un accord sur les pertes et dommages est déjà intéressant.
Les débats sur les énergies fossiles ont nécessité les prolongations avant qu’un compromis soit trouvé. Nous voyons bien la difficulté de mettre d’accord quelque 180 pays sur les différents termes. Une majorité voulait le terme « phasing out » mais finalement tout le monde est tombé d’accord sur une formulation un peu différente : « Transitioning away », terme qui a été adopté. Il faut reconnaître que nous sommes sortis d’une situation où seulement le « phasing out » du charbon était mentionné pour arriver à une situation où les énergies fossiles sont définies comme charbon, pétrole et gaz… Il n’y a pas eu de « phasing out » mais au moins nous avons trouvé le moyen de dire qu’il y aura transition. C’est là qu’il y a eu beaucoup de critiques. Certains craignent que si nous trouvons une solution concernant la captation de CO2, il serait possible de poursuivre avec les énergies fossiles. Il y existe beaucoup de petites clauses pour essayer d’autoriser lorsque c’est possible, le charbon, le pétrole et le gaz.
La captation du CO2 relève de la haute technologie qui n’est pas à la portée de n’importe quel pays. De plus, nous ne savons pas quel sera l’effet de la séquestration du CO2 sous terre sur le long terme. Il y a aussi eu la volonté de mettre en place plus d’énergies renouvelables. Certains pays ont annoncé qu’ils vont doubler la capacité de celles-ci. Finalement, la COP28 s’inscrit dans un exercice consistant à créer des accords. Chacun retourne dans son pays pour essayer de transposer tout cela dans son cadre national.

Malgré la tenue de 28 COP, nous n’arrivons toujours pas à nous assurer que la hausse de température ne dépassera pas 1,5 degré. Qu’en pensez-vous ?

Nous sommes dans les deux années critiques par rapport à la hausse de température. Le niveau de 1,5 degré est déjà dépassé, c’est-à-dire au lieu d’avoir une température moyenne de 15 degrés sur la terre, elle sera de l’ordre de 16,5 degrés ou 17 degrés à la fin du siècle. Ensuite, il faut savoir que le CO2 n’est pas uniquement une affaire de flux mais une affaire de stock. Une fois que le flux a été émis, le stock reste dans l’atmosphère pendant un bon moment. Ce n’est pas parce que nous avons décidé de réduire le flux que nous allons réduire le stock. Nous constatons une réduction de l’ordre de 3% au niveau du flux. Comme nous continuons à émettre du CO2 cela prendra plusieurs dizaines années avant d’être absorbé par la nature. Le dérèglement climatique est enclenché. Nous devons vivre avec.
Le grand problème réside dans l’équilibre entre la production et la demande. Il y a forcément des modes de vie qui sont consommateurs d’énergie. Il faut savoir quel type de développement nous voulons et quels types de solutions technologiques nous sommes prêts à mettre en place en vue de réduire cette émission.

Le président de séance Sultan Al Jaber a promis que les EAU mettront l’accent sur le développement des énergies renouvelables. Est-ce un signe d’espérance? Votre avis ?

Les énergies renouvelables constituent une partie de la solution puisqu’elles n’émettent pas de CO2 pendant son opération. Il est évident que durant la construction des équipements qui seront utilisés nous ne pourrons pas éviter les émissions de CO2. Mais dans la balance il vaut mieux se tourner vers cela plutôt que d’avoir des équipements qui émettront du CO2 durant leur opération. Il faudra aussi continuer à travailler sur la maîtrise de la demande. En tant que consommateurs, il faudra que nous soyons plus Smart dans notre façon de consommer. Un accent important devra être mis sur le Smart Grid, qui devient plus important pour Maurice. Sur un réseau très divers comme celui de Maurice, il importe d’avoir cette capacité d’absorber et de gérer l’intermittence. Il est primordial que le National Grid devienne de plus en plus Smart avec des équipements dans les différentes Stations et Sub-Stations.
La technologie existe déjà. Il faut simplement la commander et que le CEB l’installe. Ce dernier a un Smart Grid Roadmap pour pouvoir intégrer toutes les énergies renouvelables sur le réseau.

