Une mamie pétillante : Eva de Gersigny, 98 ans et une joie de vivre incroyable

La peinture est un médium à la fois très sensible et puissant qui favorise un esprit créatif. À 98 ans, Eva de Gersigny excelle dans cet art. Au hub de la zone résidentielle de Phœnix, elle est devenue la coqueluche de son groupe, pas seulement pour son art, mais aussi son grand âge. En rigolant, elle confiera en aparté qu’elle a entretenu son physique par le sport, mais aussi grâce à ses balades à bicyclette, comme le chantait si bien Montand.

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Quand le soleil à l’horizon profilait sur tous les buissons sa silhouette, Eva de Gersigny, elle, revenait fourbue mais contente de ses balades à bicyclette… La ritournelle d’Yves Montand semble coller à la peau d’Eva. Elle confie une anecdote. Un jour, elle et sa sœur étaient à vélo. Mais pour ne pas rentrer tard, elles ont pris le train. « Le receveur nous a demandé 25 sous pour nos vélos, et on ne les avait pas. On disait : “Il va faire nuit, on n’a pas d’argent de poche, on doit rentrer.” C’était dans la poche ! » confie-t-elle en rigolant.

Elle est spontanée, la mamie, avec ses cheveux grisonnants coupés au carré, son sourire et cette gentillesse qui s’exprime à travers son regard. Tante Eva déteste la coquetterie, pas de rouge à lèvres, elle se la joue naturelle, sans fard. D’une grande lucidité, le pas alerte, elle nous chuchote : « On a du mal à croire que je suis née le 15 mars 1926. Mars peut-être, mais 1926. » La revoilà qui sourit et cet éclat dans les yeux, comme une forme de reconnaissance envers nous qui sommes admiratifs de son grand âge.

Quatre-vingt-dix-huit ans ! Elle en rougit, heureuse d’avoir réussi à traverser le temps, des générations, la Seconde Guerre mondiale qui, dit-elle, « était une torture ». Eva a trouvé la manière de se raconter, de raconter le monde d’hier et d’aujourd’hui en croisant les époques. Un album souvenir de sa vie qui débute dans le présent avec des flash-back dans le passé. Surtout lorsqu’elle évoque la Seconde Guerre mondiale, où les hommes étaient appelés sur le front, alors que les femmes, en bonnes épouses et mères, s’occupaient des enfants et de la maison.

Eva a grandi à Curepipe chez ses parents, et la guerre n’a eu aucun effet sur ses études. Elle était très bonne élève et planifiait déjà de travailler comme experte-comptable. Son père, raconte-t-elle, a mis un terme à ce projet : « Certainement pas, une fille ne va pas travailler à Port-Louis. Tu feras de la comptabilité à la maison. »

La guerre, l’amour et l’art

Eva a dû dissimuler sa déception et son émoi de ne pouvoir aspirer à voir plus loin que sa maison de Curepipe. « Les femmes n’avaient pas de liberté à mon époque. Il y avait la guerre et, moi, je ne voulais pas rester à la maison sans travailler. » Son salut est venu d’une femme passionnée de dessin qui lui a transmis le goût de la peinture. « Cela m’a aidée à m’épanouir et ma technique a évolué au fil du temps. »

Bien plus tard, pour meubler ses moments de loisir, elle prendra des cours de peinture d’un grand peintre français qui revenait de la guerre. « Il avait eu le côté droit paralysé à cause de la guerre et il était à Maurice pour une rééducation. Il se servait de sa main gauche pour peindre. Ces cours m’ont été bénéfiques et son enseignement m’a permis de m’améliorer. »

L’amour frappe entre-temps à sa porte, elle rencontre Pierre de Gersigny, se mariera avec lui de qui elle aura quatre enfants, Danielle, Pierre, Anne et Sonia. Aujourd’hui, la famille s’est agrandie avec neuf petits enfants et quatre arrière-petits-enfants. « Il travaillait sur la propriété sucrière et nous avons connu avec nos enfants des jours heureux. J’ai voyagé en France, Espagne, Portugal, Italie, Afrique du Sud. »

Et qu’est-ce qui la maintient en bonne condition physique ? Eva répondra sans détour que c’est le sport, notamment l’équitation, le vélo, le tennis. « J’habitais une grande maison et la cour était idéale pour des parties de tennis. On était sept enfants et je suis la cadette. Quand on me parle de longévité, autant dire que je tiens cela de ma famille. Mes sœurs ont réussi à franchir le cap des 90 ans et ma dernière sœur est dans les 80 ans. »

« Dieu m’a fait grâce de son amour »

Eva aura une pensée pour sa fille, Anne, qui au moment de l’interview célèbre son anniversaire. Anne tout comme sa mère Eva s’est jointe au cours de Marjorie Nadal au Hub de la zone résidentielle de Phœnix pour se perfectionner comme d’autres membres passionnés d’art. « Anne était à l’étranger, elle est rentrée à Maurice et excelle dans la peinture sur porcelaine. C’est elle qui m’a entraînée dans ce cours de dessin pour que je ne reste pas dans ma solitude. Je lui ai dit : “Suis trop vieille.” Mais après l’accueil que j’ai eu, j’en suis encore toute émue. »

Jamais malade, elle a toujours mangé équilibré dans sa jeunesse pour entretenir aujourd’hui encore ce corps svelte. Cette endurance physique, elle la doit à ses années de sport. Eva respire la joie de vivre et son rayonnement solaire va de pair avec sa personnalité. Elle n’affiche aucune nonchalance, aucun regret, dit-elle, sur son parcours de vie. « Dieu en a décidé ainsi, il m’a fait grâce de son amour. Peut-être que dans ma jeunesse, je me suis beaucoup occupée des vieux, des femmes atteintes de polio. Je leur apprenais la broderie et j’étais aussi bibliothécaire, avide de lecture. Maintenant, je fais des mots croisés, des jeux, pour garder la mémoire alerte. »

Croyante, sa foi en Dieu, Eva la cultive au quotidien, tout en se rappelant que chacune de ses bonnes actions de jeunesse lui est bénéfique aujourd’hui. « La pauvreté m’a beaucoup marquée, on ne peut parler de cercle familial si on ne s’occupe pas des vieux et des malheureux. Ce geste est indispensable. Je suis triste que mes amies soient décédées, et je regrette aussi de n’avoir pas connu le monde du travail, la liberté de sortir entre jeunes, et surtout de ne pouvoir étudier à l’étranger. Aux jeunes, je dirais : faites du sport et ayez une activité qui vous maintienne comme c’est mon cas à travers le dessin et la peinture. »

Le secret de vivre vieux ? « C’est la volonté de Dieu, c’est une grâce divine. »
Eva, c’est une sacrée mamie. Et on quitte la rencontre avec elle, touchés par la force de son témoignage et son récit. Son fuseau entre les mains, elle a trouvé d’autres repères, celui d’ajouter des couleurs à son bel oiseau avec ce sentiment de liberté, d’être encore à 98 ans un électron libre. Une belle rencontre qui restera gravée dans nos mémoires. Et une belle leçon de vie, de cette mamie authentique, pour la Fête des mères.

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