Shaama Sandooyea : « Le langage sur l’urgence climatique s’est affaibli à la COP28 de Dubaï »

Shaama Sandooyea, biologiste marine âgée de 25 ans, est une militante d’envergure pour le climat. Le Mauricien a sollicité ses commentaires sur la COP28, qui s’est tenue en cette fin d’année à Dubaï et dont les résultats ont été diversement commentés. Elle estime que le langage sur l’urgence climatique s’est affaibli au cours de la conférence. « Il ne représente pas le ton nécessaire et la détermination requise afin de mettre fin aux émissions de gaz à effet de serre », avance-t-elle.

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La biologiste cite en exemple le fait que les propos « éliminer les énergies fossiles » aient été remplacés par « transitionner hors des énergies fossiles ». Elle affirme également qu’en plus de la crise écologique, Maurice est victime des incohérences de la politique gouvernementale.

La COP28 a donné lieu à des commentaires divers. Comment avez-vous accueilli les travaux de la conférence cette année ?
La COP est une conférence annuelle dont le but est de rassembler les États membres des Nations unies et d’autres acteurs, notamment de la société civile et les communautés directement affectées par la crise climatique, afin de renouveler les objectifs fixés et de faire avancer les actions pour limiter l’augmentation globale de la température à +1,5 °C d’ici 2100, comme convenu sous l’Accord de Paris en 2015. L’édition de la COP de cette année a cependant été présidée par le CEO d’une compagnie pétrolière, ce qui représente un conflit d’intérêts patent puisque les compagnies pétrolières sont majoritairement responsables de la crise climatique.

D’ailleurs, le président de la COP28, Sultan Al Jaber, a fait ressortir « qu’il n’y a aucune science pour justifier la demande (des scientifiques, des centaines d’États membres et de la société civile) pour supprimer les énergies fossiles afin de limiter l’augmentation de la température globale à +1,5 °C ». Il a également ajouté qu’éliminer les énergies fossiles ne contribuera pas au développement durable puisque cela « ramènera le monde à l’ère des grottes ».

Ces commentaires non seulement banalisent le rôle des énergies fossiles dans la crise climatique, mais également ouvrent un espace dangereux pour les climatosceptiques dans la gouvernance climatique sur le plan international. La vision du président de la COP28 est à l’encontre même des Objectifs de développement durable (ODD) fixés par les Nations unies. L’agence internationale de l’énergie (IEA) a clairement fait ressortir que nous ne pouvons plus contribuer au développement des énergies fossiles si nous souhaitons limiter la température globale à +1,5 °C.

Le langage sur l’urgence climatique s’est affaibli au cours de la conférence et ne représente pas le ton nécessaire et la détermination requise afin de mettre fin aux émissions de gaz à effet de serre. Par exemple « éliminer les énergies fossiles » a été remplacé par « transitionner hors des énergies fossiles ».

Comment avez-vous accueilli l’engagement pris en faveur du développement des énergies renouvelables ?
Mention est faite des énergies renouvelables, mais l’accent a été placé sur l’énergie nucléaire, la compensation carbone et autres énergies transitoires. Le problème avec ce genre de « solutions » est que cela ne décourage pas la production ou la consommation ou la dépendance des énergies fossiles, mais plutôt que cela agit comme des pansements temporaires. Les représentants de la société civile et de la jeunesse déplorent le manque d’ambition afin d’éliminer les énergies fossiles dans les années à venir.

De plus, les travaux de la COP28 ont été approuvés en l’absence des petits États insulaires. Les communautés autochtones, les activistes pour le climat et pour les droits humains ont été victimes d’intimidation et de harcèlement à la COP28. Des militants pour le climat qui supportent la cause palestinienne ont été menacés par la sécurité de la COP. L’atmosphère de frayeur ressentie par des membres de la société civile est troublante.

Quels ont été, à votre avis, les événements marquants de 2023 en matière d’environnement ?
En juin 2023, la Conférence intergouvernementale réunie sous la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS), a adopté un accord sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine dans les zones situées au-delà de la juridiction nationale. Ces zones-là sont aussi appelées « la haute mer » et constituent 2/3 des océans. Il n’y a pas de cadre légal défini pour la régularisation des activités dans ces régions, ce qui rend l’impact des industries (pétrolières, pêches, maritimes) sur la biodiversité marine encore plus complexe.

Les océans font face à plusieurs menaces telles que l’acidification des eaux, la pollution, la surpêche, la perte de biodiversité, le changement climatique et les communautés qui en dépendent paient un prix très élevé. Ce traité vise à protéger la haute mer à travers une méthodologie de coopération et de coordination entre tous les acteurs impliqués tout en s’attaquant aux inégalités envers les pays en développement en incluant un aspect sur le partage des bénéfices et l’accès aux ressources biologiques (génétiques par exemple).

Même si ce traité est une clé pour la sauvegarde de la biodiversité marine et pour la lutte contre le changement climatique, il est important que les gouvernements respectent et appliquent cet accord à tous les niveaux, que ce soit politique publique ou secteur privé.

