PENSEURS DU SUD : Charlotte Maxeke (1874-1939)  pense et panse le monde

Dr JIMMY HARMON

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La première contribution à la rubrique « Penseurs du Sud » s’intitulait « Samir Amin, baobab de la pensée ». (Le Mauricien – Forum, 14 septembre 2021).  Il est question cette fois-ci de la particularité de la Femme dans la matérialisation de la pensée du Sud.

La Femme

La récente publication « Women in the making of Mauritian History » (CSRI, 2021), dirigée par Vijaya Teelock, nous donne un nouvel éclairage sur l’histoire de la Femme mauricienne. Dans l’introduction, les éditeurs observent que ‘the historical experience of women has been neglected in mainstream history books and second and more importantly, how neglect of this history has impacted the role, self-esteem, and place of women in contemporary Mauritius’ (p.1).

En 2015, l’ancien journaliste Jean Clément Cangy du journal Le Mauricien publiait « 15 figures féminines pour toutes les saisons » aux éditions du Centre Nelson Mandela Pour la Culture Africaine. Par le biais de « 15 figures féminines afro-américaines », l’auteur écrit dans la préface vouloir rendre « un hommage à toutes ces femmes noires, dont on ne parle pas assez, à ces combattantes de la première heure qui ont su se forger un destin qui force le respect, tout à leur honneur et à l’honneur de la diaspora noire à travers le monde ». Dans cette optique, le travail de recherche mené par la Sud-Africaine Thomaza April est intéressant à plus d’un titre. En 2012, elle soutient avec succès une thèse de doctorat intitulée ‘Theorising women: the intellectual contributions of Charlotte Maxeke to the struggle for liberation in South Africa’ avec l’Université du Cap. Son travail est considéré depuis comme du ‘groundbreaking research’…

Trajectoire intellectuelle

La Sud-africaine Charlotte Maxeke (née Manye) est née le 7 avril 1874. Elle entreprend ses études secondaires chez les missionnaires de l’Église Méthodiste du Edwards Memorial School. En 1891, sa soeur Katie et elle se joignent à la Chorale ‘African Jubilee’. La chorale fait une tournée en Europe durant deux ans. Elle donne même une représentation pour la Reine Victoria. Puis le succès amène ses membres à se rendre aux États-Unis. Malheureusement,  le responsable de la chorale lâche le groupe  : sans argent, sans passeport et aucune possibilité de retour en Afrique du Sud. Un membre de la faculté du Wilberforce University entend parler du talent de Charlotte Maxeke. C’est alors que l’université offre une bourse d’études à Charlotte. Parmi ses profs se trouve W.E.B DuBois, militant panafricaniste et l’un des fondateurs du NACCP (National Association for the Advancement of Coloured People). Charlotte rencontre un compatriote sud-africain Marshall Maxeke, qui étudie à la même université et devient par la suite son époux. Les deux rentrent au Sud-Afrique au tout début des années 1900. Charlotte Maxeke est alors la première femme sudafricaine noire détentrice d’un  Bachelor of science Degree. Le couple fonde le Wilberforce Institute. L’agitation politique dans le pays pousse le couple à participer dans la première convention du South Africa Native National Congress (SANNC) qui devient par la suite l’ANC (African National Congress). Charlotte Maxeke fonde en 1918 le Bantu Women League. Elle est la cheville ouvrière de la campagne de boycott contre le Pass Law. Le Pass en Afrique du Sud était une sorte de passeport interne imposé aux noirs avant et durant le régime de l’apartheid. Cet outil de ségrégation interdisait à ses possesseurs de se déplacer hors des lieux du pays dans lesquels ils étaient autorisés à rester. En 1928, son époux décède. Charlotte Maxeke s’installe alors à Johannesbourg comme parole officer et court welfare officer du Juvenile Magistrate. Elle meurt en 1939 à l’âge de 65 ans. Elle fait partie aujourd’hui des figures héroïques du continent noir. Une école porte son nom à Morogoro, en Tanzanie.

De la nécessité à théoriser

Dr April considère que la Femme est réduite à un rôle de « props » (« support » ) dans l’historiographie des mouvements de libération. Dans les archives de l’ANC, elle relève un discours favorisant l’héroïsme des hommes alors que la Femme qui pense et réfléchit n’est pas mise en valeur. Elle pense qu’il faut théoriser la trajectoire intellectuelle de la Femme noire. Une théorie (du grec theoria, « contempler, observer, examiner ») est un ensemble cohérent d’explications, de notions ou d’idées sur un sujet précis. C’est dans ce sens qu’on découvre que la Femme n’est pas la réflexion éthérée.  Contrairement à l’homme intellectuel,  elle soulève des questions qui touchent au vécu quotidien. Ainsi, Charlotte Maxeke intervient dans des conférences telles que lors de la All African Convention au Bloemfontein sur la condition féminine, l’éducation des filles, le logement ou la délinquance juvénile. Elle est même invitée par le Women Enfranchisement of the Union (WEAU), une association de femmes blanches militant pour le droit de vote pour les femmes blanches. Parmi les témoignages recueillis auprès des contemporains de Charlotte Maxeke, on retient celui de sa soeur Katy. Elle dit ceci : « The one who was never content to what others told her but had to know a thing for herself or else find it written in a book ». On peut dire que la Femme ne pense pas seulement le monde, elle panse aussi le monde.

Références

Xuma, A.B. “Charlotte Manye (Mrs Maxeke) What an Educated African Girl Can Do edited by Dovie King Clarke for the Women’s Mite Missionary Society of the A.M.E. Church (Alice, Lovedale Press,1930). 

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