Travail artificiel…

C’est une Fête du Travail très particulière qui a été célébrée cette semaine.
Un 1er Mai à l’heure où il manque de main d’œuvre dans plusieurs secteurs d’activité jusque là très prisés, comme l’hôtellerie ou les soins à la personne. Un 1er Mai à l’heure où les employeurs se plaignent du fait qu’il n’y aurait plus d’engagement par rapport au travail. Un 1er Mai à l’heure de ce que, à travers le monde, on appelle désormais le quiet quiting, cette tendance des employés à ne plus faire que le strict nécessaire de ce pour quoi ils sont payés.
Oui, on est bien loin de l’époque où le travail était au centre de la valeur et de la dignité d’une vie. Parce que le système, de plus en plus, a fait qu’il n’y a plus de reconnaissance par le travail. Le job satisfaction est devenu une utopie. Et les salaires que rapporte le travail, souvent, ne permettent pas d’aller jusqu’au bout du mois suivant, contraignant à l’endettement, et donc à travailler pour rembourser sans espoir d’avancement et de croissance.
C’est un 1er Mai à l’heure où une élite, ce fameux 1% de la population mondiale qui détient 44% des richesses du monde, s’est encore enrichie depuis la pandémie qui a appauvri le reste du monde. Le rapport OXFAM publié en ce début 2023 indique ainsi que depuis 2020, les « ultra-riches » ont capté près de deux fois plus de richesses que le reste de l’humanité. Et que la fortune des milliardaires augmente de 2,7 milliards de dollars par jour, alors même que les salaires de 1,7 milliard de personnes ne suivent pas le rythme de l’inflation.
Comment encore trouver de la valeur au travail alors qu’une minorité exploite, pour s’enrichir éhontément, le labeur d’une majorité qui, de plus en plus, s’appauvrit ?
Comment trouver de la valeur au travail face à une classe politique dont la grande tâche semble être la course à l’enrichissement frauduleux, avec indécence, et en toute impunité ? Et qui danse en rigolant à la barbe de tous ceux qui triment en essayant de rester honnêtes ?
Comment lutter contre tout ce qui montre que ce n’est pas la valeur du travail qui rapporte, mais d’être bien-né, bien-connecté, bien-sans scrupules, bien-trafiquant ?
Drôle de 1er Mai, qui a aussi été marqué par une démission qui signale un autre enjeu crucial de notre temps. L’homme qui a annoncé ce jour-là qu’il quittait son job s’appelle Geoffrey Hinton. À 75 ans, ce pionnier de la recherche sur l’Intelligence Artificielle, a fait savoir qu’il quittait Google, où il a travaillé ces dix dernières années, pour, dit-il, mieux pouvoir alerter sur les graves menaces que présente l’IA pour l’humanité.
Formé aux neurosciences et à la psychologie, le chercheur canado-britannique a joué un rôle crucial dans la percée des IA, en développant des réseaux de neurones artificiels, qui permettent aux machines d’apprendre.
Dès 2012, avec deux de ses élèves de l’université de Toronto, il fait la démonstration des atouts de cette approche qui imite le fonctionnement du cerveau, avec des capacités améliorées. C’est ce qui lui vaut de recevoir, en 2018, le Prix Turing, récompense la plus importante pour un chercheur en informatique, avec deux autres pionniers de l’IA, le Canadien Yoshua Bengio et le Français Yann Le Cun. Ce sont ses travaux qui ont permis d’élaborer les IA conversationnelles ChatGPT et Bard, tout comme l’IA de création d’images Midjourney, qui ont fait une irruption fracassante dans notre monde depuis novembre 2022.
Mais aujourd’hui, Geoffrey Hinton dit qu’ « une part de lui-même regrette cette invention qui constitue l’œuvre de sa vie ». Dans un article publié le 1er mai dans le New York Times, il affirme ainsi que « les futures versions de cette technologie pourraient être un risque pour l’humanité », allant même jusqu’à affimer que les perspectives d’avenir de l’IA sont « plutôt effrayantes » pour les humains.
« Pour le moment, elles ne sont pas plus intelligentes que nous, pour ce que j’en sais. Mais je pense qu’elles pourront bientôt l’être », poursuit-il. Car elles ont les moyens d’apprendre des infos et des tâches et de communiquer beaucoup plus vite que nous. “I’m scared ”, dit-il désormais.