On vous a entendu récemment faire un plaidoyer en faveur des travailleurs de la mer…
C’est vrai. Les travailleurs de la mer sont directement concernés par la crise climatique, qui crée des conditions extrêmes en mer. Celles-ci mettent en danger les bateaux et, par conséquent, les marins. Les travailleurs du port et les pêcheurs sont également à risque, tout comme ceux qui travaillent directement avec la nature.

Les travailleurs du port et les pêcheurs ne peuvent pas souvent opérer en raison des conditions extrêmes provoquées par le changement climatique. Souvent, on entend que les navires se perdent en mer ou s’écrasent contre les récifs. De plus, les travailleurs du port et les pêcheurs ne peuvent pas travailler lorsque la mer est houleuse. Ce qui les affecte économiquement.

Vous aviez participé à l’étude scientifique au banc de Saya de Malha menée par Greenpeace. Y a-t-il eu un suivi depuis ?
Nous avons publié une partie de notre étude scientifique menée au banc de Saya de Malha par Greenpeace en 2021 et avons repéré au moins 12 espèces, notamment des orques, des cachalots et plusieurs espèces de dauphins. Il est possible qu’il y ait une connexion ou interaction entre les populations de cachalots au Saya de Malha et celles évoluant dans les eaux mauriciennes. Nous lançons un appel aux décideurs politiques pour désigner le banc Saya de Malha comme étant une zone importante pour les mammifères marins.

Comment peut-on avoir accès à cette étude ?
L’étude est disponible sur Internet (https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2352485523003547). Je vous propose un extrait : « Les rives de Saya de Malha et le plateau environnant des Mascareignes dans l’océan Indien sont parmi les régions d’eau de mer peu profonde les moins étudiées au monde. On pense que la bathymétrie en forte pente de cette région entraîne des niveaux élevés de productivité primaire et soutient un large éventail d’espèces marines. Jusqu’à présent, aucun relevé des cétacés n’a été effectué dans les eaux entourant Saya de Malha, et la diversité des cétacés est donc inconnue. Des relevés visuels et acoustiques opportunistes pour les cétacés ont été menés à bord d’une plateforme d’opportunité, le MY Arctic Sunrise, qui a été impliqué dans un projet plus large visant à documenter la vie marine dans la région. Les activités d’étude ont été menées sur 7 700 km carrés, et 12 espèces de cétacés ont été rencontrées, dont des cachalots, des épaulards, des dauphins à long bec, des dauphins rayés, des dauphins tachetés pantropicaux et de grands dauphins. Une correspondance entre la vocalisation d’une coda de cachalot et celle d’une autre population bien étudiée au large des côtes de l’île Maurice suggère une connectivité possible entre ces régions, bien que des données supplémentaires soient nécessaires pour le confirmer. Les bancs de Saya de Malha semblent abriter un large éventail d’espèces de cétacés, et d’autres relevés systématiques sont nécessaires pour mieux comprendre comment les différentes espèces utilisent les bancs. Nous fournissons des contours de sifflet à partir de détections acoustiques confirmées visuellement pour contribuer à la construction d’un classificateur de sifflet spécifique à la région. Compte tenu de la diversité des espèces détectées dans la région, nous suggérons que la zone du banc de Saya de Malha soit désignée soit zone importante pour les mammifères marins, soit zone marine protégée. »

Avez-vous pris part à d’autres activités sur le plan international ?
En juillet 2023, j’ai assisté avec Clean Shipping Coalition à la 80e édition du Marine Environment Protection Committee (MEPC) à l’Organisation maritime internationale (IMO). Ces négociations portent principalement sur la décarbonation du secteur maritime.
J’ai eu le privilège d’intervenir auprès des États membres et j’ai saisi l’occasion pour rappeler aux dirigeants les difficultés des communautés affectées jusqu’à présent par la marée noire il y a trois ans de cela. Je déplore grandement l’absence du gouvernement mauricien lors des négociations. Dans le cadre de ces négociations, la société civile plaide actuellement pour une réduction des émissions de 50% d’ici 2030 et l’atteinte de la neutralité carbone d’ici 2040. Le transport maritime est l’une des industries les plus polluantes au monde. S’il s’agissait d’un pays, il figurerait parmi les dix principaux pays émetteurs de carbone.
L’année 2023 marque les 50 ans de l’adoption de la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires (MARPOL) et, pourtant, la pollution marine par les navires persiste, impactant davantage l’environnement marin et les communautés locales (sécurité alimentaire, santé, etc.). Ce sommet était extrêmement pertinent pour Maurice, d’autant plus que nous avons été frappés par le naufrage du MV Wakashio. En deux ans, au moins huit navires se sont échoués dans les eaux mauriciennes, et aujourd’hui, les communautés touchées par la marée noire sont oubliées et laissées pour compte.
Il faut reconnaître que même si les objectifs devraient être plus ambitieux, il est clairement urgent que ce secteur réduise ses émissions de gaz à effet de serre au plus vite. Le problème est que le secteur maritime est généralement opaque puisqu’il est dépendant du secteur pétrolier, et vice versa.