Êtes-vous optimiste qu’une solution sera trouvée rapidement ?

Je suis de ceux qui souhaitent toujours faire partie de la solution. Cela veut dire être dans l’entreprise au sein du secteur privé. J’aime être dans le Vortex. S’il y a une transformation à mener, le secteur privé est en mesure d’y parvenir.
Faire partie de la solution veut dire que nous sommes optimistes. Il faut pouvoir assez rapidement trouver les équipements mais aussi expliquer à la population et aux consommateurs comment changer le comportement et les habitudes parce que nous n’aurons pas toujours tout en abondance comme nous l’avons pu l’avoir lorsque nous brûlions les énergies fossiles. S’il faut réinventer un monde avec de l’optimisme, un monde où il y a une paix sociale qui reste garantie, il faudra pouvoir structurer la consommation et les habitudes du consommateur autour de ce qui est utile et ce qui est suffisant afin de savoir comment on se prépare dans les moments les plus difficiles. Le président Macron disait récemment que c’est la fin de l’abondance. Cela veut dire comment nous nous préparons à des périodes qui ne seront pas aussi fastes.

Comment le Biomass Framework s’inscrit-il dans cette démarche de transition énergétique ?

Nous avons une feuille de route générale qui prévoit 60% d’énergies renouvelables en 2030. Dans cette stratégie-là, le Biomass Framework constitue un pilier. Sans ce pilier, il sera très difficile d’atteindre les objectifs fixés. Il faut en vue d’attirer le privé trouver le juste prix. Rs 3.50 pour la bagasse. Cela peut aller. Mais Rs 3.50 pour une offre biomasse qui demande de faire de l’agroforesterie, de mettre en place une filière pour couper et avoir des Wood Chips, etc, c’est autre chose. Cela ne peut pas être à Rs 3.50. Sur la base des modélisations que nous avons effectuées au niveau du secteur privé, le coût devrait tourner autour de Rs 4.50 et Rs 5.50 pour arriver à une filière viable où le secteur privé pourra investir.
Oui, il y a un écosystème, une feuille de route ainsi que le Biomass Framework, il ne manque pas grand-chose pour être à 100% sur un rythme qui permettra d’accélérer et d’atteindre l’objectif final.
Il y a quelques éléments qui manquent. Dans la Nationally Determined Contribution (NDC) présentée par Maurice lors de la COP26 à Glasgow, il était prévu d’avoir 40% d’énergies renouvelables en 2030 avec retrait du charbon dans le mixte énergétique. Si nous voulons manifester une volonté plus importante, je suis d’avis qu’il faudra traduire tout cela dans un cadre légal comme cela existe dans des pays étrangers. Ce qui permettra de restructurer tous les règlements. Ce qui donnerait plus de pouvoir aux autorités publiques dans la mise en œuvre. C’est cela le défi à relever.

Un mot de la fin.

Il y a tous les bons ingrédients que ce soit du côté de la société civile, du secteur privé, des ONG ainsi qu’au niveau des engagements pris par l’État mauricien sur le plan international. Allons inscrire tout cela dans un cadre légal à Maurice, qui serait connu comme une loi de transition énergétique. Si nous faisons cela correctement, nous serons vraiment résilients. Si nous ne l’accomplissons pas, nous serons vulnérables face à toutes ces crises que nous connaissons.

« Ne faisons pas la fine bouche. Dans une COP organisée dans un pays pétrolier, arriver à déclencher un accord sur les pertes et dommages est déjà intéressant ».

« Le grand problème réside dans l’équilibre à trouver entre la production et la demande. Il y a forcément des modes de vie qui sont consommateurs d’énergie. Il faut savoir quel type de développement on veut et quels types de solutions technologiques que nous sommes prêts à mettre en place en vue de réduire cette émission »

« Si on veut manifester une volonté plus importante, je suis d’avis qu’il faudra traduire tout cela dans un cadre légal comme cela existe dans des pays étrangers. Ce qui permettra de restructurer tous les règlements. Ce qui donnerait plus de pouvoir aux autorités publiques dans la mise en œuvre. C’est cela le défi à relever »

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