Ses craintes portent d’une part sur la création massive de vidéos, photos et articles mensongers sur Internet. Ce qui entraînerait, pour le commun des mortels, une incapacité à distinguer le vrai du faux.
Geoffrey Hinton craint également le perfectionnement inarrêtable de ces technologies, et ce qu’elles pourraient provoquer entre des mains sans scrupules. Car ces instruments, pour lui, vont rapidement devenir capables d’élaborer des moyens de manipuler des électorats, voire de déclencher et gagner des guerres, en développant des armes autonomes, comme des robots tueurs. Et il craint des scenarios « cauchemardesques » si cela tombe entre des mains assoiffées de pouvoir.
Illuminé Geoffrey Hinton ?
Son collègue Yann LeCun, qui est aujourd’hui le chef AI pour Meta, estime comme lui que “There is no question that machines will become smarter than humans – in all domains in which humans are smart – in the future. It’s a question of when and how, not a question of if.” Mais à la difference de Geoffrey Hinton, il pense que “intelligent machines will usher in a new renaissance for humanity, a new era of enlightenment ».
Au début du mois d’avril, pourtant, d’autres spécialistes de l’IA avaient signé une lettre ouverte demandant une pause de six mois sur les recherches en cours, dans le but d’élaborer des régulations pour ces technologies.
Mais comment parvenir à un consensus et une réglementation internationales, d’autant que les principaux protagonistes du développement des IA, Microsoft, Google et Meta, alimentent leur concurrence à coups d’investissement massifs pour prendre le lead ?
L’autre collègue de Hinton, Yoshua Bengio, fait lui ressortir que « the development of AI is accelerating faster than societies can keep up. The capabilities of this tech leap forward every few months; legislation, regulation, and international treaties take years”.
Hinton ne se montre pas optimiste. Il confie ainsi que cela lui fait penser au film Don’t Look Up, dans lequel un astéroïde fonce vers la Terre, mais où les dirigeants du monde se révèlent incapables de se mettre d’accord sur ce qu’il faut faire, et où tout le monde meurt au final. Pour lui, cette allégorie ayant trait à notre inaction face au changement climatique risque de s’appliquer aussi au développement des AI.
Parlant de changement climatique justement. Cette semaine, Valérie Masson-Delmotte, co-présidente du groupe de travail du Giec sur la dimension scientifique du changement climatique, a quitté son poste en déplorant fortement le fait que «Il y a un décalage entre les engagements climatiques et les actes». Dénonçant le maintien des subventions aux énergies fossiles, la climatologue estime que les mises en garde de l’organisme sont suivies de très peu d’effets. Or, une réponse rapide et adaptée est d’autant plus cruciale que les choses se compliquent sur tous les fronts. Ainsi, l’ONU a alerté cette semaine sur le fait que le monde doit se préparer à des températures record dans les mois à venir. Car l’Organisation météorologique mondiale (OMM) estime qu’il y a 60% de risques que le phénomène climatique El Nino se développe d’ici la fin juillet et 80% de risques d’ici la fin septembre.
Ce qui modifiera les conditions météorologiques et climatiques dans le monde entier, entraînant de nouveaux records de chaleur, et un accroissement du risque d’évènements climatiques extrêmes dans de nombreuses régions.
Saurons-nous travailler à inverser l’inquiétant cours des choses ?
Nos politiques sauront-ils regarder et œuvrer au-delà de leurs petits intérêts personnels ? Ou continuera-t-on à danser stupidement sur des estrades qui ne vont pas tarder à s’écrouler ?

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Comment trouver de la valeur au travail face à une classe politique dont la grande tâche semble être la course à l’enrichissement frauduleux, avec indécence, et en toute impunité ? Comment lutter contre tout ce qui montre que ce n’est pas la valeur du travail qui rapporte, mais d’être bien-né, bien-connecté, bien-sans scrupules, bien-trafiquant ? Comment envisager la suite face à une Intelligence Artificielle qui fait désormais peur à ses propres créateurs ?

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