Quel regard jetez-vous sur les effets du changement climatique à Maurice ?
Nous ressentons et constatons les effets du changement climatique à Maurice couplés aux impacts de la destruction des écosystèmes naturels et la mauvaise planification des zones urbaines ou rurales. Disons-le franchement, en plus de la crise écologique nous sommes victimes des incohérences de la politique gouvernementale.

Pouvez-vous être plus précise ?
Bien qu’il soit difficile pour Maurice de lutter contre le changement climatique avec ses ressources limitées, il est inadmissible que le gouvernement mauricien continue d’autoriser des projets soi-disant en faveur du développement du pays, notamment des projets IRS, immobiliers, d’hôtels, d’aquaculture, de pêche industrielle, d’extraction de pétrole ou de minerais, voire d’extension du port pour des bateaux de croisières et autres. Ce genre de développement est très colonial puisque la réflexion est telle que « cette région est sauvage, il faut donc la développer », alors que l’environnement naturel n’a pas besoin de développement.

De plus, la capacité de « développement » à Maurice est saturée. Et on le voit bien avec la fréquence des inondations ou conditions extrêmes (en mer) qui induisent la perte d’infrastructures. C’est une situation extrêmement dangereuse, et c’est de l’ignorance que de blâmer uniquement le changement climatique alors que d’autres facteurs font que la situation empire.

Que proposez-vous ?
Au lieu d’œuvrer pour que Maurice puisse devenir résiliente, le gouvernement continue d’autoriser des activités destructrices des investisseurs étrangers ou du privé, et ensuite s’envole à la COP pour demander des fonds de perte et de compensation. Il est crucial que le gouvernement mauricien comprenne que nos alliés face à ces calamités et conditions extrêmes sont les marécages, les mangroves, les dunes, les forêts, les herbiers marins, les coraux…

« Les commentaires (du président de la COP28, Sultan Al Jaber) non seulement banalisent le rôle des énergies fossiles dans la crise climatique, mais ouvrent également un espace dangereux pour les climatosceptiques dans la gouvernance climatique sur le plan international. Sa vision est à l’encontre même des Objectifs de développement durable fixés par les Nations unies. »

« Au lieu d’œuvrer pour que Maurice puisse devenir résiliente, le gouvernement continue d’autoriser des activités destructrices des investisseurs étrangers ou du privé, et ensuite s’envole à la COP pour demander des fonds de perte et de compensation »

« Compte tenu de la diversité des espèces détectées dans la région, nous (étude de Greenpeace) suggérons que la zone du banc de Saya de Malha soit désignée soit zone importante pour les mammifères marins, soit zone marine protégée »

FRANCE
Un réveillon à l’Aquarium de Paris
fustigé par des défenseurs des animaux
Des défenseurs de la cause animale ont protesté jeudi, à Paris, contre l’Aquarium de Paris et sa soirée de Réveillon, susceptible selon eux de nuire au bien-être animal et d’enfreindre la loi, ce dont se défend le gérant. Rassemblés devant l’aquarium, des membres de l’association Paris Animaux Zoopolis ont dénoncé le “Réveillon d’exception” organisé dimanche par l’Aquarium. Quelque 1 500 “privilégiés” s’apprêtent à danser « devant le plus gros bassin de France, avec des milliers de poissons et les plus jolis spécimens du monde entier », promet une communication sur l’événement.
L’Aquarium de Paris, l’un des plus anciens au monde, et désormais géré par une entreprise privée, se transforme depuis 2006 certaines nuits en discothèque. Une activité qui représente presque un quart de son chiffre d’affaires. Mais l’association Paris Animaux Zoopolis (PAZ) estime que ces soirées sont illégales, une loi française de 2021 interdisant de « présenter des animaux (…) en discothèque ».
« Les poissons ne sont pas des attractions ni des décorations », dénonce la cofondatrice de PAZ Amandine Sanvisens. « Non seulement les animaux sont prisonniers des aquariums, mais ils sont en plus dérangés la nuit par le son et la lumière », déplore-t-elle. Ce que nie le président de l’aquarium, Alexis Powilewicz. « Rien ne passe. Les parois des bassins en méthacrylate font 35 à 40 centimètres. C’est plus que du triple vitrage », explique-t-il.
« Les rapports vétérinaires n’ont jamais montré un seul comportement stéréotypé chez les animaux », poursuit Alexis Powilewicz. Selon lui, l’activité nocturne du lieu n’a pas d’impact sur les poissons, ce que confirme un contrôle en 2019 de la direction départementale de la protection des populations. Alexis Powilewicz estime ne pas enfreindre non plus la loi de 2021: « Nous n’exhibons pas les animaux. Ils restent tranquillement dans leur bassin. »

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